Revue de réflexion politique et religieuse.

Les hommes de la Pen­sée catho­lique

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Cette nais­sance fait aus­si suite à un renou­veau des ten­dances intran­si­geantes et inté­gra­listes mili­tantes durant la Seconde Guerre mon­diale en France. La défaite de mai-juin 1940 et l’instauration de l’Etat fran­çais per­mettent la réaf­fir­ma­tion des ten­dances mar­gi­na­li­sées depuis 1926–27. La construc­tion vichyste semble pour beau­coup cor­res­pondre à l’instauration d’un ordre social pre­nant le contre-pied du désordre éta­bli de la Répu­blique impie laïque et anti­clé­ri­cale. Elle béné­fi­cie ain­si de la sym­pa­thie du corps épis­co­pal, et per­met à la fois à la géné­ra­tion de 1926 de prendre une forme de revanche — l’abbé Lefèvre se plonge, avec la béné­dic­tion du car­di­nal Suhard, dans des archives franc-maçonnes après son incar­di­na­tion à Paris appuyée par Mgr Beaus­sart —, à une nou­velle géné­ra­tion, en par­tie issue des rangs maur­ras­siens de sur­gir (Jean Ous­set, Jean Arfel — qui n’est pas encore Jean Madi­ran) et au catho­li­cisme inté­gral et intran­si­geant de se mani­fes­ter avec force (Pierre Lemaire par­ti­cipe à la consé­cra­tion des Hommes de France au Sacré-Cœur à la Basi­lique de Mont­martre). Le renou­veau de la méfiance anti­mo­der­niste et l’inquiétude à l’égard des nou­veau­tés fran­çaises issues de la guerre pro­fitent donc à des hommes qui ont conser­vé des rela­tions à Rome, et qui en obtiennent de nou­velles grâce à Mgr Beaus­sart. La Curie, tout au moins cer­tains de ses cercles, peut-être au Saint-Office de Mgr Otta­via­ni ou à la Congré­ga­tion des Sémi­naires et Uni­ver­si­tés du déjà âgé car­di­nal Piz­zar­do, deux congré­ga­tions dont le car­di­nal Nico­las Cana­li (de l’entourage du car­di­nal Mer­ry del Val, qui esti­mait le P. Le Floch) est aus­si membre, n’est très vrai­sem­bla­ble­ment pas étran­gère à la fon­da­tion de la Pen­sée catho­lique. Mgr Beaus­sart par­ta­geait avec Mgr Otta­via­ni une com­mune inquié­tude sur la for­ma­tion dis­pen­sée dans les sémi­naires et les Uni­ver­si­tés catho­liques, où les textes ronéo­ty­pées du P. Teil­hard de Char­din cir­cu­laient sous le man­teau, et ce jusque dans le temple néos­co­las­tique romain qu’est la Gré­go­rienne ((  J.-M. Pau­pert, Peut-on être chré­tien aujourd’hui ?, Ber­nard Gras­set, 1966, pp. 47–59.)) . Le P. Mario Cor­do­va­ni o.p., Maître du Sacré-Palais Apos­to­lique, s’inquiétait de la situa­tion intel­lec­tuelle fran­çaise, ain­si que le P. Gar­ri­gou-Lagrange. L’abbé Lefèvre leur fait des rap­ports oraux et écrits à ce sujet en 1948. Bref, la Pen­sée catho­lique peut se tar­guer d’être sou­te­nue par la Curie. Mais ce sou­tien demeure dis­cret, très dis­cret, et seuls, de temps en temps, cer­tains signes laissent voir l’intérêt que Rome porte à la revue : en 1953, la révi­sion de la tra­duc­tion d’un dis­cours du car­di­nal Otta­via­ni par lui-même ((  Sur la liber­té reli­gieuse, et qui visait tant Jacques Mari­tain que le P. John Court­ney Mur­ray, un des ins­pi­ra­teurs de Digni­ta­tis Humanæ à Vati­can II.))  ; la même année, l’intervention du même pour évi­ter la dis­pa­ri­tion de la revue à l’occasion de graves dif­fé­rends entre cer­tains fon­da­teurs. Bref, la Pen­sée catho­lique béné­fi­cie de la sym­pa­thie des oppo­sants à la « nou­velle théo­lo­gie » qui estiment qu’elle joue un rôle néces­saire et impor­tant dans le main­tien de la saine doc­trine. Mais elle n’est pas une revue offi­cieuse et n’engage pas le Magis­tère.
Les car­rières des fon­da­teurs ne pro­fi­tèrent cepen­dant pas de ces proxi­mi­tés. Il était trop tard. L’abbé Lefèvre, aumô­nier et pro­fes­seur dans diverses ins­ti­tu­tions reli­gieuses jusqu’en 1954, est ensuite en congé  jusqu’à sa mort en 1987. L’abbé Ber­to se consacre à ses orphe­li­nats et aux Domi­ni­caines du Saint-Esprit, congré­ga­tion ensei­gnante qu’il a fon­dée, et ouvre bien­tôt les foyers Notre-Dame de Joie à Pont­ca­lec. L’abbé Roul, en 1947, est nom­mé cha­noine puis curé de la popu­leuse paroisse Saint-Simi­lien à Nantes. Il le demeure pen­dant vingt ans, jusqu’à sa mort. Seul le cha­noine Lus­seau obtient des pro­mo­tions : pro­to­no­taire apos­to­lique en 1951, doyen de la Facul­té de Théo­lo­gie de l’Université d’Angers en 1952.
