Revue de réflexion politique et religieuse.

Sources et pers­pec­tives

Article publié le 12 Juin 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Qu’est-ce que la théo­lo­gie du peuple, théo­lo­gie prin­ci­pa­le­ment argen­tine ? Est-elle une variante de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion, ou une pen­sée sub­stan­tiel­le­ment dif­fé­rente ? Ces ques­tions, presque incon­grues il y a encore peu de temps, sauf en des cercles spé­cia­li­sés, se sont posées plus lar­ge­ment depuis l’élection sur le Siège de Pierre de Jorge Mario Ber­go­glio, lui-même de natio­na­li­té argen­tine. C’est entre autres vers ce cou­rant théo­lo­gique, mais aus­si phi­lo­so­phique, que l’on se tourne pour com­prendre les tenants et abou­tis­sants des inter­ven­tions papales dans les­quelles les mots « peuple », « pauvres », « péri­phé­ries » reviennent plus que fré­quem­ment, inter­ven­tions où résonnent des accents allant par­fois du côté de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion, par­fois du côté de la dévo­tion popu­laire, accents empreints de beau­coup d’empathie. Qu’une grande part de cela relève du tem­pé­ra­ment d’un homme, de ses réfé­rences intel­lec­tuelles et spi­ri­tuelles éclec­tiques, sans doute ; il est tou­te­fois per­mis de son­der, non un homme, mais une théo­lo­gie, cette théo­lo­gie du peuple pour, éven­tuel­le­ment, en rece­voir quelque éclai­rage ((. On ne fera pas ici une ana­lyse sys­té­ma­tique des inter­ven­tions du pape Fran­çois, mais seront indi­qués en note, la plu­part du temps, des pas­sages de ses inter­ven­tions, notam­ment de l’exhortation apos­to­lique Evan­ge­lii gau­dium, qui indi­que­ront la proxi­mi­té entre la théo­lo­gie du peuple et le dis­cours de l’actuel pape.)) . La pré­sente étude se conten­te­ra d’analyser la notion de « peuple » telle que la théo­lo­gie épo­nyme la déve­loppe. Et puisqu’elle se reven­dique for­te­ment, sur ce point, du concile Vati­can II, par­ti­cu­liè­re­ment de la mise en valeur de la notion de « peuple de Dieu » dans la consti­tu­tion dog­ma­tique sur l’Eglise, Lumen gen­tium, il paraît assez natu­rel d’entrer par cette porte ; en fait, plu­tôt, d’emprunter un che­min plus res­treint : non la notion de « peuple de Dieu » dans le cor­pus conci­liaire, mais les élé­ments les plus signi­fi­ca­tifs de ce cor­pus rete­nus par les théo­lo­giens de cette école : l’unité du peuple, le lien entre peuples et peuple de Dieu, la sagesse popu­laire éle­vée au niveau du sen­sus fide­lium, tout cela selon une pers­pec­tive prin­ci­pa­le­ment his­to­rique, dont l’ancrage conci­liaire se trouve dans la notion de « signes des temps ».
