Revue de réflexion politique et religieuse.

Lec­tures : Pie XII et le IIIe Reich

Article publié le 10 Déc 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

La guerre a tou­jours mis à l’épreuve le chré­tien, la foi étant vue comme paci­fique et source de com­mu­nion avec Dieu et les hommes. A plus forte rai­son dans le cas de la guerre idéo­lo­gique qui a ensan­glan­té une bonne par­tie du siècle pré­cé­dent, d’autant plus qu’on a écrit abon­dam­ment, sans doute trop, sur la posi­tion d’extrême fai­blesse, non pas morale, mais poli­tique,  des Eglises chré­tiennes au cours des deux grands conflits mon­diaux. Et en par­ti­cu­lier sur la ter­rible ques­tion de l’Holocauste. Cer­tains his­to­riens s’interrogent encore, avec des inten­tions polé­miques, sur le pré­ten­du « silence » de Pie XII au sujet des per­sé­cu­tions nazie et acces­soi­re­ment fas­ciste à l’encontre des juifs. En réa­li­té, et là se découvre la mau­vaise foi d’une cer­taine his­to­rio­gra­phie, les douze tomes des Actes et docu­ments du Saint Siège rela­tifs à la seconde guerre mon­diale, publiés dans les années 1970, prouvent abon­dam­ment le contraire, c’est-à-dire démontrent les efforts notables du pape Pacel­li, pour, dans l’ordre, main­te­nir la paix, limi­ter les hos­ti­li­tés, et adou­cir le sort de toutes les vic­times, juifs inclus.
Il s’agit d’une masse indis­pen­sable à la dis­po­si­tion de tout his­to­rien sérieux et des lec­teurs culti­vés dési­reux de dépas­ser les polé­miques pure­ment poli­tiques. C’est l’« œuvre monu­men­tale », à laquelle se réfère le P. Gum­pel, s.j., dans la dense pré­face d’un livre de Pier Lui­gi Gui­duc­ci, pro­fes­seur d’histoire de l’Eglise à l’Université pon­ti­fi­cale du Latran et à l’Université salé­sienne : Il Ter­zo Reich contro Pio XII. Papa Pacel­li nei docu­men­ti nazis­ti ((. Edi­zio­ni San Pao­lo, Cini­sel­lo Bal­sa­mo, 2013, 376 p., 18 €.)) . Pour­quoi par­ler spé­cia­le­ment de ce livre ? Parce que, au-delà du titre, l’historien romain, qui a mené de longues recherches dans les prin­ci­pales archives euro­péennes, nous explique pour­quoi la force morale très grande de Pie XII ne pou­vait pas se trans­for­mer en force poli­tique. En pre­mier lieu, parce que Pie XII ne dis­po­sait pas d’armes ; en second lieu, parce que son « abs­ten­tion » était recher­chée et vou­lue au nom de l’Evangile. L’Eglise catho­lique a fait tout ce qu’elle a pu dans une situa­tion très déli­cate, en tâchant d’agir au milieu d’adversaires, ce que prouvent bien les docu­ments publiés dans le livre. Nous par­lons d’un contexte poli­tique dans lequel le pape était jugé être, jusqu’à la fin de ses années alle­mandes, un enne­mi abso­lu du Reich, bien dif­fé­rent de l’ami des nazis que cer­tains pré­tendent.
La ques­tion, évi­dem­ment, ren­voie au très violent esprit anti­chré­tien, débor­dant dans le paga­nisme, qui impré­gnait la doc­trine natio­nal-socia­liste : sa haine pour la foi elle-même dépas­sait, bien qu’elle l’englobât féro­ce­ment, la seule per­sonne de Pie XII. Celui-ci, pas­teur désar­mé mais fin diplo­mate, fit tout pour évi­ter que ne sombre la barque catho­lique, à bord de laquelle il fit mon­ter des membres d’autres reli­gions, juifs inclus. Dans ce livre, comme exemple à faire froid dans le dos du cli­mat de ces années-là, on trouve, par­mi beau­coup de docu­ments cités, un entre­tien entre Hit­ler et l’un de ses col­la­bo­ra­teurs, au len­de­main de la chute de Mus­so­li­ni :
