Revue de réflexion politique et religieuse.

Vati­can II et le concept de pas­to­ra­li­té

Article publié le 10 Déc 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Comme vous venez de le rap­pe­ler, depuis le moment de sa convo­ca­tion, le concile Vati­can II a été vou­lu pas­to­ral, et donc ni dog­ma­tique ni dis­ci­pli­naire. Cela annon­çait une méthode et une pra­tique pré­dé­ter­mi­nées venant struc­tu­rer les docu­ments ulté­rieurs. La méthode était donc posée, et le conte­nu à iden­ti­fier. A cause de cela pré­ci­sé­ment émerge le pri­mat de la pas­to­ra­li­té, que ce soit dans les inten­tions, la manière d’exposer, le lan­gage. En ce sens, il est indé­niable que la pas­to­ra­li­té crée un pro­blème plus qu’elle n’apporte une solu­tion. A pro­pos de Vati­can II que vous étu­diez dans votre der­nier livre, vous par­lez d’une « épi­pha­nie pas­to­rale ». Quelles réflexions pou­vez-vous en tirer ?

Comme je l’ai déjà dit, à mon avis, la pas­to­ra­li­té est le pro­blème à résoudre dans le Concile, non pas au sens où elle est comme telle un pro­blème, mais où l’on n’en a jamais trou­vé une défi­ni­tion, que ce soit dans l’intention (la mens) du Concile, ne sachant pas s’il s’agit de son accep­tion et de sa défi­ni­tion théo­lo­giques clas­siques, ou bien dans une autre accep­tion conforme à l’idée de quelques experts conci­liaires influents ; et donc en défi­ni­tive, la pas­to­ra­li­té se prête à l’exercice de fonc­tions diverses et par­fois, ou même sou­vent, en dehors de son domaine. Ain­si au nom de la pas­to­ra­li­té, on écarte les dis­cus­sions, on pla­ni­fie sou­vent le pro­gramme du magis­tère extra­or­di­naire du concile, on choi­sit quelle doc­trine est la plus impor­tante à expo­ser, même si, comme je le disais, son âge théo­lo­gique est des plus jeunes, tan­dis qu’on laisse encore en débat d’autres doc­trines bien plus éta­blies dans le temps. Un autre fac­teur sur­prend : la pas­to­ra­li­té est sou­vent pré­sen­tée comme un effort œcu­mé­nique du Concile, mais cet effort est qua­si exclu­si­ve­ment diri­gé à sens unique vers les pro­tes­tants. Et les ortho­doxes d’Orient ? Tel Père s’en attris­tait, voyant dans ce choix pas­to­ral plus une bles­sure à l’unité qu’un nou­vel encou­ra­ge­ment. Pour­quoi, par exemple, y eut-il une très longue recherche sur la Tra­di­tio consti­tu­ti­va de l’Eglise, qui a duré des années, en vue de lis­ser le ton, alors que le thème est cen­tral et vital pour l’orthodoxie, sur­tout en matière litur­gique ? Je consi­dère en outre que le pro­blème clé est le sui­vant : on ne sau­rait faire de l’objet de l’étude –com­ment com­prendre le sens nou­veau de la pas­to­ra­li­té conci­liaire – l’instrument her­mé­neu­tique d’examen du pro­blème. Encore une fois, le pro­blème ne peut se trans­for­mer en méthode, comme cela se passe hélas dans beau­coup d’herméneutiques. J’aime don­ner un exemple concret pour per­mettre de se rendre compte de la méthode sin­gu­lière uti­li­sée par les Pères conci­liaires, et avant eux, les théo­lo­giens, pour mettre en œuvre la pas­to­ra­li­té, cen­sée indi­quée par Jean XXIII comme une moda­li­té nou­velle d’exposition de l’ensemble du cor­pus magis­té­riel. Je choi­sis la défi­ni­tion don­née par un Père conci­liaire et par un expert de la Com­mis­sion doc­tri­nale du Concile. Le Maître géné­ral des domi­ni­cains, le