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L’offre de paix sépa­rée de Charles 1er d’Au­triche

Il y a quatre-vingt-dix ans s’a­che­vait la Grande Guerre. Plu­sieurs ten­ta­tives en faveur de la paix ont été entre­prises dès 1916. Une seule, pour­tant, a presque abou­ti, celle de l’empereur Charles Ier d’Au­triche, en 1917, connue sous le nom d’« affaire Sixte ». Cette offre de paix illustre une concep­tion de l’ordre inter­na­tio­nal fon­dée sur la jus­tice et l’é­qui­té et la recherche de la paix envi­sa­gée comme le pre­mier devoir d’un sou­ve­rain envers les peuples qui lui sont confiés.

Dès le len­de­main de son avè­ne­ment, le 22 novembre 1916, Charles Ier adresse à ses sujets ce res­crit : « Je veux tout faire pour ban­nir, dans le plus bref délai, les hor­reurs et les sacri­fices de la guerre et rendre à mes peuples les béné­dic­tions dis­pa­rues de la paix aus­si­tôt que le per­met­tront l’hon­neur des armes, les condi­tions vitales de mes Etats et de leurs fidèles alliés et l’en­tê­te­ment de nos enne­mis. […] Ani­mé d’un amour pro­fond pour mes peuples, je veux consa­crer ma vie et toutes mes forces au ser­vice de cette haute tâche » ((Prince Sixte de Bour­bon, <i>L’offre de paix sépa­rée de l’Au­triche, </i>Plon, 1920, p. 36.)) .
Le 12 décembre 1916, les ministres des Affaires étran­gères de Vienne et Ber­lin adressent aux Alliés une note sur la paix qui est reje­tée par l’En­tente le 31 décembre, jour du cou­ron­ne­ment de Charles comme roi apos­to­lique de Hon­grie. Charles n’au­ra de cesse d’in­sis­ter auprès de son allié alle­mand pour qu’il recherche la paix avec lui. Ain­si écrit-il par exemple le 2 jan­vier 1917 à Guillaume II : « [M]on idéal, que vous approu­vez cer­tai­ne­ment, est de favo­ri­ser le désir du monde entier : par­ve­nir enfin à des négo­cia­tions sérieuses et accep­tables pour nos peuples et pour l’hu­ma­ni­té. C’est là notre devoir » ((Cité par Michel Dugast Rouillé, <i>Charles de Habs­bourg, </i>éditions Racine, Bruxelles, 2003, p. 65.)) .

L’empereur, connais­sant l’in­fluence des milieux pan­ger­ma­nistes et de l’ar­mée sur la diplo­ma­tie aus­tro-hon­groise, décide d’employer éga­le­ment d’autres voies, se rap­pe­lant sans doute une lettre que le prince Sixte de Bour­bon-Parme, fils du der­nier duc régnant de Parme, Robert, avait adres­sée en jan­vier 1915 à sa sœur, alors l’ar­chi­du­chesse Zita ((On ne sau­rait trop sou­li­gner l’in­fluence de l’im­pé­ra­trice Zita dans l’offre autri­chienne. Voir notam­ment Antoine Redier, <i>Zita, prin­cesse de la paix, </i>La revue fran­çaise (éd.), 1930, en par­ti­cu­lier pp. 123–219.)) , épouse du futur Charles Ier. Il charge ain­si sa belle-mère, la duchesse douai­rière de Parme, d’ex­po­ser à ses fils, Sixte et Xavier ((Tous deux servent depuis le 25 août 1915 dans l’ar­tille­rie belge, la France ayant décli­né leur offre de rejoindre ses armées.)) , qu’elle ren­contre en Suisse le 29 jan­vier 1917, son « désir […] de [les] voir pour s’en­tre­te­nir direc­te­ment avec [eux] de la paix » ((Bour­bon, <i>op. cit., </i>p. 39.)) , ou, si venir à Vienne leur parais­sait impos­sible, il leur pro­pose d’en­voyer en Suisse une per­sonne de confiance pour leur com­mu­ni­quer ses vues. Seule cette der­nière éven­tua­li­té semble envi­sa­geable aux princes qui veulent tou­te­fois en réfé­rer d’a­bord à Paris. Les princes indiquent comme préa­lables du point de vue fran­çais les points sui­vants : la res­ti­tu­tion de l’Al­sace et la Lor­raine de 1814 ((C’est-à-dire avec Lan­dau et Saar­louis, per­dues au Congrès de Vienne, après les Cent-Jours.))  à la France sans aucune com­pen­sa­tion colo­niale ou autre, la Bel­gique res­ti­tuée et gar­dant le Congo, de même la Ser­bie, éven­tuel­le­ment agran­die de l’Al­ba­nie, et enfin Constan­ti­nople aux Russes.