Sur cette notion de peuple de Dieu, déve­lop­pée par le concile Vati­can II (non qu’il l’ait inven­tée bien évi­dem­ment, mais cer­tains accents sont à l’évidence nou­veaux), on sait quelles ont été et quelles sont encore, de divers hori­zons, les cri­tiques qui ont été avan­cées, cer­taines visant le texte lui-même, d’autres les fausses inter­pré­ta­tions qui en furent don­nées. Dans une confé­rence pro­non­cée en l’an 2000, le car­di­nal Joseph Rat­zin­ger, alors pré­fet de la Congré­ga­tion pour la Doc­trine de Foi, se pla­çait cer­tai­ne­ment dans la seconde pers­pec­tive, mais sem­blait aus­si poin­ter un défi­cit concep­tuel du docu­ment conci­liaire, que le magis­tère pos­té­rieur avait réso­lu par l’introduction de la notion de « com­mu­nion », à peu de choses près absente des textes de Vati­can II, au moins très secon­daire : « Dans une pre­mière phase de la récep­tion du Concile, ce qui domi­na, avec le thème de la col­lé­gia­li­té, c’est le concept de peuple de Dieu qui, très vite, à par­tir de l’emploi lin­guis­tique, géné­ral en poli­tique, du mot peuple, fut com­pris, dans le cadre de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion, selon l’emploi du mot mar­xiste de « peuple », comme oppo­si­tion aux classes domi­nantes et, plus géné­ra­le­ment et encore plus lar­ge­ment, au sens de la sou­ve­rai­ne­té du peuple, qu’on devrait en fin de compte appli­quer désor­mais éga­le­ment à l’Eglise. » ((. Joseph Rat­zin­ger, « L’ecclésiologie de la Consti­tu­tion conci­liaire Lumen gen­tium », confé­rence au congrès d’études sur le concile Vati­can II, 25–27 février 2000, in : La Docu­men­ta­tion catho­lique, n. 2222, pp. 251–253. La confé­rence peut être lue sur le site de la Congré­ga­tion pour le cler­gé : http://www.clerus.org/clerus/dati/2001–05/10–6/RatziVII.html))  La théo­lo­gie du peuple – on entend le mon­trer – n’est pas exempte en tota­li­té de ces cri­tiques ; on ne sau­rait donc dis­tin­guer de manière tout à fait assu­rée théo­lo­gie du peuple et théo­lo­gie de la Libé­ra­tion, la pre­mière échap­pant tota­le­ment aux cri­tiques por­tées contre l’autre. Pour autant, le mot « peuple » n’a pas au pre­mier abord, dans la théo­lo­gie épo­nyme, la signi­fi­ca­tion rap­pe­lée par le car­di­nal Rat­zin­ger et qui a fait l’objet de mises en garde de l’Eglise à l’encontre de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion, c’est-à-dire de « peuple, comme oppos[é] aux classes domi­nantes ». Le père jésuite argen­tin Scan­none, un des fon­da­teurs et tenants actuels les plus signi­fi­ca­tifs de ce cou­rant théo­lo­gique et, qui plus est, ancien pro­fes­seur et ami du pape Fran­çois, carac­té­rise de manière très claire cette dif­fé­rence de point de départ : « « peuple » est une caté­go­rie qui sup­pose une uni­té anté­rieure au conflit » ((. Juan Car­los Scan­none, « Pers­pec­ti­vas eccle­sioló­gi­cas de la « teo­logía del Pue­blo » en la Argen­ti­na », in San­dro Paniz­zo­lo et al.(eds.), Eccle­sia ter­tii mil­len­ni adve­nien­tis. Omag­gio al P. Ángel Antón, Piemme, Casale Mon­fer­ra­to, 1997. Repro­duc­tion inté­grale : http://bibliotecacatolicadigital.org/FICHAS/Teologia_latina/perspectivas_eclesiologicas.htm)) . Qu’est alors ce peuple ? La notion est proche, déclare le même, de celle de nation : un ter­ri­toire et un Etat en sont des élé­ments fon­da­men­taux, mais plus impor­tantes sont les dimen­sions cultu­relles et his­to­riques. Le peuple est « le sujet d’une his­toire (mémoire, conscience et pro­jet his­to­rique) et d’une culture com­munes » (ibid.). Mais cela ne suf­fit pas à en faire l’objet, et moins encore le sujet d’une théo­lo­gie : ce qui rend cela pos­sible tient en ce que cette réa­li­té his­to­ri­co-cultu­relle est aus­si une réa­li­té théo­lo­gale, en ce sens que le peuple a été évan­gé­li­sé et qu’il vit de cette évan­gé­li­sa­tion, qu’il en est une mani­fes­ta­tion. Un pas­sage de la Consti­tu­tion Lumen gen­tium doit être ici cité, comme un des fon­de­ments de cette asser­tion : « L’unique Peuple de Dieu est pré­sent à tous les peuples de la terre, emprun­tant à tous les peuples ses propres citoyens, citoyens d’un Royaume dont