P. Ani­ce­to Fernán­dez, pré­sent dans l’aula en qua­li­té de Père, au cours d’une inter­ven­tion orale défi­nis­sait ain­si la pas­to­rale : « 1. Le mot « pas­to­ral » est un adjec­tif. Il ne peut se com­prendre ni s’expliquer sans être ordon­né à un sub­stan­tif. Le sub­stan­tif admet un double cas, et on ne peut pas prendre l’un pour l’autre ; a) ou bien le sub­stan­tif est le pâtu­rage ou la nour­ri­ture ; b) ou bien le sub­stan­tif est la manière d’administrer la nour­ri­ture et le pâtu­rage. Le Concile en effet défend la véri­té, pro­pose la véri­té. La véri­té est claire, péné­trante, et c’est ce qu’on en attend. Le munus pas­to­ral de cha­cun de nous se réfère prin­ci­pa­le­ment au sub­stan­tif qui est la méthode. La doc­trine conci­liaire est celle des pas­teurs, la nour­ri­ture saine à admi­nis­trer à tous, atten­tifs aux condi­tions de lieu, de temps et de per­sonnes. Rude­ment pour les rudes, sage pour les sages. […] Nous ne devons pas cher­cher un carac­tère pas­to­ral qui s’obtienne au détri­ment de la véri­té. Pour cela, entre deux for­mules, si l’une est plus pas­to­rale mais moins claire et exacte, l’autre moins pas­to­rale mais plus claire et exacte, sans aucun doute dans un concile il faut choi­sir la seconde. Dans la pra­tique pas­to­rale, on choi­sit la pre­mière […] » ((. Acta Syno­da­lia 1/3, p. 237.))

A cette idée de pas­to­ra­li­té, expri­mée en conti­nui­té avec la vision constante de la théo­lo­gie et du magis­tère, s’opposait celle d’Edward Schil­le­bee­ckx, théo­lo­gi­que­ment plus per­son­nelle mais non moins influente, comme cela résulte des dis­cus­sions au sein de la Com­mis­sion doc­tri­nale. Il écrit ain­si : « Le concile pas­to­ral devient doc­tri­nal pré­ci­sé­ment en rai­son de son carac­tère pas­to­ral. La demande d’approfondissement doc­tri­nal est pas­to­rale » ((. « The pas­to­ral coun­cil becomes doc­tri­nal pre­ci­se­ly on account of its pas­to­ral cha­rac­ter. Pas­to­ral demands call for doc­tri­nal dee­pe­ning », in The Coun­cil notes of Edward Schil­le­bee­ckx 1962–1963, Pee­ters, Leu­ven, 2011, p. 37.)) . Ici, évi­dem­ment, la pas­to­ra­li­té du Concile, plus que nour­ri­ture des­ti­née à nour­rir les fidèles, devient « stra­té­gie » pour faire fleu­rir la doc­trine elle-même. Tous les experts ne par­ta­geaient pas cette vision, certes, mais les plus influents et les plus renom­més, si. Voi­là pour­quoi il n’est pas facile d’identifier immé­dia­te­ment et avec une cer­ti­tude abso­lue ce que signi­fie la pas­to­ra­li­té à Vati­can II. C’est la rai­son pour laquelle j’ai choi­si le mot « épi­pha­nie » (mani­fes­ta­tion, appa­ri­tion) pour indi­quer là où, selon moi, se mani­feste cette facile com­po­si­tion de doc­trine et de pas­to­rale, c’est-à-dire une doc­trine qui s’élabore petit à petit pour un motif pas­to­ral, en ver­tu d’une rai­son qui n’est pas la pré­sen­ta­tion de la doc­trine comme telle, mais celle de la doc­trine d’une cer­taine manière, tenant compte de quelques requêtes externes, par­mi les­quelles et de manière pré­pon­dé­rante, l’aspiration œcu­mé­nique. Pour s’en tenir à la défi­ni­tion du P. Fernán­dez, le Concile accom­plit déjà l’œuvre du pas­teur, cette action de « tra­duc­tion » qui sera ensuite assi­gnée aux évêques et aux prêtres avec une pru­dence et une sol­li­ci­tude toute pas­to­rale. Je parle