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Les hommes de la Pen­sée catho­lique

Sous cette rubrique d’His­toire reli­gieuse contem­po­raine, nous avons l’intention de conti­nuer à publier des contri­bu­tions à pro­pos des groupes, mou­ve­ments, évé­ne­ments, per­son­na­li­tés, qui ont façon­né le catho­li­cisme contem­po­rain, en suite d’articles pré­cé­dents dans cette visée : Jacques Benoist, « Vati­can II selon Mgr Veuillot » (n. 56, été 1997) ;  Yvon Tran­vouez, « Catho­li­cisme intran­si­geant et pro­gres­sisme chré­tien » (n. 53, automne 1996) ; Luc Per­rin, « Les paroisses pari­siennes à l’époque du Concile » (entre­tien, n. 52, été 1996) ; Claude Barthe, « Aux ori­gines du Concile : la défaite du “par­ti romain” » (n. 8, juin 1988). Aus­si modeste que soit le pro­jet, les sen­si­bi­li­tés diverses des auteurs, his­to­riens de métier ou non, ne peuvent qu’aider à l’enrichissement réci­proque des ana­lyses por­tant sur une époque et sur des sujets dont il est encore dif­fi­cile de par­ler de sang-froid.
Paul Airiau, agré­gé d’histoire, char­gé de la rédac­tion de la revue
Résur­rec­tion, parle ici des têtes pen­santes du « catho­li­cisme inté­gral » fran­çais des années cin­quante, avec leurs capa­ci­tés et fai­blesses. Ces per­son­na­li­tés peu connues sont cepen­dant inté­res­santes à consi­dé­rer et com­prendre : lorsque le pou­voir de la Curie de Pie XII sera balayé par les évé­ne­ments de la pre­mière ses­sion de Vati­can II, ce sont ces hommes, ou d’autres de leur entou­rage, un milieu mar­gi­na­li­sé acti­ve­ment et pas­si­ve­ment, avec toute la dépré­cia­tion qui résulte de fait de cette situa­tion, qui vont prendre en charge l’opposition au mou­ve­ment conci­liaire.

Les années 1950 ne sont pas seule­ment l’occasion d’une éclo­sion apos­to­lique tous azi­muts dans le catho­li­cisme fran­çais. Elles témoignent aus­si d’une réor­ga­ni­sa­tion et d’une réap­pa­ri­tion d’un catho­li­cisme intran­si­geant de la géné­ra­tion anti­mo­der­niste, fort vivace, et dont l’ardeur n’est pas sans lui cau­ser de mul­tiples mises en cause, sous l’étiquette d’intégrisme. La Pen­sée catho­lique en est une des pre­mières mani­fes­ta­tions, dès son appa­ri­tion dans le pay­sage catho­lique à l’automne 1946 — et le soup­çon d’intégrisme sur­git immé­dia­te­ment, dès la pre­mière recen­sion ((  A la lumière des élé­ments pré­sents dans P. Airiau, La Pen­sée catho­lique, 1946–1956 : roma­ni­té à la fran­çaise ou inté­grisme ?, DEA d’Histoire, IEP Paris, 1995, et des recherches menées ulté­rieu­re­ment. Les notes seront réduites afin de ne pas alour­dir le texte de réfé­rences copieuses.)) .
Les quatre fon­da­teurs de la Pen­sée catho­lique sont bien­tôt quin­qua­gé­naires. Nés au tour­nant du siècle, Lucien Lefèvre (1895–1987), Hen­ri Lus­seau (1896–1973), Vic­tor Ber­to (1900–1968) et Alphonse Roul (1901–1969) sont issus du Grand Ouest fran­çais (Loire-Atlan­tique, Ven­dée, Mor­bi­han et Seine-Infé­rieure). Leurs ori­gines sociales dif­fèrent (le père de l’abbé Lefèvre est pro­fes­seur de Lycée, le père de l’abbé Ber­to est offi­cier colo­nial), leur for­ma­tion anté­rieure diverge (seul l’abbé Ber­to est diplô­mé de l’Université). Enfin, l’abbé Lefèvre a fait la Pre­mière Guerre mon­diale. Le creu­set du Sémi­naire fran­çais de Rome va cepen­dant les unir reli­gieu­se­ment. Ils s’y ren­contrent tous les quatre et y conquièrent leurs grades : l’abbé Lefèvre, doc­teur en théo­lo­gie, bache­lier en droit cano­nique, y a été élève de 1919 à 1925 ; l’abbé Roul, doc­teur en phi­lo­so­phie et en théo­lo­gie, de 1919 à 1926 ; l’abbé Ber­to, doc­teur en théo­lo­gie et de l’Académie Saint-Tho­mas, de 1921 à 1926 ; le cha­noine Lus­seau, doc­teur en théo­lo­gie, en Ecri­ture sainte et de l’Académie Saint-Tho­mas, de 1918 à 1924. Cette com­mune for­ma­tion les marque pour tou­jours.