Le 22 jan­vier 1917, Wil­son pro­clame le droit des peuples à dis­po­ser d’eux-mêmes ((Le dixième des Qua­torze Points de Wil­son énonce : « Aux natio­na­li­tés de l’Au­triche-Hon­grie, dont nous vou­lons voir la place pro­té­gée et assu­rée entre les nations, doit être accor­dée la pos­si­bi­li­té la plus libre pour une évo­lu­tion auto­nome ». Il n’est pas ques­tion de dépe­çage de la Monar­chie, une idée à laquelle les Etats-Unis sont venus beau­coup plus tard.)) . Le 1er février, l’Al­le­magne déclenche la guerre sous-marine à outrance, met­tant Charles, qui veut s’y oppo­ser, devant le fait accom­pli.
De retour à Paris, le prince Sixte ren­contre le 11 février 1917, par l’in­ter­mé­diaire de William Mar­tin ((W. Mar­tin, est, de par sa fonc­tion, en rap­port per­ma­nent avec le pré­sident Poin­ca­ré. Des contacts avaient été éta­blis avec lui, dès jan­vier 1916. Dans un second entre­tien, le 26 juillet, Mar­tin fait part à Sixte de la posi­tion de Poin­ca­ré : « Il faut que l’Au­triche sub­siste, dans notre inté­rêt. » (Bour­bon, <i>op. cit., </i>p. 17))) , chef du ser­vice du pro­to­cole au Minis­tère des Affaires étran­gères, Jules Cam­bon ((Le prince Sixte avait déjà ren­con­tré Jules Cam­bon le 23 novembre 1916. Celui-ci lui avait fait part de ses vues : « Pour moi, je dési­re­rais ne voir sub­sis­ter qu’une seule cou­ronne impé­riale, celle d’Au­triche, en rédui­sant la Prusse à son royaume. » (Bour­bon, <i>op. cit., </i>p. 30))) , secré­taire géné­ral du Quai d’Or­say, ancien ambas­sa­deur à Ber­lin.

De cet entre­tien res­sortent l’in­té­rêt pour le gou­ver­ne­ment fran­çais d’en­ta­mer des négo­cia­tions avec la Monar­chie, par l’in­ter­mé­diaire du prince Sixte, et le sou­hait, expri­mé par Cam­bon, d’une ren­contre entre le prince, le pré­sident Poin­ca­ré et Briand, alors pré­sident du Conseil.

Sixte repart donc pour la Suisse où il s’en­tre­tient avec le comte Tho­mas Erdô­di ((Charles, l’en­voyant en mis­sion, lui avait dit : « Mon unique but est de mettre fin le plus tôt à cette hor­rible tue­rie. [… ] Je veux contraindre mes alliés à une plus grande modé­ra­tion, quoique je n’aie pas l’in­ten­tion de les lâcher. » (cité dans Dugast Rouillé, <i>op. cit., </i>p. 70))) , ami d’en­fance de l’empereur, les 13 et 21 février. Lors d’une pre­mière entre­vue, Erdô­di confirme l’ac­cep­ta­tion par Charles des condi­tions de Sixte mais, quant à la Ser­bie, l’empereur sou­haite la créa­tion d’un royaume sud-slave (you­go­slave) qui englo­be­rait la Bos­nie, la Ser­bie, l’Al­ba­nie et le Mon­té­né­gro et qui serait sous la dépen­dance de l’Au­triche, en écar­tant la dynas­tie Kara-geor­gé­vitch dont Vienne pense qu’elle avait trem­pé dans l’as­sas­si­nat de Sara­je­vo. L’i­dée d’une paix sépa­rée est accep­tée par les deux par­ties. Dans le second entre­tien, Erdô­di, après avoir confé­ré avec l’empereur, remet à Sixte une note osten­sible du ministre des Affaires étran­gères de la Monar­chie, le comte Czer­nin, amen­dée d’une note per­son­nelle et offi­cieuse de l’empereur, incon­nue de Czer­nin, par laquelle Charles déclare qu’il sou­tien­dra par tous les moyens la France vis-à-vis de l’Al­le­magne et exprime sa sym­pa­thie pour la Bel­gique. Il pré­cise que l’Au­triche « n’est abso­lu­ment pas sous la main alle­mande » et que son « seul but est de main­te­nir la Monar­chie dans sa gran­deur actuelle ».

Lors d’une entre­vue du prince avec Poin­ca­ré, le 5 mars, ce der­nier résume la situa­tion : « La filière à suivre sera donc celle-ci : obte­nir de l’Au­triche les quatre points essen­tiels ((Res­tait donc la ques­tion de la Ser­bie que l’Au­triche va finir par accep­ter.)) , com­mu­ni­quer ce résul­tat à l’An­gle­terre et à la Rus­sie sous une forme tout à fait secrète et voir s’il y a un moyen de s’en­tendre pour conclure un armis­tice secret. […] L’in­té­rêt de la France est non seule­ment de main­te­nir l’Au­triche, mais de l’a­gran­dir au détri­ment de l’Al­le­magne (Silé­sie ou Bavière) » ((Bour­bon, <i>op. cit., </i>pp. 67–68)) . Briand, consul­té par Poin­ca­ré le 6 mars, confirme cette approche. Déjà, l’on com­prend que les dif­fi­cul­tés vien­dront de l’I­ta­lie, mais Poin­ca­ré estime que les demandes ita­liennes pour­raient être com­pen­sées par des reprises sur l’Al­le­magne au pro­fit de la Monar­chie, ce que Charles refu­sa par la suite. La démis­sion de Lyau­tey, le 14 mars, entraîne la chute du minis­tère Briand, rem­pla­cé le 19 par le cabi­net Ribot, qui, tout en se décla­rant favo­rable à la pour­suite des négo­cia­tions, est net­te­ment plus réti­cent que son pré­dé­ces­seur.