d’« épi­pha­nie pas­to­rale », par consé­quent, parce que je cherche à faire voir com­ment la « fin prin­ci­pa­le­ment pas­to­rale » du Concile, comme cela résulte plu­sieurs fois des réponses offi­cielles ou du Secré­ta­riat du Concile ou de la Com­mis­sion doc­tri­nale elle-même ((. Cf. Acta Syno­da­lia II/6, p. 205 ; III/8, p. 10.)) , pré­side en quelque manière au déve­lop­pe­ment magis­té­riel de Vati­can II et donc limite, outre l’enseignement lui-même, le mode sur lequel est pré­sen­tée une doc­trine, fai­sant qu’en prin­cipe Vati­can II se place dans la caté­go­rie du magis­tère ordi­naire authen­tique. Le Concile était libre de le faire, mais nor­ma­le­ment les conciles n’ont pas été convo­qués pour com­men­cer à ensei­gner de nou­velles doc­trines, mais pour condam­ner les erreurs, pour défi­nir des véri­tés de foi ou pour les ensei­gner de manière défi­ni­tive et donc irré­for­mable. Ici gît la dif­fé­rence entre Vati­can I, par exemple, et Vati­can II. Se rendre compte de cette dif­fé­rence est néces­saire, en pre­nant en compte le fait qu’elle se situe dans ce nou­veau mixte entre pas­to­ra­li­té et doc­trine. Je me pro­pose cepen­dant, avec cette inter­pré­ta­tion, de pro­té­ger Vati­can II d’un exces­sif enthou­siasme qui pour­rait finir par sus­ci­ter à son tour sa propre réin­ter­pré­ta­tion, jus­te­ment en rai­son des épi­pha­nies pas­to­rales, concluant que fina­le­ment et pour la pre­mière fois nous nous trou­ve­rions vrai­ment face à un concile pas­to­ral ! En fait, tout en m’affrontant à ces épi­pha­nies, et en vue d’appliquer une her­mé­neu­tique réa­liste, je m’en tiens à la tra­di­tion­nelle dis­tinc­tion entre pas­to­rale et dog­ma­tique, voyant dans l’une les rai­sons de l’autre, mais subor­don­nant la pra­tique à la foi et au dogme. J’effectue la véri­fi­ca­tion de la pas­to­ra­li­té épi­pha­nique du Concile fon­da­men­ta­le­ment dans trois domaines des doc­trines conci­liaires : 1) dans les inten­tions et l’élaboration de la doc­trine sur le rap­port entre l’Ecriture et la Tra­di­tion dans Dei Ver­bum ; 2) de même avec la doc­trine sur l’Eglise dans Lumen gen­tium ; 3) dans les inten­tions des Pères et en consé­quence dans la for­ma­tion de la doc­trine mario­lo­gique, au cha­pitre VIII de Lumen gen­tium. La for­ma­tion du cha­pitre marial de la consti­tu­tion sur l’Eglise est d’ailleurs emblé­ma­tique d’un concile in fie­ri fon­da­men­ta­le­ment par­ta­gé sur l’interprétation de la signi­fi­ca­tion pas­to­rale et œcu­mé­nique à don­ner à son ensei­gne­ment. La mario­lo­gie conci­liaire, par ailleurs très riche et abon­dante, reflète néan­moins un pro­blème qui était agi­té déjà dans le cours du Concile, au moment où, avec un écart de seule­ment qua­rante voix, le sché­ma marial a été incor­po­ré à celui sur l’Eglise, avec tout ce que ce rat­ta­che­ment pou­vait et devait signi­fier. Ce qui compte du point de vue magis­té­riel, c’est la doc­trine ensei­gnée dans le docu­ment final, mais sa juste inter­pré­ta­tion serait impos­sible sans aller à son éla­bo­ra­tion et à l’esprit qui a ani­mé les Pères. Vati­can II est cer­tai­ne­ment un concile nou­veau à divers égards, mais pas jusqu’au point de devoir trans­for­mer l’Eglise elle-même en un nou­veau concile capable de sus­ci­ter pério­di­que­ment l’enthousiasme au gré des divers moments de l’histoire.