Ils sont en effet for­més sous l’égide du P. Hen­ri Le Floch c.s.s.p. (1862–1950), nom­mé en 1904 rec­teur de cette ins­ti­tu­tion pon­ti­fi­cale fon­dée en 1853, fort esti­mée des papes, mais que la mala­die de son supé­rieur, le P. Esch­bach, laisse tan­guer alors que la crise moder­niste s’annonce. Le nou­veau supé­rieur la reprend en main avec vigueur et lui donne un lustre dont témoignent tant les res­pon­sa­bi­li­tés qui lui sont confiées (consul­teur de plu­sieurs Congré­ga­tions romaines dont le Saint-Office et la Consis­to­riale, qui s’occupe des nomi­na­tions épis­co­pales) que l’afflux d’élèves (bien­tôt deux cents), venus dans les pre­mières années majo­ri­tai­re­ment des dio­cèses ultra­mon­tains. L’enseignement y est intran­si­geant et inté­gral, et se défi­nit néga­ti­ve­ment : anti­li­bé­ra­lisme, anti­laï­cisme, anti­mo­der­nisme, anti­sillo­nisme. Cepen­dant, tous les élèves ne se coulent pas dans ce moule. Si peu de pro­blèmes se mani­festent avant 1914, la période qui suit la Pre­mière Guerre mon­diale est plus agi­tée et des clans théo­lo­gi­co-poli­tiques se consti­tuent.
Les fon­da­teurs de la Pen­sée catho­lique ont choi­si le camp intran­si­geant et inté­gral. Ils demandent avant tout l’application totale de la véri­té catho­lique, en par­ti­cu­lier en ce qui concerne les rela­tions entre l’Eglise et l’Etat et la place sociale qui doit être recon­nue à l’Eglise. Aus­si sont-ils favo­rables à une action de tous les catho­liques afin d’obtenir une puis­sance poli­tique sus­cep­tible de remettre en cause les lois laïques issues de la sécu­la­ri­sa­tion répu­bli­caine des années 1878–1914. Il faut en effet, avant toute chose, et pour rendre la France catho­lique, chan­ger les ins­ti­tu­tions mau­vaises qui cor­rompent l’homme. L’Action fran­çaise est donc un allié pri­vi­lé­gié : le « poli­tique d’abord », s’il n’est pas vrai dans l’ordre des prin­cipes, l’est dans l’ordre pra­tique. Leurs pro­duc­tions théo­lo­giques de cette époque témoignent de ces choix qui sont loin de faire l’unanimité dans le catho­li­cisme fran­çais, mais qui, à Rome, béné­fi­cient de la sym­pa­thie de nombre de leurs confrères sémi­na­ristes et du car­di­nal Billot, très proche du rec­teur. L’abbé Lus­seau, dans une confé­rence de 1922 dont les conclu­sions ne sont pas reprises à son compte par le direc­teur du Sémi­naire qui y assiste, invite à l’union avec le mou­ve­ment maur­ras­sien. Son manus­crit, adres­sé à un ami pari­sien qui aime­rait le voir publier dans la Revue des Jeunes, est trans­mis au nonce à Paris, Mgr Cer­ret­ti, qui pré­vient à son tour le car­di­nal Gas­par­ri, Secré­taire d’Etat de Pie XI. Le P. Le Floch doit alors se jus­ti­fier : cette confé­rence n’engage que l’abbé Lus­seau, l’Eglise ne s’est pas pro­non­cée sur l’Action fran­çaise — le décret de mise à l’Index de cer­taines œuvres de Maur­ras de 1914 n’a pas été publié — et les élèves, sou­mis à l’autorité, réprouvent dans la pen­sée de Maur­ras ce qui y est incom­pa­tible avec la doc­trine catho­lique. L’abbé Lefèvre, com­men­tant l’encyclique Ubi arca­no Dei de 1923, reven­dique l’application de la thèse, la véri­té catho­lique inté­grale. Sa confé­rence, avec celle de quatre de ses confrères, dont le futur Mgr Ancel, abou­tit sur le bureau d’Edouard Her­riot en 1925, qui la cite lors de la dis­cus­sion bud­gé­taire à la Chambre des Dépu­tés comme argu­ment pour la sup­pres­sion de l’Ambassade de France auprès du Saint-Siège (réta­blie en 1921) confor­mé­ment au pro­gramme du Car­tel des Gauches : la doc­trine ensei­gnée au Sémi­naire fran­çais s’oppose aux bases de la vie poli­tique fran­çaise, et l’ambassadeur, M. Jon­nart, a eu le mau­vais goût de faire preuve de bien­veillance envers le P. Le Floch. Bref, l’ambiance qui pré­vaut lors de la fin de leur for­ma­tion, fort exal­tée — c’est la nais­sance de la Fédé­ra­tion Natio­nale Catho­lique qui réa­lise des mani­fes­ta­tions monstres pour pro­tes­ter contre l’offensive laïque de 1924–1925 —, ne peut que les inci­ter au com­bat, d’autant plus que leurs carac­tères sont fort trem­pés.
1926–1927 est une date rup­ture pour les fon­da­teurs de la Pen­sée catho­lique. La condam­na­tion de l’Action fran­çaise et la mise à l’index du jour­nal du même nom, trau­ma­tisent les jeunes prêtres qui viennent de quit­ter Rome pour leurs dio­cèses res­pec­tifs où ils sont vicaires ou pro­fes­seurs ((  L’abbé Ber­to écrit ain­si à un confrère : « Depuis les années où j’essayais de recons­truire une foi vivante sur les ruines de ma foi pué­rile, après l’orage nihi­liste de mes treize ans, jamais je n’ai vécu dans une pareille dou­leur d’âme. Et je devine que c’est la même chose pour vous. Mais de là, de cette obs­cu­ri­té et de ce cha­grin à résis­ter ouver­te­ment au Saint Père, il y a loin. » (lettre du 26/12/1926 Notre-Dame de joie, NEL, 1974, p. ‑63).)) . La sou­mis­sion fut par­fois dif­fi­cile, au moins au niveau intel­lec­tuel. Mais, sur­tout, le P. Le Floch doit quit­ter sa charge de Rec­teur du Sémi­naire fran­çais en juillet 1927, accu­sé de ne pas répri­mer les ten­dances maur­ras­siennes qui s’expriment chez ses élèves, de cau­tion­ner la déso­béis­sance et de cher­cher à éli­mi­ner par des pro­cé­dés peu hon­nêtes ceux qui s’opposent à ses posi­tions. Cette mise à l’écart de l’éveilleur ((  J.-F. Siri­nel­li, « Aux lisières de l’enseignement supé­rieur. Les pro­fes­seurs de khâgne vers 1925 », Le per­son­nel de l’enseignement supé­rieur en France aux XIXe et XXe siècles, Edi­tions du CNRS, 1985, pp. 121–122 ; J.-F. Siri­nel­li, Géné­ra­tions intel­lec­tuelles, Fayard, 1988, pp. 82–83.))  que fut le Rec­teur tra­duit une nou­velle orien­ta­tion tac­tique de l’Eglise : à la lutte dure contre le monde moderne pour ins­tau­rer une socié­té chré­tienne se sub­sti­tue la volon­té de sub­ver­sion de ce même monde par l’évangélisation au moyen de l’Action catho­lique. La for­ma­tion reçue par les futurs fon­da­teurs n’est pas for­cé­ment à même de leur per­mettre de prendre ce tour­nant.