Si l’é­qui­libre mili­taire per­dure entre les bel­li­gé­rants — l’Au­triche-Hon­grie ayant bat­tu à plu­sieurs reprises l’I­ta­lie sur l’I­son­zo —, la situa­tion de l’ar­rière devient dif­fi­cile tant dans la Monar­chie que dans le Reich.
De retour en Suisse le 19 mars, les princes sont pres­sés par Erdô­di de venir à Vienne pour dis­cu­ter avec l’empereur des moda­li­tés de son offre. Réti­cents, ils se rendent aux argu­ments de leur sœur : « Ne te laisse pas arrê­ter par des consi­dé­ra­tions qui, dans la vie cou­rante, seraient jus­ti­fiées. Pense à ces mal­heu­reux qui vivent dans l’en­fer des tran­chées, qui meurent par cen­taines tous les jours, et viens. » ((Bour­bon, <i>op. cit., </i>p. 82.))
Deux entre­tiens, les 23 et 24 mars, ont lieu dans le plus grand secret à Laxen­burg, aux­quels, outre les sou­ve­rains, Sixte et Xavier, assiste pour par­tie Czer­nin, que Sixte décrit comme « long, maigre et froid », réti­cent et si « flou qu’il est impos­sible de sai­sir le fond de sa pen­sée ». L’empereur insiste : « Il faut abso­lu­ment faire la paix, je le veux à tout prix […]. Mieux vaut donc consen­tir des arran­ge­ments équi­tables et je suis, pour ma part, tout dis­po­sé à le faire ». Tou­te­fois, il consi­dère que son devoir d’al­lié l’o­blige à ten­ter l’im­pos­sible pour ame­ner l’Al­le­magne à une paix juste et équi­table. Si cela ne mar­chait pas, il ferait la paix sépa­ré­ment. Le 24, il remet à Sixte une lettre auto­graphe ((Nul doute que cette lettre fut le fruit d’un tra­vail en com­mun, auquel Dugast Rouillé (op. <i>cit., </i>p. 82) pense que le prince Sixte a par­ti­ci­pé. Kovacs (op. <i>cit., </i>pp. 134 et 668) affirme qu’il y a eu 14 brouillons et qu’à Vienne on n’a­vait pas conser­vé de copie de la lettre fina­le­ment envoyée, si bien qu’il était impos­sible de savoir avec cer­ti­tude si la lettre publiée par Cle­men­ceau en avril 1918 était bien celle que l’empereur avait adres­sée aux puis­sances de l’En­tente.))  qui marque un grand suc­cès dans les négo­cia­tions en ce qu’elle adopte, sans réserve, la base pro­po­sée par Sixte en jan­vier pour ce qui est de la France, de la Bel­gique et de la Ser­bie, tout en réser­vant la ques­tion de Constan­ti­nople et des Détroits, compte tenu de la révo­lu­tion russe du 14 mars ((La Rus­sie révo­lu­tion­naire ne les reven­di­que­ra plus.)) . Rien n’est dit de l’I­ta­lie, Charles sou­hai­tant la média­tion de la France et de l’An­gle­terre. Il espère, après la fin du conflit, une alliance avec la France. Charles charge Sixte de trans­mettre secrè­te­ment sa lettre à la France et à l’An­gle­terre. Comme l’é­crit le prince Sixte, « les vues de l’empereur rela­tives à l’a­van­tage qu’offre tou­jours pour l’Eu­rope une paix de modé­ra­tion sur une paix de pré­pon­dé­rance marquent un sens poli­tique et un bon sens qui, mal­heu­reu­se­ment, ne sont pas com­muns ».

