Revue de réflexion politique et religieuse.

Jean XXIII et le mil­lé­na­risme

Article publié le 1 Juin 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Cette expli­ca­tion, les fidèles sont contraints de se la don­ner eux-mêmes : l’objet même de la mis­sion de l’Eglise a été chan­gé. Cette mis­sion n’est plus sur­na­tu­relle, elle est rame­née dans les limites étroites de ce monde. Elle consiste à réa­li­ser l’unité du genre humain grâce à l’union de toutes les reli­gions « pour la paix », union dans laquelle se réa­li­se­rait une « vie plus humaine », ver­sion œcu­mé­nique de l’idéal laïque du pro­grès et de la démo­cra­tie. C’est une telle approche de la mis­sion de l’Eglise, incroya­ble­ment dis­tincte du sens ini­tial, qui efface l’Eglise comme « signe de contra­dic­tion », que je me per­mets d’appeler « mil­lé­na­risme ». Je ne sau­rais pas l’appeler autre­ment, puisqu’il semble annon­cer l’accomplissement de l’attente mes­sia­nique dans ce monde, dans l’union du genre humain, pro­duite par la nou­velle ère de « dia­logue » entre les reli­gions, pour la « paix ».
Ajou­tons quelques mots au sujet de cette « émi­nente digni­té de l’homme », que le Christ nous dévoi­le­rait à nous-mêmes (concept qui me rap­pelle cer­taines thèses de Hen­ri de Lubac). Cette « émi­nente digni­té » consti­tue comme la pré­misse de la pers­pec­tive mil­lé­na­riste dont nous par­lons. Une telle pers­pec­tive appa­raît selon moi de manière assez claire dans la conclu­sion de l’allocution, dans un pas­sage dont le sens pro­fond semble avoir échap­pé au P. Jes­tin. Après avoir expli­qué que le devoir de l’Eglise était de réa­li­ser l’unité « de l’entière famille chré­tienne », natu­rel­le­ment sans conver­sion préa­lable des schis­ma­tiques et des héré­tiques et sans leur retour à l’Eglise catho­lique — autre­ment dit, après avoir expo­sé une approche de l’unité de l’Eglise qui n’a rien de conforme avec celle de la tra­di­tion —, le Pape affir­mait que ce devoir impli­quait que le Concile « pré­pare en quelque sorte et apla­nisse la voie menant à l’unité du genre humain, fon­de­ment néces­saire pour faire que la cité ter­restre soit à l’image de la cité céleste « qui a pour roi la véri­té, pour loi la cha­ri­té et pour mesure l’éternité » (Saint Augus­tin, Ep., 138, 3) » (Pas­qua­luc­ci, op. cit., p. 196, 206). L’unité du genre humain, sans conver­sion au Christ, en tant que « fon­de­ment néces­saire » pour que la Cité ter­restre soit à l’image de la Cité céleste ! Res­sem­blance qui ne vient pas de la conver­sion des cœurs au Christ mais de l’unité du genre humain qui ne s’est pas encore conver­ti ! Ce sont des mots qui, me semble-t-il, se passent de com­men­taires.
Si ces pro­pos ne tra­duisent pas une pers­pec­tive mil­lé­na­riste, à quoi fau­drait-il les rat­ta­cher ? Le P. Jes­tin me repro­che­ra d’avoir vou­lu trop prou­ver car le magis­tère a condam­né for­mel­le­ment le mil­lé­na­risme « char­nel » (anar­chique et orgiaque des euchites et enthou­siastes, condam­nés lors du concile d’Ephèse en 431). Soit. Trou­vons alors un autre nom pour cette « doc­trine » pro­pa­gée par Ange­lo Ron­cal­li dans l’allocution dont nous avons par­lé, mais renon­çons à consi­dé­rer qu’elle est en conti­nui­té avec le magis­tère pérenne de l’Eglise. Dans le cas pré­sent, le cri­tère her­mé­neu­tique de l’amphibologie ne peut pas s’appliquer, à mon avis, car le texte est très clair. La réfé­rence ron­cal­lienne à saint Augus­tin est erro­née puisqu’il n’existe en fait pas, dans la pen­sée de saint Augus­tin, l’idée d’une uni­té finale du genre humain en tant que « fon­de­ment néces­saire » à l’alignement de la Cité ter­restre sur la Cité céleste. Et cette quête d’une Cité ter­restre se com­por­tant « à l’image » de la Cité céleste ne met-elle pas de côté le dogme du Juge­ment uni­ver­sel, avec sa divi­sion sur­na­tu­relle, éter­nelle, du genre humain entre les élus et les dam­nés, ce qui démontre par le fait même l’inexistence d’une uni­té finale du genre humain ?
Pour des rai­sons de place, j’ai dû limi­ter ce rebond au mini­mum indis­pen­sa-ble. J’espère avoir ain­si mieux fait com­prendre aux lec­teurs la signi­fi­ca­tion de ma thèse, et je remer­cie le P. Jes­tin pour sa cri­tique qui m’a don­né l’occasion d’apporter ces pré­ci­sions.

-->