Revue de réflexion politique et religieuse.

Les paroisses pari­siennes à l’époque du Concile

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Vous par­lez de la popu­la­tion parois­siale, car c’est aus­si l’époque de la pro­tes­ta­tion des intel­lec­tuels contre l’abandon du latin : les plaintes de Mau­riac dans Le Figa­ro Lit­té­raire, les péti­tions d’écrivains.

Oui, mais dans les paroisses, ce que réclament les fidèles, c’est du silence, de l’intériorité, des temps de recueille­ment. L’ennemi numé­ro un des parois­siens récal­ci­trants, c’est l’animateur. Ils parlent de « capo­ra­lisme », de « bavar­dage ». Les parois­siens sont gênés dans leur approche de la messe, en ce sens que la litur­gie est conçue comme devant être com­mu­nau­taire, comme devant impli­quer chaque per­sonne. La mul­ti­pli­ca­tion des réponses, des actes à faire au sein de la litur­gie est l’application de ce qui est le thème domi­nant de l’époque et du mou­ve­ment mis­sion­naire : l’engagement. On voit sou­vent cet enga­ge­ment comme un enga­ge­ment syn­di­cal, enga­ge­ment dans la cité, enga­ge­ment dans les mou­ve­ments d’Action catho­lique, dans des cercles de réflexion. On ne per­çoit pas assez la réper­cus­sion que le thème a eue dans la litur­gie : il y a eu une volon­té d’engager le fidèle. Les bul­le­tins parois­siaux le disaient sou­vent : on ne doit pas assis­ter à la litur­gie, on doit y par­ti­ci­per. La par­ti­ci­pa­tion, par exemple le fait de chan­ter, y com­pris dans l’ancien rite, était consi­dé­rée comme une néces­si­té. Il fal­lait être pré­sent du début jusqu’à la fin et non pas par­tir immé­dia­te­ment après la com­mu­nion. En ce sens-là, j’ai pu par­ler de l’existence d’une part de néo-tri­den­ti­nisme dans l’esprit des réformes conci­liaires. On avait la volon­té de recon­ver­tir les pra­ti­quants. On esti­mait qu’ils étaient deve­nus trop indi­vi­dua­listes. La gêne des fidèles mani­fes­tait une sorte de réti­cence par rap­port à cet enga­ge­ment. On voit là une conti­nui­té dans la men­ta­li­té catho­lique en France : les cathé­drales asso­cia­tives du catho­li­cisme inté­gral, puis­santes et flo­ris­santes en Alle­magne, n’ont jamais été que de modestes cha­pelles en France. Il y a tou­jours eu beau­coup d’individualisme, de réserve, beau­coup de retrait. Emile Pou­lat a par­lé d’un « catho­li­cisme bour­geois ».
L’autre élé­ment de rejet dans les paroisses est le regret des chan­ge­ments concer­nant les chants. Il est cer­tain que l’introduction du réper­toire Géli­neau n’a pas tou­jours été bien per­çue. Il y avait un atta­che­ment au chant tra­di­tion­nel. Il y a eu en par­ti­cu­lier, à l’époque, une bataille autour de « Minuit chré­tien ». Ce sont des réac­tions qui sont très cultu­relles, qui touchent à la fois une cer­taine approche du sacré et de la pié­té au sein de la litur­gie, et qui mani­festent aus­si un atta­che­ment vis­cé­ral au lieu, au bâti­ment église. Car les fidèles étaient très atta­chés à l’aménagement inté­rieur des églises. Ils avaient le sen­ti­ment que le prêtre n’a pas pleine auto­ri­té sur la paroisse, qu’il ne peut déci­der à sa guise des sta­tues, des décors, de l’architecture. Près de trois-quarts de siècle après la Sépa­ra­tion, on retrouve l’esprit des conseils de fabrique, dans les­quels les fabri­ciens avaient juri­di­que­ment leur mot à dire sur l’aménagement des églises.

Para­doxe bien connu d’un idéal démo­cra­tique à marches for­cées, qui se heurte à la volon­té popu­laire !

Je peux citer le P. Yvan Daniel, qui me disait, avec beau­coup de regret : « Ah ! Il est vrai qu’à l’époque, nous ne consul­tions pas beau­coup les laïcs et que nous ne tenions pas grand compte de leur avis ». Un autre témoi­gnage m’a été don­né par le P. Pon­sar, à St-Séve­rin. Une équipe litur­gique avait été consti­tuée du temps du P. Connan, en 1961. Cette équipe litur­gique avait un rôle moteur et le P. Pon­sar se trou­vait en posi­tion de frein. L’orgue (dont Michel Cha­puis était titu­laire) était poin­té d’un doigt accu­sa­teur par les mili­tants de la com­mis­sion de litur­gie parce qu’il empié­tait sur le chant col­lec­tif. Les mor­ceaux étaient trop longs. Cer­tains l’auraient même condam­né au silence sans ver­gogne. Le P. Pon­sar, qui a tou­jours eu un sens très vif de l’esthétique en géné­ral et de la musique en par­ti­cu­lier, a dû se faire le défen­seur de l’orgue et de sa place au sein de la litur­gie. Mais, me disait-il, les choses évo­luant, à la fin de son minis­tère à St-Séve­rin, en 1967, il avait dis­sous la com­mis­sion de litur­gie. Car les rôles s’étaient inver­sés et la com­mis­sion était deve­nue beau­coup plus conser­va­trice que lui. Elle n’était plus utile. Il est inté­res­sant de voir qu’en fait cette par­ti­ci­pa­tion des laïcs était sou­vent une par­ti­ci­pa­tion-pré­texte. Serge Bon­net a par­lé des ava­tars du clé­ri­ca­lisme sous la Ve Répu­blique, dans un ouvrage fort célèbre. Les prêtres qui ont vécu cela en ont été conscients.

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