le carac­tère n’est pas de nature ter­restre mais céleste. Tous les fidèles, en effet, dis­per­sés à tra­vers le monde, sont, dans l’Esprit Saint, en com­mu­nion avec les autres, et, de la sorte « celui qui réside à Rome sait que ceux des Indes sont pour lui un membre ». Mais comme le Royaume du Christ n’est pas de ce monde (cf. Jn 18, 36), l’Eglise, Peuple de Dieu par qui ce Royaume prend corps, ne retire rien aux richesses tem­po­relles de quelque peuple que ce soit, au contraire, elle sert et assume toutes les capa­ci­tés, les res­sources et les formes de vie des peuples en ce qu’elles ont de bon ; en les assu­mant, elle les puri­fie, elle les ren­force, elle les élève. » (n.13) Il est ici, bien évi­dem­ment, ques­tion d’inculturation ; tou­te­fois, le « peuple » de cette théo­lo­gie n’est pas un peuple auquel une pre­mière annonce est faite, mais celui en lequel l’Evangile et l’Eglise sont pro­fon­dé­ment et depuis long­temps ancrés : « L’idée de fond est que le peuple d’Amérique latine a déjà été évan­gé­li­sé et pré­sente ain­si de nom­breux élé­ments qui ne sont pas seule­ment des « semences » mais encore des « fruits » du Verbe. […] Il ne s’agit pas d’une reli­gion natu­relle, sim­ple­ment « semence » du Verbe, […] [mais] d’un authen­tique catho­li­cisme popu­laire, « fruit » du Verbe. » ((. J.C. Scan­none, « Teo­lo­gia del Popo­lo », entre­tien avec Ales­san­dro Arma­to, dans Mon­do e Mis­sione, novembre 2011, http://www.missionline.org/index.php?l=it&art=4170 ))  On peut alors par­ler, dans cette pers­pec­tive, d’une sagesse du peuple, ou popu­laire, qui a à voir avec le sen­sus fide­lium. Rap­pe­lons tout d’abord ce que Lumen gen­tium en affirme, dans le para­graphe (n. 12) qui pré­cède l’extrait cité plus haut : « La col­lec­ti­vi­té des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20.27), ne peut se trom­per dans la foi ; ce don par­ti­cu­lier qu’elle pos­sède, elle le mani­feste moyen­nant le sens sur­na­tu­rel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, « des évêques jusqu’aux der­niers des fidèles laïcs », elle apporte aux véri­tés concer­nant la foi et les mœurs un consen­te­ment uni­ver­sel. Grâce en effet à ce sens de la foi qui est éveillé et sou­te­nu par l’Esprit de véri­té, et sous la conduite du magis­tère sacré, pour­vu qu’il lui obéisse fidè­le­ment, le Peuple de Dieu reçoit non plus une parole humaine, mais véri­ta­ble­ment la Parole de Dieu (cf. 1Th 2, 13), il s’attache indé­fec­ti­ble­ment à la foi trans­mise aux saints une fois pour toutes (cf. Jude 3), il y pénètre plus pro­fon­dé­ment par un juge­ment droit et la met plus par­fai­te­ment en œuvre dans sa vie. » On pour­ra alors affir­mer de la per­son­na­li­té col­lec­tive, cultu­relle et théo­lo­gale, du peuple esquis­sée à l’instant : « Il semble pré­fé­rable de par­ler de « sen­sus popu­li« plus que de « sen­sus fide­lium ». Le sujet du « sen­sus fide­lium » pour­rait être sim­ple­ment la somme des indi­vi­dus qui croient les mêmes véri­tés. En revanche, le « sen­sus popu­li » est celui d’un sujet com­mu­nau­taire, le peuple, qui à par­tir de sa com­mune expé­rience chré­tienne s’exprime dans la pro­duc­tion d’une culture propre et par­ti­cu­lière, ouvrant aux autres un accès à la même expé­rience : « le peuple évan­gé­lise le peuple ». » ((. Vic­tor Manuel Fernán­dez, « El « sen­sus popu­li » : la legi­ti­mi­dad de una teo­logía desde el pue­blo », dans Revis­ta Teo­logía [Bue­nos Aires], tome XXXIV, n. 72, 1998, pp. 133–164 ; ici p. 162. Cf. aus­si cette cita­tion du pape Fran­çois : « Nous pou­vons pen­ser que les divers peuples, chez qui l’Evangile a été incul­tu­ré, sont des sujets col­lec­tifs actifs, agents de l’évangélisation. Ceci se véri­fie parce que chaque peuple est le créa­teur de sa culture et le pro­ta­go­niste de son his­toire. La culture est quelque chose de dyna­mique, qu’un peuple recrée constam­ment, et chaque géné­ra­tion trans­met à la sui­vante un ensemble de com­por­te­ments rela­tifs aux diverses situa­tions exis­ten­tielles, qu’elle doit éla­bo­rer de nou­veau face à ses propres défis. » (Exhor­ta­tion apos­to­lique Evan­ge­lii gau­dium, n. 121).))