Après avoir lu la lettre de l’empereur, Poin­ca­ré déclare à Sixte, lors d’un troi­sième entre­tien, le 31 mars : « Il s’a­git donc, non point d’un armis­tice, mais d’une paix sépa­rée, des­ti­née à amoin­drir le bloc cen­tral, paix sépa­rée avec l’Au­triche qui, diplo­ma­ti­que­ment, se ran­ge­rait ensuite de notre côté » ((Bour­bon, <i>op. cit., </i>p. 104.)) , ajou­tant que l’o­pi­nion publique est, en France comme en Angle­terre, favo­rable à l’Au­triche — puis­qu’au­cun affron­te­ment entre leurs troupes n’a lieu jus­qu’à ce que les troupes fran­çaises et bri­tan­niques viennent ren­for­cer l’ar­mée ita­lienne après la débâcle de Capo­ret­to (9 novembre 1917) — et que Des­cha­nel, alors pré­sident de la Chambre, insiste pour que l’on fasse la paix avec l’Au­triche. Ribot, mis au cou­rant par Poin­ca­ré, décide d’al­ler trou­ver, le 11 avril, Lloyd George à Fol­kes­tone pour lui com­mu­ni­quer l’offre de Charles. A la lec­ture de la lettre impé­riale, le pre­mier ministre bri­tan­nique se serait écrié : « C’est la paix ! » ((Dugast Rouillé, <i>op. cit., </i>p. 84, et Kovacs, <i>op. cit., </i>p. 155.)) . C’est alors que Ribot sou­haite mettre l’I­ta­lie au cou­rant des négo­cia­tions. Sixte, très réti­cent puisque la lettre n’est des­ti­née qu’à la France et à l’An­gle­terre, finit par y consen­tir dès lors que Ribot s’en­gage à son­der l’I­ta­lie d’une manière géné­rale, sans citer l’empereur ni pro­duire sa lettre. Un som­met est convo­qué à Saint-Jean-de-Mau­rienne entre Lloyd George, Ribot et Son­ni­no, ministre ita­lien des Affaires étran­gères, pour le 19 avril.

Sixte sou­haite s’as­su­rer que le secret des ouver­tures autri­chiennes sera gar­dé et, pour cela, ren­contre Lloyd George à Paris, le 18. Celui-ci lui déclare l’a­mi­tié anglaise envers l’Au­triche et son sou­hait de par­ve­nir à une paix avec celle-ci, cette paix devant néces­sai­re­ment englo­ber l’I­ta­lie.
En même temps, le 3 avril, Charles ren­contre à Bad Hom­burg Guillaume II pour ten­ter de l’a­me­ner à des vues paci­fiques rai­son­nables, offrant à l’Al­le­magne de lui céder gra­tui­te­ment la Gali­cie si elle-même res­ti­tuait l’Al­sace et la Lor­raine à la France. Devant le refus de Guil-laume ((Pol­zer-Hoditz, direc­teur de cabi­net de Charles, écri­vit ces lignes amères : « Avec quelle ardeur sin­cère l’empereur Charles s’ef­for­çait de conclure la paix, et comme l’empereur Guillaume s’in­gé­niait à trai­ter ses efforts de baga­telles » <i>(L’Empereur Charles, </i>Grasset, 1939, p. 169).)) , Charles lui fait adres­ser, le 13 avril, un mémo­ran­dum dénon­çant l’al­liance avec le Reich pour le 11 novembre 1917 au plus tard.

A la suite du refus de Son­ni­no qui exige outre la ces­sion du Tren­tin de langue ita­lienne, celle de Trieste, de la Dal­ma­tie et des îles de la côte dal­mate (les deux der­niers ter­ri­toires étant pour­tant très majo­ri­tai­re­ment peu­plés de Slaves et non d’I­ta­liens), le gou­ver­ne­ment fran­çais noti­fie le 22 avril à Sixte sa réponse néga­tive à l’offre impé­riale, tout en lais­sant la porte ouverte pour l’a­ve­nir, si la Monar­chie accep­tait de consi­dé­rer les reven­di­ca­tions ita­liennes ; Cam­bon pen­sant que Trieste ((Trieste était le prin­ci­pal port autri­chien depuis 1382. Ain­si que Son­ni­no lui-même l’a­vait recon­nu, « reven­di­quer Trieste [dont la popu­la­tion est mixte] comme un droit serait une exa­gé­ra­tion du prin­cipe des natio­na­li­tés » ( <i>Rassegna set­ti­ma­nale, </i>29 mai 1881, cité dans Bour­bon, <i>op. cit.,</i>p. 385).))  et Trente pour­raient faire l’af­faire.
Or, il appa­raît que, vers le 12 avril, le roi d’I­ta­lie et le par­ti de Gio­lit­ti, oppo­sé à celui de Son­ni­no, avaient fait des ouver­tures à l’Au­triche via les léga­tions alle­mande puis autri­chienne à Berne, en deman­dant la ces­sion du seul Tren­tin de langue ita­lienne et de la ville d’A­qui­lée. Charles n’a pas don­né suite à cette offre de négo­cia­tion pour, estime-t-il, ne pas faire double emploi avec la média­tion de Sixte. Il veut en avoir le cœur net et prie son beau-frère de venir de nou­veau le trou­ver pour éclair­cir le double jeu ita­lien. Dans le même temps, la Monar­chie a reçu plu­sieurs offres de paix de la Rus­sie ((Ces offres seront renou­ve­lées fré­quem­ment jus­qu’à la paix de Brest-Litovsk, les offi­ciers russes, de même que la popu­la­tion civile, n’hé­si­tant pas à aller trou­ver les sol­dats aus­tro-hon­grois dans les tran­chées.)) .