En est-il de même pour les prin­ci­paux autres rédac­teurs de la revue ? Pas néces­sai­re­ment. C’est le cas pour l’abbé Ray­mond Dulac (1903–1987), lui aus­si for­mé au Sémi­naire fran­çais de Rome entre 1920 et 1926. Il aurait d’ailleurs dû par­ti­ci­per au lan­ce­ment de la revue, puisqu’il était un des ini­tia­teurs du pro­jet, dès 1926, avec les abbés Roul et Ber­to. Il s’était aus­si lar­ge­ment impli­qué dans la réap­pa­ri­tion du pro­jet vers 1943, et avait accep­té de le fusion­ner avec celui que déve­lop­paient de leur côté l’abbé Lefèvre et le cha­noine Lus­seau. Mais il ne par­ti­ci­pa pas, fina­le­ment, à la fon­da­tion. Sa fidé­li­té au P. Le Floch était indé­fec­tible : la lettre qu’il lui écri­vit lors de son départ en est plus qu’une preuve. Il en va de même pour la réha­bi­li­ta­tion qu’il entre­prend en 1952 de Mgr Beni­gni et du Soda­li­tium Pia­num, la Sapi­nière de mémoire exé­crée. Il a en effet pu se pro­cu­rer le sup­plé­ment d’enquête deman­dé lors du pro­cès de béa­ti­fi­ca­tion de Pie X, et il le pré­sente lar­ge­ment dans la revue, sou­li­gnant les appro­ba­tions auto­graphes du nou­veau bien­heu­reux. Bref, il défend, en s’appuyant sur un acte magis­té­riel fon­da­men­tal — la recon­nais­sance de la sain­te­té qui engage l’infaillibilité —, la valeur du catho­li­cisme intran­si­geant et inté­gral, anti­mo­der­niste mili­tant, qu’il défend et illustre.
Dans la même veine, on peut rele­ver le nom de Louis Jugnet (1913–1973). Pro­fes­seur de phi­lo­so­phie en khâgne à Tou­louse, char­gé de cours à l’IEP de cette ville, il est d’un tho­misme sco­las­tique romain. Il par­tage avec les fon­da­teurs de la revue une admi­ra­tion pour les tho­mistes romains qui s’opposent tant à l’historicisation d’Etienne Gil­son qu’aux nou­velles voies de Jacques Mari­tain. Sa lutte contre la psy­cha­na­lyse et l’évolution s’appuie ain­si sur les recherches de scien­ti­fiques étran­gers (Wil­fried Daim, Rudolf Allers) et sur des prin­cipes phi­lo­so­phiques, qui lui font notam­ment reje­ter la dis­tinc­tion éta­blie par Roland Dal­biez, dis­ciple de Mari­tain, entre la méthode et la théo­rie psy­cha­na­ly­tique. Son com­bat pour fon­der l’étude psy­chia­trique et psy­cho­lo­gique sur le tho­misme le rap­proche du doc­teur Adrien Sto­cker, psy­chiatre suisse qui déve­loppe dans la revue ses vues sur le psy­chisme humain en s’appuyant sur la phi­lo­so­phia per­en­nis. Cette iden­ti­té de vues phi­lo­so­phi­co-théo­lo­giques se retrouve dans le cas de Jean Dau­jat (né en 1906), fon­da­teur du Centre d’Etudes Reli­gieuses, et lié à Mgr Beaus­sart, et de l’abbé Louis Sou­bi­gou (1901–1981), ancien condis­ciple des fon­da­teurs au Sémi­naire fran­çais de 1921 à 1926. Tous deux s’attachent, cha­cun dans leur domaine, le pre­mier dans l’ordre social chré­tien, le second dans la spi­ri­tua­li­té, à réflé­chir à par­tir de l’autorité ecclé­siale, le Magis­tère romain. Jean Dau­jat défend ain­si un ordre alter­na­tif tant au capi­ta­lisme qu’au com­mu­nisme, dont il trouve la réa­li­sa­tion dans un cer­tain cor­po­ra­tisme, à la lumière d’une lec­ture de Qua­dra­ge­si­mo anno, tan­dis que l’abbé Sou­bi­gou déve­loppe une « spi­ri­tua­li­té intel­lec­tuelle », une confor­ma­tion de l’homme à Dieu qui trans­forme par la grâce, en par­ti­cu­lier au niveau de l’intelligence, par une chas­te­té de la pen­sée. L’abbé André Combes (1899–1969), maître de confé­rences au CNRS, pro­fes­seur à l’Université du Latran en 1959, pré­lat d’honneur en 1960, lui suc­cède et déve­loppe de son côté la spi­ri­tua­li­té de sainte Thé­rèse de Lisieux, fon­dée sur une ana­lyse rigou­reuse des textes et leur étude cri­tique afin d’en déga­ger toute la saveur et toute la doc­trine. Enfin, Jacques Vier (1904–1991), pro­fes­seur de lettres à l’Université de Rennes en 1955, tient lui aus­si des posi­tions intran­si­geantes en lit­té­ra­ture.