Hit­ler : « Il faut rendre le coup, et le rendre en fai­sant en sorte de cap­tu­rer le gou­ver­ne­ment Bado­glio au com­plet »
Hewel : « Devons-nous com­mu­ni­quer ou pas que les issues du Vati­can seront blo­quées ? »
Hit­ler : « Pour moi, c’est pareil, moi le Vati­can, je l’occupe tout de suite. Vous croyez peut-être que le Vati­can m’en impose ? Nous l’occuperons immé­dia­te­ment : il y a à l’intérieur le corps diplo­ma­tique au com­plet, mais je m’en moque, plus tard nous pré­sen­te­rons nos excuses. La bande est là à l’intérieur, et nous la ferons sor­tir, cette bande de cochons ! » (cité p. 295)
En somme, comme l’a dit même un cri­tique sans bien­veillance tel que John S. Conway, dans son livre The Nazi per­se­cu­tion of the Churches 1933–45 (Londres, 1968 ; trad. fran­çaise La per­sé­cu­tion nazie des Eglises, 19331945, France-Empire, 1969), il exis­tait déjà à l’époque des preuves suf­fi­santes per­met­tant de pen­ser que si le pape avait pro­tes­té avec plus de vigueur, et pas seule­ment en faveur des juifs, la rétor­sion n’aurait pas seule­ment visé l’Eglise catho­lique mais toutes les vic­times qu’il ten­tait de pro­té­ger. En somme, le pape, pris dans les spires d’un gigan­tesque ser­pent à deux têtes (natio­nal-socia­lisme à l’Ouest, com­mu­nisme à l’Est) choi­sit, si l’on nous par­donne cette sim­pli­fi­ca­tion, le moindre mal. Ou si l’on pré­fère, la voie de la pru­dence poli­tique, sans cepen­dant jamais renon­cer à l’universalité de sa mis­sion pas­to­rale. C’est ce que prouvent les témoi­gnages des nom­breux juifs cou­ra­geu­se­ment sau­vés par des prêtres catho­liques avec l’accord du pape, grâce à l’asile qui leur était accor­dé et à de nom­breux nou­veaux docu­ments d’identité. On pour­rait par­ler à ce sujet, pour reprendre une expres­sion heu­reuse de Rein­hold Nie­buhr, de réa­lisme poli­tique chré­tien, dont le pape Pacel­li fut un cham­pion écla­tant.
Quelles sont les conclu­sions du pro­fes­seur Gui­duc­ci ? « Le pape Pacel­li […] est res­té pour le Troi­sième Reich, une per­sonne à éli­mi­ner. Il a été vu ain­si. L’exécution finale a seule­ment été retar­dée à cause des affaires de la guerre, mais n’a jamais été aban­don­née. Dans l’esprit d’Hitler, il ne pou­vait y avoir à l’avenir ni une Eglise ni un pape, ni une hié­rar­chie ecclé­siale. Tout devait être rame­né à une unique expres­sion reli­gieuse interne au régime et contrô­lée par lui. En abo­lis­sant une par­tie des Ecri­tures, en célé­brant un Christ aryen, en sup­pri­mant le magis­tère pon­ti­fi­cal et les sacre­ments, en annu­lant les fonc­tions reli­gieuses et les pra­tiques de pié­té, on serait arri­vé – dans la pen­sée du dic­ta­teur – à la renais­sance d’une grande nation ren­due forte par le mythe de la race et du sang. De nou­veaux sur­hommes auraient anéan­ti pour tou­jours l’image « per­dante » du Cru­ci­fix catho­lique. Ce n’était qu’une ques­tion de temps. Il n’en fut pas ain­si. » (p. 331)
Il s’agit en défi­ni­tive d’un excellent livre, entre autres, bien écrit. Les pages sur la rafle des juifs de Rome sont à la fois docu­men­tées et tou­chantes. Un bon exemple – et cas d’anthologie – de science his­to­rique capable d’expliquer, et, quand il le faut, d’avertir, sur­tout les jeunes géné­ra­tions.

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