Dans votre livre sur Vati­can II, après avoir ample­ment trai­té du pro­blème de l’enseignement conci­liaire comme acte du magis­tère, vous vous concen­trez sur la ques­tion de la posi­tion du Concile au sujet de la qua­li­fi­ca­tion théo­lo­gique de ses propres énon­cés. Depuis les décen­nies post­con­ci­liaires, on ren­contre les thèses de ceux qui en ont fait un « super­dogme » (pour reprendre l’expression de celui qui était alors le car­di­nal Rat­zin­ger), ou le point de départ d’un « nou­veau chris­tia­nisme » au nom duquel tout ce qui pré­cé­dait doit être reje­té. De manière très cohé­rente, non seule­ment le pré­con­cile devait être dépas­sé par l’esprit du Concile, mais Vati­can II devrait aller au-delà de lui-même, se pro­lon­geant dans la praxis qui en révèle l’esprit jusqu’à l’épuiser (et l’évacuer) dans ce mou­ve­ment. De la même manière se sont pré­sen­tés ceux que l’on pour­rait appe­ler des « conser­va­teurs », qui ont dog­ma­ti­sé tous les textes du Concile et s’en sont faits les par­ti­sans jaloux et les défen­seurs agres­sifs. Mais ain­si, para­doxa­le­ment, ils se voient démen­tis par les textes conci­liaires eux-mêmes. Pou­vez-vous nous indi­quer quelles sont vos conclu­sions théo­lo­giques à ce pro­pos ?

Il est par­ti­cu­liè­re­ment décon­cer­tant de voir com­ment le concile Vati­can II s’est trou­vé « pié­gé », non sans contraintes inten­tion­nelles, par les inter­pré­ta­tions les plus variées, que l’on peut fon­da­men­ta­le­ment résu­mer à une sur­éva­lua­tion par rap­port à tous les conciles pré­cé­dents, voire à l’histoire de l’Eglise et à son mys­tère. Certes, si l’on part de l’idée qu’entre le pre­mier et le troi­sième mil­lé­naire chré­tien il y a comme un gap his­to­rique et conci­liaire, alors Vati­can II peut cer­tai­ne­ment ser­vir à com­bler ce vide inopi­né­ment créé. Tous les conciles, certes, n’ont pas été dog­ma­tiques comme l’ont été Trente ou Vati­can I, mais assu­ré­ment aucun concile n’a jamais été pas­to­ra­le­ment dog­ma­tique, ou dog­ma­ti­que­ment pas­to­ral comme on le fait de temps en temps avec Vati­can II, soit quand on en fait un nou­veau com­men­ce­ment et une étoile polaire du magis­tère solen­nel et suprême de l’Eglise, soit lorsque pour pro­té­ger les doc­trines nou­velles, on l’infaillibilise sans se rendre compte que le Concile lui-même ne l’a pas vou­lu. Ce qui cepen­dant nous ques­tionne pro­fon­dé­ment, c’est le pour­quoi d’un tel achar­ne­ment sur Vati­can II. Peut-être parce qu’il fal­lait qu’il repré­sente un signe de ral­lie­ment pour un cer­tain catho­li­cisme se défi­nis­sant rapi­de­ment lui-même comme post­con­ci­liaire ? Un « style » nou­veau d’être Eglise et chré­tien ? On ne se rend pas compte que cet effort se fait au détri­ment du Concile lui-même, réduit à un tour­nant majeur, à un « super­dogme » qui rela­ti­vise en réa­li­té la foi et la morale. Il est inté­res­sant de noter, en sui­vant le déve­lop­pe­ment his­to­rique de l’idée de concile et de sa forme (voir à ce sujet le pre­mier cha­pitre de mon livre) que ce qui défi­nit en propre un concile n’est pas le concept juri­dique de repré­sen­ta­tion (un concile repré­sen­te­rait l’Eglise) ; les conci­lia­ristes du XIVe siècle s’en étaient empa­rés pour subor­don­ner le pape au concile. C’est plu­tôt l’exigence, déjà per­cep­tible dans le pre­mier concile œcu­mé­nique de Nicée, de défense de la foi et d’enseignement de la véri­té comme don spi­ri­tuel le plus éle­vé.