Toutes ces recherches et ces réflexions sont patron­nées par Mgr Roger Beaus­sart (1879–1952). For­mé à Saint-Sul­pice juste avant la crise moder­niste, deve­nu direc­teur de Sta­nis­las puis curé et enfin évêque auxi­liaire de Paris, Mgr Beaus­sart a ser­vi de fusible à la Libé­ra­tion au car­di­nal Suhard. Il n’en conserve pas moins la confiance de son supé­rieur et tient dans l’administration ecclé­sias­tique pari­sienne une place impor­tante. Ouvert à un cer­tain œcu­mé­nisme — il était évêque char­gé des étran­gers — il est aus­si un pen­seur exi­geant, refu­sant toute remise en cause du néo­tho­misme romain. Il per­met aux pro­jets des abbés Lefèvre, Roul, Ber­to, Dulac et du cha­noine Lus­seau, d’aboutir. Leur cen­seur et leur garant, il veut, comme eux, défendre un catho­li­cisme intran­si­geant et inté­gral, romain, oppo­sé à la « nou­velle théo­lo­gie » (les recherches des PP. de Lubac et Danié­lou) et aux nou­velles orien­ta­tions mis­sion­naires et ecclé­sio­lo­giques (les PP. Congar et Che­nu), à la psy­cha­na­lyse et à l’évolution.

Intran­si­geance et inté­gra­lisme donc, mais de com­bat. C’est pour défendre sur le plan intel­lec­tuel cette ligne que la Pen­sée catho­lique a été fon­dée. Ce n’est cepen­dant pas par hasard que cette fon­da­tion se réa­lise en 1946. En effet, la conjonc­ture est rela­ti­ve­ment favo­rable à l’expression d’un catho­li­cisme tenu à l’écart depuis 1926. La mar­gi­na­li­sa­tion fut réelle quoique limi­tée. Elle est visible dans la car­rière des fon­da­teurs, médiocre, car même les fonc­tions d’enseignement ecclé­sias­tique leur sont fer­mées. Seul l’abbé Lus­seau peut inté­grer direc­te­ment le Grand Sémi­naire de Luçon et s’y main­te­nir, pour finir à la Facul­té de théo­lo­gie de l’Université catho­lique d’Angers. Mais il avait choi­si un domaine extrê­me­ment sen­sible où la sur­veillance romaine s’exerça vigou­reu­se­ment jusqu’après 1950 : l’Ecriture sainte, que son évêque l’avait char­gé d’aller étu­dier à Rome pour pou­voir ensuite l’enseigner. A contra­rio, l’abbé Ber­to, qui après deux ans de vica­riat, se retrouve pro­fes­seur au Grand Sémi­naire de Vannes, doit le quit­ter pour un motif obs­cur : il semble que son aura auprès des sémi­na­ristes soit deve­nue trop impor­tante et s’exerçât dans un sens fort déplai­sant pour une par­tie des forces poli­tiques catho­liques locales. L’abbé Lefèvre végète quant à lui comme curé de cam­pagne dans le pays de Caux, avant de deman­der à être pla­cé en retraite, alors que l’abbé Roul, après avoir été secré­taire de l’évêque de Nantes, Mgr Le Fer de la Motte, fort réti­cent quant à la nou­velle stra­té­gie catho­lique, demeure aumô­nier du Lycée de Nantes pen­dant plus de dix ans, mis à l’écart appa­rem­ment par le nou­vel évêque, Mgr Vil­le­pe­let. Quant à l’abbé Dulac, après avoir pas­sé une licence de lettres à la demande de son évêque qui le trou­vait bien jeune après son ordi­na­tion (22 ans), sa mau­vaise san­té et ses orien­ta­tions se conjuguent pour le main­te­nir dans des postes « infé­rieurs » : pro­fes­seur, curé, aumô­nier ; il devient cepen­dant avo­cat à l’officialité de Ver­sailles en 1945, fruit tar­dif de sa for­ma­tion romaine.