Après l’é­chec de Bad Hom­burg, Charles, qui avait espé­ré ame­ner son allié à ses propres vues paci­fiques — et qui conti­nue­ra de cares­ser cet espoir jus­qu’au milieu de l’an­née 1917, tout en pla­çant cette option au second rang, sou­haite désor­mais une paix sépa­rée avec l’En­tente. Czer-nin, quant à lui, ne ces­se­ra jus­qu’à sa révo­ca­tion (14 avril 1918) de balan­cer entre paix sépa­rée et paix aus­tro-alle­mande. Cette der­nière, qui a la faveur du ministre, est tou­te­fois condam­née dans l’œuf par le refus alle­mand per­sis­tant de res­ti­tuer l’Al­sace-Lor­raine à la France, mal­gré les géné­reuses offres de dédom­ma­ge­ment autri­chiennes.

Sur ces entre­faites, Sixte part donc pour Laxen­burg où il ren­contre l’empereur et Czer­nin le 8 mai. Charles, tout en insis­tant sur sa volon­té d’une média­tion de la France et de l’An­gle­terre entre l’Au­triche-Hon­grie et l’I­ta­lie, se dit prêt à faire de justes sacri­fices à l’I­ta­lie pour­vu que ces ter­ri­toires soient « de langue et de sen­ti­ment ita­liens » ((Dans ce sens, voir la lettre du 10 juin 1917 de Pacel­li à Gas­par­ri : « Tut­to l’Im­pe­ro con tutte le sue nazio­na­li­tà è d’ac­cor­do col Gover­no che l’I­ta­lia non deb­ba otte­nere un pal­mo di ter­ri­to­rio aus­tria­co. Chi par­la in Aus­tria di ces­sione del Tren­ti­no si espone al per­ico­lo di essere accu­sa­to di alto tra­di­men­to ed ecci­ta lo sde­gno gene­rale » (cité dans Kovacs, <i>op. cit., </i>pp. 136–137).))  et que ces ces­sions soient com­pen­sées pour tenir compte de l’a­mour propre des peuples de la Monar­chie et de la situa­tion des armes, favo­rable à l’Au­triche. Il pour­rait s’a­gir de l’E­ry­thrée ou de la Soma­lie, récem­ment
conquises et comp­tant une popu­la­tion ita­lienne extrê­me­ment faible. De plus, Charles demande à l’En­tente de garan­tir le sta­tu quo du sur­plus de la Monar­chie et, si une paix sépa­rée devait être conclue, son appui en cas d’a­gres­sion alle­mande.

Il remet à Sixte, le 9, une seconde lettre auto­graphe, celle-ci contre­si­gnée par Czer­nin ((D’un point de vue de droit consti­tu­tion­nel, cette ques­tion du contre­seing est inté­res­sante, dans la mesure où, d’a­près la consti­tu­tion de 1867, tout acte de l’empereur devait être contre­si­gné par un ministre qui en endos­sait la res­pon­sa­bi­li­té. La pre­mière lettre impé­riale n’est pas contre­si­gnée et consti­tue donc un acte consti­tu­tion­nel­le­ment nul. <i>L’offre de paix </i>du prince Sixte repro­duit les deux lettres sans contre­seing, mais le <i>Kaiser Karl </i>d’E. Kovacs, Anhang II « Czer­nins Post­krip­ta » pp. 665 ss., se réfé­rant à des car­tons « Czer­nin » conser­vés aux Haus‑, Hof- und Staat­sar­chiv depuis 1994, affirme que la seconde lettre était contre­si­gnée, ce qui signi­fie que Czer­nin en endos­sait la res­pon­sa­bi­li­té. C’est vrai­sem­bla­ble­ment pour cela que le ministre l’a­vait fait dis­pa­raître des archives du Ball­haus­platz lors de sa révo­ca­tion, le 14 avril 1918.)) , qui reprend ces dif­fé­rentes pro­po­si­tions. Une note de Czer­nin l’ac­com­pagne.
Une der­nière entre­vue a lieu à Neu­châ­tel entre Erdô­di et Sixte, le 12 mai, après la rup­ture avec les Etats-Unis, ren­due inévi­table par l’at­ti­tude de Wil­son qui n’a­vait pas accep­té de rece­voir l’am­bas­sa­deur autri­chien, le comte Tar­nows­ki, venu lui pré­sen­ter ses lettres de créances. L’en­voyé impé­rial informe le prince des démarches des dépu­tés socia­listes autri­chiens qui ont prié l’empereur de conti­nuer sa poli­tique ten­dant à une paix hono­rable. Enfin, l’empereur pro­pose d’en­voyer un plé­ni­po­ten­tiaire en Suisse, le 15 juin, pour signer la paix, un accord sem­blant acquis pour­vu que l’I­ta­lie accepte de don­ner une de ses colo­nies en com­pen­sa­tion du Tren­tin et d’A­qui­lée.