Le pro­blème d’un concile n’a jamais été son infailli­bi­li­té, mais la néces­si­té d’enseigner la véri­té. Même ceux qui voient Vati­can II comme rup­ture avec la Tra­di­tion, à mon modeste avis, sur­éva­luent le Concile, en dog­ma­ti­sant chaque élé­ment de sa doc­trine, y com­pris ceux qui ne sont que des dis­po­si­tions ou des ensei­gne­ments « pas­to­raux » vou­lant répondre à des cir­cons­tances jugées nou­velles (que l’on se reporte à ce pro­pos aux Acta syno­da­lia). Si déjà quelques théo­lo­giens pré­tendent que fait défaut une base solide pour fon­der, au for externe, la liber­té reli­gieuse sur l’instauration d’un Etat chré­tien exer­çant une « tolé­rance » pour l’exercice du culte des autres reli­gions, com­bien plus sera vacillante une telle base quand on pose toutes les reli­gions comme telles sur le même plan quant à l’exercice du culte dans la socié­té civile, lais­sant aux laïcs la tâche d’annoncer l’Evangile à tous ! L’Etat n’aurait-il plus aucune obli­ga­tion envers Dieu et la reli­gio vera ? Je fais allu­sion à la liber­té posi­tive de reli­gion, exer­cée au for externe, parce que c’est l’un des thèmes les plus brû­lants ; la liber­té reli­gieuse néga­tive (nul ne peut être contraint en conscience en matière de foi) est au contraire fer­me­ment éta­blie bibli­que­ment et tra­di­tion­nel­le­ment claire. Mais c’est l’un des thèmes, peut-être le plus chaud, qui requiert une sou­plesse majeure. Il convient que le concile Vati­can II soit lu et inter­pré­té pour ce qu’il fut, selon son inten­tion et non selon un pen­chant (poli­tique) per­son­nel de la droite ou de la gauche ecclé­siales, selon une sen­si­bi­li­té sub­jec­tive conser­va­trice ou pro­gres­siste. Déjà en 1968 Die­trich von Hil­de­brand rele­vait que s’en tenir à une simple oppo­si­tion entre conser­va­tisme et pro­gres­sisme était pro­pre­ment sté­rile : l’important, c’est la véri­té ou la ter­gi­ver­sa­tion, la véri­té ou le « châ­teau de cartes spi­ri­tuel ». Dans ce but, j’ai vou­lu, sur la base des autres études publiées dans la même ligne, inter­ro­ger le Concile comme tel, c’est-à-dire cher­cher à retrou­ver, pour autant que je l’ai pu et sauf juge­ment meilleur, l’intention (la mens) de Vati­can II sur quelques doc­trines clés.