L’arrivée au pon­ti­fi­cat de Pie XII marque un rela­tif tour­nant pour les intran­si­geants de com­bat cas­sés en 1926–1927. L’interdiction de lire l’Action fran­çaise est levée — les trac­ta­tions étaient en cours dès 1937, par l’intermédiaire du Car­mel de Lisieux — et le P. Le Floch est reçu avec bien­veillance par Pie XII. Il ne retrouve cepen­dant aucune fonc­tion d’importance — il approche les soixante-dix ans. Le pri­mat demeure cepen­dant tou­jours mis sur l’Action catho­lique, comme le révé­le­ra l’après-guerre. Cepen­dant, un rap­pro­che­ment net s’opère au plan intel­lec­tuel. Plus exac­te­ment, per­ce­vant l’évolution en cours sur le plan des idées, les sphères diri­geantes se retrouvent sur la même lon­gueur d’onde que des intran­si­geants de com­bat de la même géné­ra­tion qu’eux, ou d’une géné­ra­tion juste pos­té­rieure à celle de leurs maîtres. Ils ont en effet la même for­ma­tion, un com­mun anti­mo­der­nisme, les mêmes réti­cences à l’égard des nou­velles orien­ta­tions intel­lec­tuelles qui se font jour, et qui toutes mettent en avant l’historicité, l’existentiel,  bref, qui semblent se rap­pro­cher d’une rela­ti­vi­sa­tion de la véri­té, d’une com­pro­mis­sion avec l’évolution et le sub­jec­tif, donc de l’idéalisme kan­tien et de l’immanentisme berg­so­nien, in fine du moder­nisme. Encore qu’il faille nuan­cer : l’acceptation des nou­veau­tés peut exis­ter dans les sphères romaines ou dans les milieux sou­te­nus par la Curie ((  E. Fouilloux, « Cou­rants de pen­sée, pié­té, apos­to­lat. II. Le catho­li­cisme » dans His­toire du chris­tia­nisme, t. 12, Guerres mon­diales et tota­li­ta­rismes (1914–1958), Des­clée / Fayard,1990, p. ‑162.)) . La proxi­mi­té est donc réelle, et l’abbé Ber­to se réjouit lorsque le P. Che­nu, avec son opus­cule sur les méthodes théo­lo­giques est cros­sé par la Curie. La Pen­sée Catho­lique appa­raît ain­si à l’automne 1946, alors que le com­bat contre la « nou­velle théo­lo­gie » s’est enga­gé depuis 1942, dis­crè­te­ment d’abord, puis vio­lem­ment, avec la polé­mique entre la Revue tho­miste et les PP. de Lubac et Danié­lou, l’intervention de Pie XII, et le jeu du P. Gar­ri­gou-Lagrange.
Cette nais­sance fait aus­si suite à un renou­veau des ten­dances intran­si­geantes et inté­gra­listes mili­tantes durant la Seconde Guerre mon­diale en France. La défaite de mai-juin 1940 et l’instauration de l’Etat fran­çais per­mettent la réaf­fir­ma­tion des ten­dances mar­gi­na­li­sées depuis 1926–27. La construc­tion vichyste semble pour beau­coup cor­res­pondre à l’instauration d’un ordre social pre­nant le contre-pied du désordre éta­bli de la Répu­blique impie laïque et anti­clé­ri­cale. Elle béné­fi­cie ain­si de la sym­pa­thie du corps épis­co­pal, et per­met à la fois à la géné­ra­tion de 1926 de prendre une forme de revanche — l’abbé Lefèvre se plonge, avec la béné­dic­tion du car­di­nal Suhard, dans des archives franc-maçonnes après son incar­di­na­tion à Paris appuyée par Mgr Beaus­sart —, à une nou­velle géné­ra­tion, en par­tie issue des rangs maur­ras­siens de sur­gir (Jean Ous­set, Jean Arfel — qui n’est pas encore Jean Madi­ran) et au catho­li­cisme inté­gral et intran­si­geant de se mani­fes­ter avec force (Pierre Lemaire par­ti­cipe à la consé­cra­tion des Hommes de France au Sacré-Cœur à la Basi­lique de Mont­martre). Le renou­veau de la méfiance anti­mo­der­niste et l’inquiétude à l’égard des nou­veau­tés fran­çaises issues de la guerre pro­fitent donc à des hommes qui ont conser­vé des rela­tions à Rome, et qui en obtiennent de nou­velles grâce à Mgr Beaus­sart. La Curie, tout au moins cer­tains de ses cercles, peut-être au Saint-Office de Mgr Otta­via­ni ou à la Congré­ga­tion des Sémi­naires et Uni­ver­si­tés du déjà âgé car­di­nal Piz­zar­do, deux congré­ga­tions dont le car­di­nal Nico­las Cana­li (de l’entourage du car­di­nal Mer­ry del Val, qui esti­mait le P. Le Floch) est aus­si membre, n’est très vrai­sem­bla­ble­ment pas étran­gère à la fon­da­tion de la Pen­sée catho­lique. Mgr Beaus­sart par­ta­geait avec Mgr Otta­via­ni une com­mune inquié­tude sur la for­ma­tion dis­pen­sée dans les sémi­naires et les Uni­ver­si­tés catho­liques, où les textes ronéo­ty­pées du P. Teil­hard de Char­din cir­cu­laient sous le man­teau, et ce jusque dans le temple néos­co­las­tique romain qu’est la Gré­go­rienne ((  J.-M. Pau­pert, Peut-on être chré­tien aujourd’hui ?, Ber­nard Gras­set, 1966, pp. 47–59.)) . Le P. Mario Cor­do­va­ni o.p., Maître du Sacré-Palais Apos­to­lique, s’inquiétait de la situa­tion intel­lec­tuelle fran­çaise, ain­si que le P. Gar­ri­gou-Lagrange. L’abbé Lefèvre leur fait des rap­ports oraux et écrits à ce sujet en 1948. Bref, la Pen­sée catho­lique peut se tar­guer d’être sou­te­nue par la Curie. Mais ce sou­tien demeure dis­cret, très dis­cret, et seuls, de temps en temps, cer­tains signes laissent voir l’intérêt que Rome porte à la revue : en 1953, la révi­sion de la tra­duc­tion d’un dis­cours du car­di­nal Otta­via­ni par lui-même ((  Sur la liber­té reli­gieuse, et qui visait tant Jacques Mari­tain que le P. John Court­ney Mur­ray, un des ins­pi­ra­teurs de Digni­ta­tis Humanæ à Vati­can II.))  ; la même année, l’intervention du même pour évi­ter la dis­pa­ri­tion de la revue à l’occasion de graves dif­fé­rends entre cer­tains fon­da­teurs. Bref, la Pen­sée catho­lique béné­fi­cie de la sym­pa­thie des oppo­sants à la « nou­velle théo­lo­gie » qui estiment qu’elle joue un rôle néces­saire et impor­tant dans le main­tien de la saine doc­trine. Mais elle n’est pas une revue offi­cieuse et n’engage pas le Magis­tère.
