Revue de réflexion politique et religieuse.

Isa­belle Atta­né : Au pays des enfants rares. La Chine vers une catas­trophe démo­gra­phique

Article publié le 10 Fév 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

« Trente ans de com­mu­nisme n’avaient pas réus­si à venir à bout des inéga­li­tés entre villes et cam­pagnes dans l’accès à la san­té » (p. 90) ; à l’horizon 2050, la Chine, pays des per­for­mances éco­no­miques for­mi­dables, céde­ra sans aucun doute sa place de pre­mière puis­sance démo­gra­phique à l’Inde, « belle vic­toire […] qui n’était pas gagnée d’avance » car ses pro­blèmes seraient encore plus impor­tants avec deux ou trois cents mil­lions d’habitants sup­plé­men­taires…
L’auteur, qui dénonce à plu­sieurs reprises les man­que­ments de l’Etat mais sans cri­tique de fond du régime actuel (elle évoque une seule fois ce régime qui « se pré­tend pour­tant encore d’obédience socia­liste », p. 199), est par­fois sur­pre­nante par ses juge­ments (voir aus­si pp. 151–157 le pas­sage sur le non-enga­ge­ment de l’Etat par rap­port à l’éducation sexuelle, « assis­tance pour­tant indis­pen­sable ».) Elle pré­sente cepen­dant ici un inté­res­sant por­trait démo­gra­phique et social de la Chine qui ne donne vrai­ment pas envie d’y être né. Si les situa­tions sont dis­pa­rates, glo­ba­le­ment seuls les jeunes cita­dins issus des classes sociales moyennes et hautes tirent pro­fit de la moder­ni­sa­tion de « l’usine du monde ». A un extrême de l’échelle sociale en effet, essen­tiel­le­ment dans les villes, se trouve l’enfant unique (« La tyran­nie des petits empe­reurs ») for­mé à l’excellence dès son plus jeune âge, en vue de la per­for­mance, symp­tôme « d’une Chine malade de sa propre fré­né­sie de pro­grès et de réus­site, de sa quête de com­pé­ti­ti­vi­té », source de dépenses très éle­vées, et qui fait s’inverser les rap­ports de res­pect au sein de la famille. Ici, « déci­der d’éliminer une fille ne relève pas d’un débat moral mais bien d’un choix éco­no­mique ; éle­ver un enfant coûte désor­mais très cher et, pour cer­tains d’entre eux, cette dépense n’est pas for­cé­ment jus­ti­fiée… sur­tout si l’enfant est de sexe fémi­nin » (p. 71). A l’autre extré­mi­té, des mil­lions d’enfants per­dus dans le sillage des réformes éco­no­miques, « une masse silen­cieuse dépour­vue de presque tout », vivant dans une pau­vre­té extrême. Et là, l’auteur énu­mère et détaille un cer­tain nombre de situa­tions direc­te­ment issues de cette moder­ni­sa­tion dévo­reuse à tout prix d’une main‑d’oeuvre au moindre coût. Elle évoque ain­si le « fémi­ni­cide » (avant la nais­sance ou après par « défaut » volon­taire de soins) tou­jours plus répan­du ; l’accès aux soins très res­treint et très coû­teux ; la situa­tion des enfants de migrants arri­vés avec leurs parents dans les villes et deve­nus enfants des rues, obli­gés de men­dier, cibles pour des réseaux orga­ni­sés, par­fois même ven­dus à des tra­fi­quants par leurs propres parents accu­lés par la misère ; la rup­ture des familles, les enfants lais­sés au vil­lage par leurs parents par­tis tra­vailler « à la ville » par­fois sans retour ; les taux de mal­for­ma­tion records dans la pro­vince de Shan­xi, en rai­son de la pol­lu­tion extrême des sols et de l’air (intoxi­ca­tion au plomb à proxi­mi­té des fon­de­ries), où les usines sont for­cées à la fer­me­ture mais où le gou­ver­ne­ment hésite en rai­son de l’activité éco­no­mique qu’elles engendrent ; la situa­tion des enfants « noirs », nés au-delà des quo­tas de nais­sance auto­ri­sés, jamais enre­gis­trés à l’état civil, sans papiers et donc mar­gi­na­li­sés ; l’exploitation des enfants tra­vailleurs notam­ment dans des usines clan­des­tines avec la com­pli­ci­té du gou­ver­ne­ment local… Etc. La Chine a peut-être réus­si « sa tran­si­tion démo­gra­phique », ce qui n’est d’ailleurs pas évident au regard de l’écart crois­sant de la pro­por­tion hommes-femmes, du vieillis­se­ment de la popu­la­tion fai­sant peser sur les enfants un far­deau très lourd, d’une espé­rance de vie très courte chez des tra­vailleurs pous­sés à l’épuisement… mais elle n’est pas encore par­ve­nue au stade de l’avènement d’une « socié­té plus har­mo­nieuse » selon les termes de l’auteur.

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