Ce qui inté­resse le théo­lo­gien, c’est avant tout de com­prendre, pour pou­voir pro­cé­der de manière sûre, le degré d’enseignement magis­té­riel des doc­trines qu’il a devant lui. C’est parce que cela n’est pas tou­jours évident qu’il faut mener une étude sys­té­ma­tique des sources du Concile. Le degré de l’enseignement magis­té­riel auquel cor­res­pond une note théo­lo­gique ou une cen­sure théo­lo­gique – pour reprendre ce thème des notes et des cen­sures si indis­pen­sables au dis­cours théo­lo­gique – selon lequel clas­ser une doc­trine nous per­met d’approcher les textes conci­liaires de manière sûre et, là où cela est néces­saire, parce qu’il s’agit de doc­trines non encore défi­ni­ti­ve­ment ensei­gnées, de pou­voir éga­le­ment faire quelques sug­ges­tions en vue d’un pro­grès orga­nique du dogme, à la charge bien sûr du magis­tère de l’Eglise. En ce qui concerne les doc­trines que j’ai exa­mi­nées, qui sont par­mi les plus impor­tantes et signi­fi­ca­tives de tout l’appareil magis­té­riel (Ecri­ture-Tra­di­tion, membres de l’Eglise-appartenance à l’Eglise, col­lé­gia­li­té épis­co­pale, mys­tère de la Bien­heu­reuse Vierge Marie au regard du Christ et de l’Eglise), je suis arri­vé à la conclu­sion que nous sommes en pré­sence de véri­tés aux­quelles nous pou­vons attri­buer la note théo­lo­gique sui­vante : « sen­ten­tiae ad fidem per­ti­nentes », c’est-à-dire des doc­trines « sur les­quelles le magis­tère ne s’est pas encore pro­non­cé défi­ni­ti­ve­ment, dont la néga­tion pour­rait conduire à mettre en péril d’autres véri­tés de foi et dont la véri­té est garan­tie par leur lien intime avec la Révé­la­tion » ((. Il Vati­ca­no II, un conci­lio pas­to­rale… pp. 430–431.)) . Ces doc­trines appel­le­raient un déve­lop­pe­ment dog­ma­tique ulté­rieur avant d’arriver au degré dit « defi­ni­tive tenen­da », et plus encore pour être pro­cla­mées comme dogmes de foi. Pour bon nombre de théo­lo­giens, nous serions avec le Concile dans un cas seule­ment – la « sacra­men­ta­li­té de l’épiscopat » en pré­sence d’une doc­trine défi­ni­tive. Encore cela ne fait-il pas l’unanimité. La véri­fi­ca­tion de ce qu’on appelle la « mens Sanc­tae Syno­dus » [l’intention du Concile] pour­rait être vue par cer­tains comme un exer­cice ludique ou même dan­ge­reux, dans la mesure où ils pensent que c’est au Magis­tère de rendre rai­son de lui-même. Mais une posi­tion aus­si tran­chée abo­li­rait l’existence même de la théo­lo­gie et contre­di­rait les appels répé­tés du Secré­ta­riat géné­ral du Concile à lire les doc­trines pro­po­sées par le Magis­tère conci­liaire suprême (non dog­ma­ti­que­ment défi­nies, ni devant être défi­ni­ti­ve­ment tenues, et qui ne requer­raient évi­dem­ment aucune inter­pré­ta­tion pour appa­raître telles et seraient donc évi­dentes) dans l’esprit même du Concile, esprit qui découle de la matière trai­tée et de la manière de l’exprimer, confor­mé­ment aux normes de l’interprétation théo­lo­gique. La par­ti­cu­la­ri­té de mon tra­vail consiste dans le fait que, dans le but d’interpréter fidè­le­ment ces doc­trines conci­liaires, j’ai accé­dé à de nom­breuses sources de pre­mière main. Pour moi, les mul­tiples exper­tises des théo­lo­giens de la Com­mis­sion doc­tri­nale ont été très impor­tantes, car elles tiennent, dans la hié­rar­chie des sources, un rang beau­coup plus impor­tant que les jour­naux per­son­nels, et viennent juste après les actes syno­daux, et elles consti­tuent les témoi­gnages les plus authen­tiques de l’esprit théo­lo­gique dans lequel on pré­pa­rait la dis­cus­sion dans l’aula, puis on modi­fiait et amé­lio­rait en tenant compte des dis­cus­sions, accep­tant ou non les modi [amen­de­ments] pré­sen­tés par les Pères. Il n’est pas dif­fi­cile de retrou­ver sou­vent, dans les posi­tions majo­ri­taires à l’intérieur de la Com­mis­sion, les thèses des dif­fé­rents per­iti [experts]. Suivre pas à pas le dérou­le­ment des dis­cus­sions en Com­mis­sion doc­tri­nale est d’un grand secours pour pou­voir éva­luer ensuite cor­rec­te­ment la dis­cus­sion des Pères réunis en assem­blée. C’est encore là un fac­teur dont il faut se sou­ve­nir, et qui peut clore, du moins je le pense, beau­coup de dis­cus­sions encore ouvertes sur la juste her­mé­neu­tique du concile Vati­can II.

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