Les car­rières des fon­da­teurs ne pro­fi­tèrent cepen­dant pas de ces proxi­mi­tés. Il était trop tard. L’abbé Lefèvre, aumô­nier et pro­fes­seur dans diverses ins­ti­tu­tions reli­gieuses jusqu’en 1954, est ensuite en congé  jusqu’à sa mort en 1987. L’abbé Ber­to se consacre à ses orphe­li­nats et aux Domi­ni­caines du Saint-Esprit, congré­ga­tion ensei­gnante qu’il a fon­dée, et ouvre bien­tôt les foyers Notre-Dame de Joie à Pont­ca­lec. L’abbé Roul, en 1947, est nom­mé cha­noine puis curé de la popu­leuse paroisse Saint-Simi­lien à Nantes. Il le demeure pen­dant vingt ans, jusqu’à sa mort. Seul le cha­noine Lus­seau obtient des pro­mo­tions : pro­to­no­taire apos­to­lique en 1951, doyen de la Facul­té de Théo­lo­gie de l’Université d’Angers en 1952.
Est-ce à dire qu’ils man­quaient d’épaisseur ? Il ne semble pas. Leur carac­tère à tous était bien trem­pé, et le ton pou­vait s’élever très vite. Témoin la rup­ture entre Mgr Lus­seau et les trois autres direc­teurs, sur la direc­tion de la revue. Un pro­cès fut envi­sa­gé, au civil, entre 1951 et 1953, par celui-là, mais les choses s’arrêtèrent plus tôt. Les ten­sions étaient cepen­dant déjà pré­sentes dès 1948, cau­sées par le rôle de l’abbé Lefèvre, consi­dé­ré comme trop impor­tant par le cha­noine Lus­seau mais seul l’abbé Lefèvre, à Paris, béné­fi­ciait réel­le­ment de temps pour s’occuper de la revue, et par cer­tains désac­cords théo­lo­giques sur l’Ecriture sainte. La par­ti­ci­pa­tion de l’abbé Dulac fut aus­si fluc­tuante en rai­son de son carac­tère ombra­geux. Par ailleurs, l’abbé Ber­to témoi­gnait d’un solide tem­pé­ra­ment qui n’est pas sans rap­pe­ler celui de Louis Veuillot : même amour du peuple et même catho­li­cisme social (pour lequel il défen­dait la beau­té de la litur­gie et le latin), même capa­ci­té polé­mique (le cha­noine Lus­seau l’apprit à ses dépens), même tru­cu­lence ver­bale. Bref, un intran­si­geant véri­table. L’abbé Roul était quant à lui doté d’une nature forte qui en fai­sait un curé qui n’hésitait pas à en remon­trer à ses parois­siens, ni à prendre par­ti. Quant à leur for­ma­tion théo­lo­gique, elle ne lais­sait pas à dési­rer — l’abbé Ber­to en par­ti­cu­lier était un théo­lo­gien plus qu’honnête —, et fai­sait d’eux d’honnêtes épis­co­pables, n’eussent été leur choix d’un intran­si­gean­tisme de com­bat.
Celui-ci n’en était pas pour autant rédhi­bi­toire. Pie XII n’hésita pas à nom­mer des évêques dont la for­ma­tion était com­pa­rable à celle des fon­da­teurs de la Pen­sée catho­lique et la fidé­li­té au P. Le Floch, non pas iden­tique, mais en tout cas cer­taine. Le doyen des sémi­na­ristes en 1926–1927, qui sou­tint le P. Le Floch, Roger Johan, devint évêque. Xavier Morilleau, for­mé lui aus­si à Rome durant la même période et au même endroit, qui res­ta fidèle à son intran­si­gean­tisme toute sa vie ((  Il appe­la à voter « non » lors du réfé­ren­dum de 1958 car le pro­jet de Consti­tu­tion ne conte­nait pas de réfé­rence à Dieu, se démar­quant ain­si de ses pairs qui appe­laient à voter en conscience ou à voter de manière posi­tive. La Pen­sée catho­lique fit cam­pagne pour le « non » avec d’autres groupes catho­liques ‑intran­si­geants.)) , ne dut sa pro­mo­tion à l’épiscopat, au siège de La Rochelle il est vrai (région mar­quée par le pro­tes­tan­tisme), qu’aux assu­rances don­nées par un dépu­té au pré­fet qui s’inquiétait des orien­ta­tions poli­tiques, d’Action fran­çaise bien sûr, d’un ancien élève du Sémi­naire fran­çais. La ques­tion poli­tique n’est cepen­dant pas non plus abso­lu­ment déter­mi­nante. Ce n’est donc pas tel­le­ment la doc­trine qui pose pro­blème, ni le carac­tère. Les nonces n’hésitent pas à pro­mou­voir après 1945 des can­di­dats qui ont sui­vi le même cur­sus que les fon­da­teurs : la fidé­li­té romaine est appré­ciée en ces années mou­vantes. Le type même de prêtres que furent les fon­da­teurs de la revue en est une expli­ca­tion ((  M. Minier, L’épiscopat fran­çais du Ral­lie­ment à Vati­can II, Casa Edi­trice Dott. Anto­nio Mila­ni, Padoue, 1982, pp. 176–182.)) . Il est pos­sible aus­si que l’absence de sou­tien épis­co­pal soit la cause domi­nante : leur car­rière n’a jamais vrai­ment com­men­cé, ou, si elle a débu­té, elle s’est arrê­tée trop tôt. Si Alphonse Roul entame une car­rière admi­nis­tra­tive grâce à Mgr Le Fer de La Motte, Mgr Vil­le­pe­let ne le pré­sen­te­ra jamais à l’épiscopat alors que, des quatre fon­da­teurs, il est celui dont on dit qu’il aurait été le plus apte ; et il faut l’intervention d’évêques de ses amis pour qu’il soit nom­mé cha­noine et quitte le Lycée Cle­men­ceau au pro­fit de Saint-Simi­lien.