Lors d’un troi­sième entre­tien avec Poin­ca­ré, en pré­sence cette fois-ci de Ribot, le 20 mai, Sixte pré­sente la seconde lettre impé­riale. Ribot se montre très réti­cent et pro­duit de nou­velles exi­gences à l’é­gard de l’Au­triche-Hon­grie (Rou­ma­nie, Pologne). Il se déclare sur­pris du double jeu ita­lien et exige de par­ler ouver­te­ment ((D’a­près le prince Sixte (op. cit., p. 262) et Pol­zer-Hoditz (op. cit., p. 174), Ribot aurait com­mu­ni­qué à Son­ni­no les lettres impé­riales lors de la confé­rence des 25–27 juillet, mal­gré la parole d’hon­neur qu’il avait don­née.))  aux Ita­liens sinon il menace de tout rompre. Le 23 mai, Sixte com­mu­nique la lettre à Lloyd George et à Georges V qui semblent accep­ter l’i­dée de com­pen­sa­tion ((Dugast Rouillé, <i>op. cit., </i>p. 96.)) . Lloyd George reprend l’i­dée que Ribot lui avait sug­gé­rée d’une ren­contre à Com­piègne des deux rois, du pré­sident fran­çais et de leurs ministres pour cla­ri­fier la posi­tion ita­lienne. L’I­ta­lie ne répond pas à cette demande, invo­quant toutes sortes de pré­textes dila­toires ((Cette confé­rence a fina­le­ment lieu à Londres les 7 et 8 août. Son­ni­no y assoit son ascen­dant sur Lloyd George et Ribot.)) . Lors d’une
der­nière entre­vue avec Lloyd George, le 4 juin, celui-ci déclare au prince : « Faire la paix avec l’Au­triche est trop impor­tant pour nous » ((Bour­bon, <i>op. cit., </i>p. 225.))  et se déclare déci­dé à conti­nuer les négo­cia­tions avec Vienne mal­gré les dif­fi­cul­tés que fait Son­ni­no.
La seconde lettre de Charles ne rece­vra aucune réponse de l’En­tente si ce n’est un dis­cours de Ribot à la Chambre, le 22 mai, dans lequel il dit des empires cen­traux qu’ils « vien­dront deman­der la paix, non pas hypo­cri­te­ment, comme aujourd’­hui, par des moyens louches et détour­nés, mais ouver­te­ment [… ] » ((<i>Journal des Débats, </i>jeudi 17 mai 1917, p. 1, col. 5, cité dans Bour­bon, <i>op. cit., </i>pp. 202–203.)) . Quels « moyens louches et détour­nés », en effet, qu’un empe­reur d’Au­triche, marié à une prin­cesse fran­çaise, et des princes de Bour­bon ! ((En réa­li­té, il semble bien que ce soient d’autres rai­sons qui aient moti­vé le com­por­te­ment de Ribot. Voir en ce sens les pro­pos du prince Xavier, qui avait eu accès à cer­taines archives en 1942 avant d’être dépor­té, repro­duits dans Kovacs (op. <i>cit., </i>pp. 156–157) : « La chute de Briand et la nomi­na­tion de Ribaut (sic) avaient été déci­dées en avance pour empê­cher une paix clé­ri­cale autri­chienne. [… ] La dis­pa­ri­tion de l’empereur de la monar­chie catho­lique aus­tro-hon­groise, le démem­bre­ment de celle-ci, jus­qu’au moindre détail, avaient été pré­pa­rés », et, ajoute-t-il, les fron­tières des Etats suc­ces­seurs de l’Au­triche-Hon­grie tra­cées dans une annexe, ces fron­tières devaient cor­res­pondre à celles des trai­tés de 1919/1920.))  Ana­tole France exé­cu­ta Ribot de ce trait sans appel : « Ribot est une vieille canaille d’a­voir négli­gé pareille occa­sion. Un roi de France, oui, un roi de France aurait eu pitié de notre pauvre peuple exsangue, exté­nué, n’en pou­vant plus. » Et encore : « l’Em­pe­reur Charles a offert la paix ; c’est le seul hon­nête homme qui ait paru au cours de la guerre ; on ne l’a pas écou­té » ((Cité par Dugast Rouillé, <i>op. cit., </i>p. 97 et 101 et Pol­zer-Hoditz, <i>op. cit., </i>p. 302.)) .
Devant l’ab­sence de réponse de Paris et de Londres, Czer­nin engage au début de l’é­té 1917, sans en par­ler à l’empereur semble-t-il, d’autres négo­cia­tions, par le comte Rever­te­ra qui prend contact avec un de ses cou­sins par alliance, le comte Armand, du deuxième bureau. Ces négo­cia­tions, approu­vées par Lloyd George ((Lors d’une ren­contre avec Pain­le­vé à Londres, le 6 août. <i>(cf. </i>Bourbon, <i>op. cit., </i>p. 270).))  et l’é­tat-major fran­çais (Foch), et tolé­rées par Ribot puis par Cle­men­ceau (« écou­ter, ne rien dire »), ont lieu en Suisse, en deux temps, du 12 juillet 1917 à fin février 1918.