Est-ce à dire qu’ils man­quaient d’épaisseur ? Il ne semble pas. Leur carac­tère à tous était bien trem­pé, et le ton pou­vait s’élever très vite. Témoin la rup­ture entre Mgr Lus­seau et les trois autres direc­teurs, sur la direc­tion de la revue. Un pro­cès fut envi­sa­gé, au civil, entre 1951 et 1953, par celui-là, mais les choses s’arrêtèrent plus tôt. Les ten­sions étaient cepen­dant déjà pré­sentes dès 1948, cau­sées par le rôle de l’abbé Lefèvre, consi­dé­ré comme trop impor­tant par le cha­noine Lus­seau mais seul l’abbé Lefèvre, à Paris, béné­fi­ciait réel­le­ment de temps pour s’occuper de la revue, et par cer­tains désac­cords théo­lo­giques sur l’Ecriture sainte. La par­ti­ci­pa­tion de l’abbé Dulac fut aus­si fluc­tuante en rai­son de son carac­tère ombra­geux. Par ailleurs, l’abbé Ber­to témoi­gnait d’un solide tem­pé­ra­ment qui n’est pas sans rap­pe­ler celui de Louis Veuillot : même amour du peuple et même catho­li­cisme social (pour lequel il défen­dait la beau­té de la litur­gie et le latin), même capa­ci­té polé­mique (le cha­noine Lus­seau l’apprit à ses dépens), même tru­cu­lence ver­bale. Bref, un intran­si­geant véri­table. L’abbé Roul était quant à lui doté d’une nature forte qui en fai­sait un curé qui n’hésitait pas à en remon­trer à ses parois­siens, ni à prendre par­ti. Quant à leur for­ma­tion théo­lo­gique, elle ne lais­sait pas à dési­rer — l’abbé Ber­to en par­ti­cu­lier était un théo­lo­gien plus qu’honnête —, et fai­sait d’eux d’honnêtes épis­co­pables, n’eussent été leur choix d’un intran­si­gean­tisme de com­bat.
Celui-ci n’en était pas pour autant rédhi­bi­toire. Pie XII n’hésita pas à nom­mer des évêques dont la for­ma­tion était com­pa­rable à celle des fon­da­teurs de la Pen­sée catho­lique et la fidé­li­té au P. Le Floch, non pas iden­tique, mais en tout cas cer­taine. Le doyen des sémi­na­ristes en 1926–1927, qui sou­tint le P. Le Floch, Roger Johan, devint évêque. Xavier Morilleau, for­mé lui aus­si à Rome durant la même période et au même endroit, qui res­ta fidèle à son intran­si­gean­tisme toute sa vie ((  Il appe­la à voter « non » lors du réfé­ren­dum de 1958 car le pro­jet de Consti­tu­tion ne conte­nait pas de réfé­rence à Dieu, se démar­quant ain­si de ses pairs qui appe­laient à voter en conscience ou à voter de manière posi­tive. La Pen­sée catho­lique fit cam­pagne pour le « non » avec d’autres groupes catho­liques ‑intran­si­geants.)) , ne dut sa pro­mo­tion à l’épiscopat, au siège de La Rochelle il est vrai (région mar­quée par le pro­tes­tan­tisme), qu’aux assu­rances don­nées par un dépu­té au pré­fet qui s’inquiétait des orien­ta­tions poli­tiques, d’Action fran­çaise bien sûr, d’un ancien élève du Sémi­naire fran­çais. La ques­tion poli­tique n’est cepen­dant pas non plus abso­lu­ment déter­mi­nante. Ce n’est donc pas tel­le­ment la doc­trine qui pose pro­blème, ni le carac­tère. Les nonces n’hésitent pas à pro­mou­voir après 1945 des can­di­dats qui ont sui­vi le même cur­sus que les fon­da­teurs : la fidé­li­té romaine est appré­ciée en ces années mou­vantes. Le type même de prêtres que furent les fon­da­teurs de la revue en est une expli­ca­tion ((  M. Minier, L’épiscopat fran­çais du Ral­lie­ment à Vati­can II, Casa Edi­trice Dott. Anto­nio Mila­ni, Padoue, 1982, pp. 176–182.)) . Il est pos­sible aus­si que l’absence de sou­tien épis­co­pal soit la cause domi­nante : leur car­rière n’a jamais vrai­ment com­men­cé, ou, si elle a débu­té, elle s’est arrê­tée trop tôt. Si Alphonse Roul entame une car­rière admi­nis­tra­tive grâce à Mgr Le Fer de La Motte, Mgr Vil­le­pe­let ne le pré­sen­te­ra jamais à l’épiscopat alors que, des quatre fon­da­teurs, il est celui dont on dit qu’il aurait été le plus apte ; et il faut l’intervention d’évêques de ses amis pour qu’il soit nom­mé cha­noine et quitte le Lycée Cle­men­ceau au pro­fit de Saint-Simi­lien.

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