S’il faut trou­ver une rai­son qui rende compte du des­tin par­ti­cu­lier des hommes de la Pen­sée catho­lique, il faut aller la cher­cher du côté de leur pen­sée. L’apocalyptisme est en effet un des traits domi­nants de la Pen­sée catho­lique. La revue se carac­té­rise par une lec­ture de l’histoire fon­dée sur la lutte de Satan et de ses sup­pôts, cher­chant depuis la Renais­sance, la Réforme et plus par­ti­cu­liè­re­ment depuis la révo­lu­tion de 1789, à ins­tau­rer leur domi­na­tion, contre Dieu, le Christ, Roi social et spi­ri­tuel, et son Eglise. Elle repère, iden­ti­fie et nomme les forces et les agents du Mal (juifs, francs-maçons, pro­tes­tants, non-catho­liques, répu­bli­cains laïcs, catho­liques libé­raux). L’abbé Lefèvre écrit ain­si qu’« au XXe siècle, en pays chré­tien comme le nôtre, on est anti­com­mu­niste parce qu’on est chré­tien, fils de l’Eglise et de Dieu, capable encore de voir dans le com­mu­nisme le “sys­tème” der­nier, authen­tique abou­tis­se­ment de toutes les héré­sies des siècles pas­sés, inven­té pour la ruine de la Civi­li­sa­tion chré­tienne, œuvre de Dieu, de l’Eglise et des peuples chré­tiens » ((  L. J. Lefèvre, « Eclair­cis­se­ments sur l’anticommunisme », La Pen­sée catho­lique, n. 38, 2e trim. 1955, p. ‑41.)) . La revue publie en 1956 une réponse de catho­liques aux pro­po­si­tions de loi sur la laï­ci­té du gou­ver­ne­ment Guy Mol­let : il s’agit d’une attaque de Satan contre l’Eglise par l’instrument qu’est la Franc-Maçon­ne­rie. Le gou­ver­ne­ment veut « sépa­rer l’Eglise de l’Etat, et par ce moyen rui­ner la vie chré­tienne dans les âmes ». Ce sacri­lège entraî­ne­rait la ruine de la nation fran­çaise, et la seule réac­tion pos­sible est l’adoration eucha­ris­tique et le com­bat contre les démons en s’appuyant sur l’exorcisme de Léon XIII ((  « Après la pro­po­si­tion de loi sur la “laï­ci­té” », La Pen­sée catho­lique, n. 42, 2e trim. 1956, pp. 68–70.)) . L’éditorial du numé­ro 42 a le même ton :
Ce n’est pas d’hier qu’est prê­tée à Satan une puis­sance uni­ver­selle qui lui per­mette de prendre la direc­tion des cer­veaux et des cœurs à l’échelle du monde, en face de l’Eglise catho­lique, l’Eglise uni­ver­selle du Christ, dans un esprit de totale laï­ci­té.
Ce n’est pas d’hier que datent les vastes plans d’une Inter­na­tio­nale maçon­nique, dont le pou­voir mon­dial veut être triple : juri­dique et jus­ti­cier, éco­no­mique et finan­cier, cultu­rel et reli­gieux, mais reli­gieux a‑confessionnel ou même — et pour­quoi pas ? — supra-confes­sion­nel, à cette double fin (qui se vou­drait noble) de conju­rer les maux sociaux et d’instaurer la paix dans un monde offi­ciel­le­ment uni.
Mais c’est de nos jours que se réa­lisent promp­te­ment les vœux des pro­phètes et des hérauts de cette Inter­na­tio­nale maçon­nique, expri­més hier dans une langue sonore si absurde qu’elle pou­vait faire rire les meilleurs d’entre nous. […]
De pareilles sor­nettes on a pu se moquer, il y a soixante ans et il y a trente ans.  « N’attachons pas de prix aux dits des obsé­dés… Nul ne peut empê­cher les fous de vati­ci­ner… » On avait haus­sé les épaules et on avait ri. Mais main­te­nant ?
Aujourd’hui les capi­tales de l’Internationale maçon­nique sont à New-York et à Paris. Paris où se construit « l’édifice le plus impor­tant qu’il soit don­né à la pré­sente géné­ra­tion de bâtir, car il consti­tue, nous dit le Pré­sident de l’Unesco, le sym­bole archi­tec­tu­ral du Pro­grès, de l’Education, de la Culture dans le monde actuel ».
Or là où fleu­rit cette Inter­na­tio­nale maçon­nique, une Civi­li­sa­tion maté­ria­liste s’élabore qui tente de « faire régner, selon le mot de S. S. Pie XII, l’ordre et la sécu­ri­té sur la méthode pure­ment quan­ti­ta­tive… qui ne tient aucun compte de l’ordre de la nature, comme la vou­draient ceux qui confient toute la des­ti­née de l’homme à l’immense pou­voir indus­triel de l’époque pré­sente ».