Au même moment, Charles écrit, le 20 août 1917, au prince impé­rial alle­mand, sachant leur proxi­mi­té de vues : « Mal­gré les efforts sur­hu­mains de nos troupes, la situa­tion de l’ar­rière exige abso­lu­ment une fin de la guerre dès avant l’hi­ver. […] J’ai des indices sûrs que nous pour­rions gagner la France à notre cause si l’Al­le­magne pou­vait se résoudre à cer­tains sacri­fices ter­ri­to­riaux en Alsace-Lor­raine. Si nous gagnons la
France, alors nous sommes vic­to­rieux. […] Aus­si je te prie, en cette heure déci­sive pour l’Al­le­magne et l’Au­triche-Hon­grie, de pen­ser à la situa­tion géné­rale et d’u­nir tes efforts aux miens pour ter­mi­ner rapi­de­ment la guerre avec hon­neur » ((Cité dans Bour­bon, <i>op. cit., </i>pp. 277–281.)) . Cette lettre reste sans effet dans l’Al­le­magne sou­mise à la « dic­ta­ture » de Luden­dorff qui croit encore à la vic­toire finale.
Ribot signi­fie une fin de non-rece­voir défi­ni­tive à l’offre de Charles dans un dis­cours à la Chambre, le 12 octobre : « Hier, c’é­tait l’Au­triche qui se décla­rait dis­po­sée à faire la paix et à satis­faire nos dési­rs, mais qui lais­sait volon­tai­re­ment de côté l’I­ta­lie, sachant que, si nous écou­tions ses paroles fal­la­cieuses, l’I­ta­lie, demain, repre­nait sa liber­té et deve­nait l’ad­ver­saire de la France qui l’au­rait oubliée et tra­hie. Nous n’a­vons pas consen­ti. » ((Cité dans Bour­bon, <i>op. cit., </i>pp. 306–308.))
La décla­ra­tion de guerre des Etats-Unis à l’Au­triche-Hon­grie, le 7 décembre 1917, offi­ciel­le­ment jus­ti­fiée par Wil­son dans son dis­cours au Congrès par le fait que « l’Au­triche-Hon­grie n’est pas, en ce moment, sa propre maî­tresse mais sim­ple­ment la vas­sale du gou­ver­ne­ment alle­mand » ((Dis­cours du 4 décembre, cité dans Bour­bon, <i>op. cit., </i>pp. 315–316. En réa­li­té, la rup­ture vient de « l’adhé­sion » de l’Au­triche à la guerre sous-marine à outrance.)) , a pour consé­quence de jeter Vienne dans les bras de Ber­lin, ce qui, jus­qu’a­lors, n’é­tait pas le cas ((Voir par exemple le refus de l’empereur de signer le trai­té de com­merce avec l’Al­le­magne que lui pro­pose Czer­nin en mai 1917.)) , mal­gré qu’en ait Ribot. Les pan­ger-manistes, au pre­mier rang des­quels Czer­nin, tiennent le haut du pavé vien­nois. Charles ne par­vient plus, mal­gré sa bonne volon­té, à impo­ser ses vues de paix sépa­rée.
Le 2 avril 1918, Czer­nin, par­lant à des repré­sen­tants du Conseil muni­ci­pal de Vienne s’emporte et déclare : « M. Cle­men­ceau, quelque temps avant le com­men­ce­ment de l’of­fen­sive sur le front occi­den­tal, me fit deman­der si j’é­tais prêt à entrer en négo­cia­tions et sur quelles bases. Je répon­dis immé­dia­te­ment, d’ac­cord avec Ber­lin, que je ne voyais aucun obs­tacle à la paix avec la France, si ce n’é­taient les aspi­ra­tions fran­çaises rela­tives à l’Al­sace-Lor­raine. On répon­dit de Paris qu’il n’é­tait pas pos­sible de négo­cier sur cette base. » ((Cité dans Bour­bon, <i>op. cit., </i>p. 335.)) .