Vient alors une ques­tion : peut-on, et com­ment, appli­quer à ce sen­sus popu­li la note d’infaillibilité propre au sen­sus fide­lium, ce qui, soit dit en pas­sant, passe par une exten­sion du champ d’application à la culture, et non pas seule­ment à la foi et aux mœurs ? Pour ce faire, la théo­lo­gie du peuple éta­blit une rela­tion d’analogie entre le peuple ani­mé par le sen­sus popu­li et le peuple de Dieu (l’Eglise), sujet du sen­sus fide­lium. Plus pré­ci­sé­ment, elle applique à la notion de peuple l’architecture que cer­tains théo­lo­giens ont don­née à l’Eglise en la qua­li­fiant « Eglise d’Eglises ». De manière iden­tique, on par­le­ra donc, pour qua­li­fier le peuple de Dieu, de « peuple de peuples ».
Les cri­tiques adres­sées à la théo­lo­gie du peuple, sur ce point, viennent de tous côtés. Pour la théo­lo­gie de la libé­ra­tion, le terme de « peuple », pour dési­gner l’Eglise, le peuple de Dieu, ne peut avoir qu’un sens méta­pho­rique, si la réfé­rence prise est celle du peuple comme réa­li­té his­to­rique, cultu­relle et sociale – ce qui est encore plus vrai si les concepts mar­xistes pré­sident à cette réfé­rence ; on ne sau­rait alors rien infé­rer à par­tir d’une ambi­guï­té de ce type. Pour d’autres, socio­logues et phi­lo­sophes actuels ((. Fáti­ma Hur­ta­do López, « Pen­sée cri­tique lati­no-amé­ri­caine : de la phi­lo­so­phie de la libé­ra­tion au tour­nant déco­lo­nial », in : Cahiers des Amé­riques latines, n. 62, 2010, pp. 23–35 ; http://cal. revues.org/1509)) , le concept de peuple ici déve­lop­pé, et plus encore celui de sagesse popu­laire – avec le poids que le rap­pro­che­ment avec l’Eglise et le sens de la foi leur octroient –, ne peuvent que jus­ti­fier les conser­va­tismes poli­tiques, sociaux et reli­gieux, et ain­si rendre inopé­rante la libé­ra­tion que reven­dique tout de même, à sa manière, la théo­lo­gie du peuple. Ces deux ensembles de cri­tiques ont en com­mun l’analyse socio­lo­gique ; on peut en avan­cer une autre, plus théo­lo­gique et à laquelle on accor­de­ra plus de cré­dit. Pour en com­prendre l’enjeu, à par­tir des pré­sup­po­sés de la théo­lo­gie du peuple, il faut reve­nir  au n. 13 de Lumen gen­tium déjà cité : « L’Eglise, Peuple de Dieu par qui ce Royaume prend corps, ne retire rien aux richesses tem­po­relles de quelque peuple que ce soit, au contraire, elle sert et assume toutes les capa­ci­tés, les res­sources et les formes de vie des peuples en ce qu’elles ont de bon ; en les assu­mant, elle les puri­fie, elle les ren­force, elle les élève. » A quoi on ajou­te­ra la phrase, qui vient peu après : « En ver­tu de cette catho­li­ci­té, cha­cune des par­ties apporte aux autres et à l’Eglise tout entière le béné­fice de ses propres dons, en sorte que le tout et cha­cune des par­ties s’accroissent par un échange mutuel uni­ver­sel et par un effort com­mun vers une plé­ni­tude dans l’unité. » Ce qu’un théo­lo­gien argen­tin, Gal­li, tra­duit ain­si : « « peuple de peuples » ne signi­fie pas seule­ment qu’il s’agit d’un « peuple for­mé d’individus pris dans les peuples », mais « aus­si d’un peuple enri­chi par les cultures » des peuples, car l’incarnation dans les peuples et l’assomption de leurs qua­li­tés cultu­relles appar­tiennent à l’ecclésialité. Et parce que, dans la catho­li­ci­té, la pri­mau­té de l’universel inclut les varia­tions par­ti­cu­lières. » ((. Cité par J.C. Scan­none, in « Pers­pec­ti­vas eccle­sioló­gi­cas de la « teo­logía del Pue­blo » en la Argen­ti­na », loc. cit. ))  Dès lors, les par­ti­cu­la­ri­tés cultu­relles des peuples acquièrent une valeur ecclé­sio­lo­gique de pre­mier ordre et, à cer­tains égards, soté­rio­lo­gique (dans le cadre du moment de libé­ra­tion de cette théo­lo­gie).
