L’offre de paix séparée de Charles 1er d’Autriche
Czernin fait allusion aux pourparlers Armand/Revertera de l’été précédent qui avaient eu lieu à sa propre initiative. Devant des allégations aussi fausses, la réponse de Clemenceau — qui n’avait formé son gouvernement que le 16 novembre 1917 — est cinglante : « Le comte Czer-nin a menti ! » S’en suit une guerre par journaux interposés qu’aucune des parties n’a la sagesse d’arrêter et qui aboutit à la publication par Clemenceau de la première lettre impériale, malgré la parole d’honneur qu’avaient donnée tant Poincaré que Ribot de ne pas la divulguer. Une campagne de presse, généreusement subventionnée par Ludendorff — à l’exception notable de la presse socialiste et radicale — se déchaîne contre l’empereur — auquel on reproche entre autres d’avoir eu recours à un ennemi comme émissaire — et la Monarchie. La situation de Charles devient précaire ((Le prince von Hohenlohe, ambassadeur de Charles à Berlin, avait, le 13 juin 1917, averti Vienne que Guillaume menaçait d’envahir l’Autriche et d’occuper Prague à cause des « <i>menées secrètes autrichiennes contre l’alliance austro-allemande </i>» (Kovacs, <i>op. cit., </i>p. 178).)) . Il réussit, le 14 avril, à se débarrasser de Czernin qui préparait un coup d’Etat et rencontre Guillaume II à Spa le 12 mai auquel il rappelle qu’il l’avait régulièrement mis au courant de ses démarches sans toutefois lui révéler le nom de ses interlocuteurs, ce que l’empereur allemand ne peut nier. Les conséquences de la publication de la lettre impériale ((Le secrétaire d’Etat américain, Robert Lansing, écrivit dans un mémorandum à Wilson du 12 avril 1918, de cette publication qu’elle était « a piece of the most astounding stupidity, for which no sufficient excuse can be made. […] His disclosure has thrown Austria-Hungary bodily into the arms of Germany. […] Even if Karl wished to act otherwise, the stupidity of Clemenceau and the fear of Germany prevent. […] As an example of stupid diplomacy this performance is almost without parallel. [… ] How any statesman could throw away a strategic advantage without any equivalent other than the personal satisfaction of causing chagrin to an adversary is beyond comprehension. […] It is unfortunate that “The Tiger” of France does not possess a better control over his impulses, unfortunate for his country as well as for the cobelligerents of France. There was always the possibility of something resulting from the evident desire of the Austrian Emperor for peace almost at any price. That possibility the folly of Clemenceau has destroyed. » (reproduit dans Kovacs, <i>op. cit., </i>tome 2, pp. 343–344).)) sont dramatiques pour l’Autriche qui doit donner des garanties à l’Allemagne en envoyant des régiments sur le front occidental et perd une grande partie de ce qui lui restait de liberté vis-à-vis de l’Allemagne.
L’offre de paix de l’empereur Charles, qui a toujours cherché « en toute chose la volonté de Dieu, à la reconnaître et à la suivre » ((Comme il le dira, mourant, à l’impératrice Zita, ce que Jean-Paul II rappelait dans son homélie de la messe de béatification du bienheureux Charles d’Autriche (Rome, 3 octobre 2004).)) , est motivée par des convictions profondes de justice et d’équité, d’humanité, de souci constant des peuples de la Monarchie, et de respect du jus gentium classique, fondé sur le droit naturel. Par opposition à ces prin
cipes chrétiens, relayés par les appels en faveur de la paix de Benoît XV et les missions de Mgr Pacelli, alors nonce à Munich, ceux qui refusent la main tendue par l’empereur le font pour des considérations idéologiques diverses. Ils veulent abattre la monarchie catholique des Habsbourg, même si la guerre doit durer un an de plus et coûter, du seul côté français, 300 000 vies supplémentaires, et établir un nouvel ordre européen en traçant des frontières arbitrairement au nom du droit des peuples — qu’on se garde bien, la plupart du temps, de consulter — et qui auront notamment pour conséquence les guerres balkaniques récentes. Quelle différence avec celui qui écrivait deux ans plus tard : « Le monarque est seul responsable devant l’histoire. [… ] Je ne regrette pas une seconde la lettre à Sixte, et j’agirais aujourd’hui exactement de la même manière si je me trouvais dans la même situation. C’est <i>moi, </i>l’empereur, qui dois décider de la guerre et de la paix, et <i>je </i>porterais devant <i>Dieu </i>la responsabilité de toute occasion qui aurait été manquée de mettre un terme à cette effusion de sang inutile. […] Chaque jour, du matin au soir, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour donner la paix à mes peuples et sauver les fils et les parents des gens » ((« Réflexions politiques » de l’Empereur, Prangins, 1920, reproduites dans Kovacs, <i>op. cit., </i>tome 2, pp. 554–55.)) .