Czer­nin fait allu­sion aux pour­par­lers Armand/Revertera de l’é­té pré­cé­dent qui avaient eu lieu à sa propre ini­tia­tive. Devant des allé­ga­tions aus­si fausses, la réponse de Cle­men­ceau — qui n’a­vait for­mé son gou­ver­ne­ment que le 16 novembre 1917 — est cin­glante : « Le comte Czer-nin a men­ti ! » S’en suit une guerre par jour­naux inter­po­sés qu’au­cune des par­ties n’a la sagesse d’ar­rê­ter et qui abou­tit à la publi­ca­tion par Cle­men­ceau de la pre­mière lettre impé­riale, mal­gré la parole d’hon­neur qu’a­vaient don­née tant Poin­ca­ré que Ribot de ne pas la divul­guer. Une cam­pagne de presse, géné­reu­se­ment sub­ven­tion­née par Luden­dorff — à l’ex­cep­tion notable de la presse socia­liste et radi­cale — se déchaîne contre l’empereur — auquel on reproche entre autres d’a­voir eu recours à un enne­mi comme émis­saire — et la Monar­chie. La situa­tion de Charles devient pré­caire ((Le prince von Hohen­lohe, ambas­sa­deur de Charles à Ber­lin, avait, le 13 juin 1917, aver­ti Vienne que Guillaume mena­çait d’en­va­hir l’Au­triche et d’oc­cu­per Prague à cause des « <i>menées secrètes autri­chiennes contre l’al­liance aus­tro-alle­mande </i>» (Kovacs, <i>op. cit., </i>p. 178).)) . Il réus­sit, le 14 avril, à se débar­ras­ser de Czer­nin qui pré­pa­rait un coup d’E­tat et ren­contre Guillaume II à Spa le 12 mai auquel il rap­pelle qu’il l’a­vait régu­liè­re­ment mis au cou­rant de ses démarches sans tou­te­fois lui révé­ler le nom de ses inter­lo­cu­teurs, ce que l’empereur alle­mand ne peut nier. Les consé­quences de la publi­ca­tion de la lettre impé­riale ((Le secré­taire d’E­tat amé­ri­cain, Robert Lan­sing, écri­vit dans un mémo­ran­dum à Wil­son du 12 avril 1918, de cette publi­ca­tion qu’elle était « a piece of the most astoun­ding stu­pi­di­ty, for which no suf­fi­cient excuse can be made. […] His dis­clo­sure has thrown Aus­tria-Hun­ga­ry bodi­ly into the arms of Ger­ma­ny. […] Even if Karl wished to act other­wise, the stu­pi­di­ty of Cle­men­ceau and the fear of Ger­ma­ny prevent. […] As an example of stu­pid diplo­ma­cy this per­for­mance is almost without paral­lel. [… ] How any sta­tes­man could throw away a stra­te­gic advan­tage without any equi­va­lent other than the per­so­nal satis­fac­tion of cau­sing cha­grin to an adver­sa­ry is beyond com­pre­hen­sion. […] It is unfor­tu­nate that “The Tiger” of France does not pos­sess a bet­ter control over his impulses, unfor­tu­nate for his coun­try as well as for the cobel­li­ge­rents of France. There was always the pos­si­bi­li­ty of some­thing resul­ting from the evident desire of the Aus­trian Empe­ror for peace almost at any price. That pos­si­bi­li­ty the fol­ly of Cle­men­ceau has des­troyed. » (repro­duit dans Kovacs, <i>op. cit., </i>tome 2, pp. 343–344).))  sont dra­ma­tiques pour l’Au­triche qui doit don­ner des garan­ties à l’Al­le­magne en envoyant des régi­ments sur le front occi­den­tal et perd une grande par­tie de ce qui lui res­tait de liber­té vis-à-vis de l’Al­le­magne.

L’offre de paix de l’empereur Charles, qui a tou­jours cher­ché « en toute chose la volon­té de Dieu, à la recon­naître et à la suivre » ((Comme il le dira, mou­rant, à l’im­pé­ra­trice Zita, ce que Jean-Paul II rap­pe­lait dans son homé­lie de la messe de béa­ti­fi­ca­tion du bien­heu­reux Charles d’Au­triche (Rome, 3 octobre 2004).)) , est moti­vée par des convic­tions pro­fondes de jus­tice et d’é­qui­té, d’hu­ma­ni­té, de sou­ci constant des peuples de la Monar­chie, et de res­pect du jus gen­tium clas­sique, fon­dé sur le droit natu­rel. Par oppo­si­tion à ces prin
cipes chré­tiens, relayés par les appels en faveur de la paix de Benoît XV et les mis­sions de Mgr Pacel­li, alors nonce à Munich, ceux qui refusent la main ten­due par l’empereur le font pour des consi­dé­ra­tions idéo­lo­giques diverses. Ils veulent abattre la monar­chie catho­lique des Habs­bourg, même si la guerre doit durer un an de plus et coû­ter, du seul côté fran­çais, 300 000 vies sup­plé­men­taires, et éta­blir un nou­vel ordre euro­péen en tra­çant des fron­tières arbi­trai­re­ment au nom du droit des peuples — qu’on se garde bien, la plu­part du temps, de consul­ter — et qui auront notam­ment pour consé­quence les guerres bal­ka­niques récentes. Quelle dif­fé­rence avec celui qui écri­vait deux ans plus tard : « Le monarque est seul res­pon­sable devant l’his­toire. [… ] Je ne regrette pas une seconde la lettre à Sixte, et j’a­gi­rais aujourd’­hui exac­te­ment de la même manière si je me trou­vais dans la même situa­tion. C’est <i>moi, </i>l’empereur, qui dois déci­der de la guerre et de la paix, et <i>je </i>porterais devant <i>Dieu </i>la res­pon­sa­bi­li­té de toute occa­sion qui aurait été man­quée de mettre un terme à cette effu­sion de sang inutile. […] Chaque jour, du matin au soir, j’ai fait tout ce qui était en mon pou­voir pour don­ner la paix à mes peuples et sau­ver les fils et les parents des gens » ((« Réflexions poli­tiques » de l’Em­pe­reur, Pran­gins, 1920, repro­duites dans Kovacs, <i>op. cit., </i>tome 2, pp. 554–55.)) .