Ne se trouve-t-on pas ici dans une variante du débat immé­dia­te­ment ecclé­sio­lo­gique, dont les car­di­naux Rat­zin­ger et Kas­per avaient été les pro­ta­go­nistes les plus émi­nents, sur la pri­mau­té his­to­rique et sur­tout onto­lo­gique de l’Eglise uni­ver­selle ou des Eglises par­ti­cu­lières ? Sans pou­voir reve­nir ici sur les termes de ce débat ((. Cf. note 1 supra.)) , on appor­te­ra très clai­re­ment notre accord à la posi­tion du car­di­nal Rat­zin­ger, c’est-àdire à la pri­mau­té de l’Eglise uni­ver­selle sur toute Eglise par­ti­cu­lière. Mais alors le glis­se­ment du sen­sus fide­lium à la sagesse du peuple, avec le sen­sus popu­li comme terme médian, ne peut conser­ver la note d’infaillibilité qui appar­tient au pre­mier terme, sauf à ins­crire tous ces termes dans un rap­port clair à une auto­ri­té et à l’enseignement de cette auto­ri­té : c’est le cas du sen­sus fide­lium, infaillible certes parce qu’il est une réa­li­té théo­lo­gale décou­lant de la grâce, mais aus­si parce qu’il se place « sous la conduite du magis­tère sacré, pour­vu qu’il lui obéisse fidè­le­ment » (Lumen gen­tium n. 12). Or la théo­lo­gie du peuple recèle quelques relents anti-intel­lec­tua­listes, une méfiance, pas for­cé­ment dénuée de tout fon­de­ment (pen­sons au slo­gan : il faut évan­gé­li­ser la reli­gion popu­laire), mais sys­té­ma­ti­sée, envers les élites cultu­relles et ecclé­siales sus­pectes de vou­loir impo­ser une culture et une reli­gion plus « pures ». Certes, l’ancrage dans une tra­di­tion longue et une cer­taine exten­sion sociale jouent un rôle de sta­bi­li­sa­tion sur des bases et des struc­tures de vie et de pen­sée assu­rées. Mais est-ce encore le cas ? Le choc de la moder­ni­té, par­ti­cu­liè­re­ment de l’urbanisation bru­tale et mas­sive, avec sa force de désta­bi­li­sa­tion des sys­tèmes tra­di­tion­nels, semble assez absent de la réflexion. S’il faut en res­ter au cadre théo­rique de cette théo­lo­gie, remar­quons donc qu’il se jus­ti­fie mieux dans une pers­pec­tive ecclé­sio­lo­gique (celle de la pri­mau­té his­to­rique et onto­lo­gique des Eglises par­ti­cu­lières) qui est et la moins clas­sique et la moins solide dans ses fon­de­ments. Ce qui, admet­tons-le, ne remet pas en cause la recon­nais­sance de l’existence et de la valeur de cette réa­li­té com­mu­nau­taire, his­to­rique, cultu­relle et théo­lo­gale qu’on pour­rait peut-être, moyen­nant des ajus­te­ments, qua­li­fier de civi­li­sa­tion chré­tienne.
La notion de peuple dans la théo­lo­gie du même nom ne s’arrête pas au déploie­ment de cette uni­té ini­tiale. Il convient d’y ajou­ter un élé­ment majeur, son cœur : les pauvres. Et ce, selon trois axes : ce qu’est la sagesse popu­laire en sa sub­stance, le non-enfer­me­ment sur soi, sa science ou son pou­voir, les signes des temps.

-->