Or là ou fleu­rit cette Inter­na­tio­nale maçon­nique, la Science et le Pro­grès, le Réar­me­ment Moral et le Désar­me­ment men­tal prennent la place de Notre Sei­gneur Jésus-Christ. Des armées de mis­sion­naires de la « laï­ci­té » se sub­sti­tuent aux mis­sion­naires du Christ. ((  « Pour ou contre la tour de Babel », La Pen­sée catho­lique, n. 42, 1er trim. 1956, pp. 1–2.))
Il serait pos­sible de mul­ti­plier les cita­tions, car ces nota­tions et ces posi­tions se déve­loppent assez lar­ge­ment à par­tir de 1953–1954, en réac­tion notam­ment à l’expansion com­mu­niste. Elles sont cepen­dant loin d’être anor­males. Elles sont en effet une des ver­sions habi­tuelles de l’intransigeantisme et de l’intégralisme catho­lique, consti­tuée en « sys­tème », ou tout au moins en dis­cours et en mode d’interprétation du monde, aux alen­tours de 1875–1885, appuyés sur les écrits d’un cer­tain nombre d’auteurs, dont l’abbé Bar­ruel (qui dénon­çait le com­plot maçon­nique anti­chré­tien à l’origine de la Révo­lu­tion fran­çaise), J. Cré­ti­neau-Joly (qui révé­lait les actions sub­ver­sives du catho­li­cisme de la Char­bon­ne­rie), le P. Des­champs s.j. (qui vili­pen­dait l’action des­truc­trice des socié­tés secrètes sur la socié­té), R. Gou­ge­not des Mous­seaux (qui accu­sait les juifs de per­ver­tir les socié­tés chré­tiennes), illus­trés par Mgr Delas­sus dans sa Semaine reli­gieuse de Cam­brai, par Mgr Jouin dans la Revue inter­na­tio­nale des socié­tés secrètes, conti­nués et enri­chis dans la seconde moi­tié du XXe siècle par Pierre Virion, Jules Artur (tous deux écrivent dans la Pen­sée catho­lique) ou André de la Fran­que­rie qui uti­lisent ceux qui les ont pré­cé­dés pour déve­lop­per leurs posi­tions. La Pen­sée catho­lique exprime donc une tra­di­tion, qu’elle connaît et maî­trise. L’abbé Dulac avait par­ti­ci­pé durant deux ans à la Revue inter­na­tio­nale des socié­tés secrètes, en 1930–1932 ; l’abbé Roul citait dans son livre L’Eglise et le droit com­mun le P. Des­champs ; l’abbé Lefèvre, sous le pseu­do­nyme de Jean-Marc d’Anthoïne, dans son Ode pour la bataille de l’intelligence, écrite au moment de la Libé­ra­tion de Paris et envoyée à Charles Maur­ras, s’écriait, après avoir dénon­cé l’action sata­nique de per­ver­sion de l’intelligence dont témoigne le berg­so­nisme :
A ton poste, ô mon âme, veille !
La bataille qu’on sait livrer
Pour l’intelligence réveille
Les forces qu’il faut recou­vrer.
Contre l’Enfer et son délire
Ramasse les foudres de l’ire :
Les jours enfin sont révo­lus
Du men­songe qu’ont vou­lu clore
D’un monde nou­veau près d’éclore
Les jeunes hommes réso­lus. ((  J.-M. d’Anthoïne, Inde irae. Ode pour la bataille de l’intelligence, Impri­me­rie Dumou­lin, 1945.))
Bref, les hommes de la Pen­sée catho­lique sont des intran­si­geants, des catho­liques inté­graux, de com­bat, apo­ca­lyp­tiques.
Or, cet apo­ca­lyp­tisme n’est plus par­ta­gé par les ins­tances romaines,  ou tout au moins ne l’est plus autant qu’il l’a été de Pie IX à Pie X. Si Pie XII ana­lyse en des termes apo­ca­lyp­tiques, ou qui s’en approchent, la situa­tion inter­na­tio­nale ((  J.-M. Mayeur, « Les Eglises et les rela­tions inter­na­tio­nales. II. L’Eglise catho­lique » dans His­toire du Chris­tia­nisme, t. 12, Guerres mon­diales et tota­li­ta­rismes (1914–1958), op. cit., pp. 334–342.)) , cela reste fort en retrait par rap­port à ce qui a pu exis­ter cin­quante ou cent ans plus tôt, à la dénon­cia­tion de la Franc-Maçon­ne­rie, « syna­gogue de Satan », par Pie IX en 1873. La lec­ture de la Civil­tà Cat­to­li­ca, la revue jésuite plus ou moins offi­cieuse du Saint-Siège, en convainc éga­le­ment : finies les accu­sa­tions contre les ori­gines kab­ba­lis­tiques du maçon­nisme sata­nique et contre le crime rituel tal­mu­dique ((  « Gli ebrei osser­van­ti conti­nua­no anche ora ad osser­vare la Pas­qua san­gui­na­ria. Ques­ta loro osser­van­za è ora piu facile e meno per­ico­lo­sa che nel medio evo. Il tal­mu­dis­mo padre del mas­so­nis­mo. Samuele ebreo rive­la che nel­la Pas­qua giu­dai­ca non solo si man­gia ma si beve il sangue cris­tia­no ; e con esso si bene­dice la men­sa. Per­chè gli ebrei si ten­go­no obbli­ga­ti in cos­cien­za a tali osser­vanze », vol. IX, n. 757 (1881), pp. 107–113 ; « Rela­zione tra la Caba­la Rab­bi­ni­ca e la Mas­so­ne­ria. Che cosa sia pro­pria­mente la Caba­la. Esem­pio pre­so dal det­toche, Omne malum ab aqui­lone », série XII, vol. I, n. 785 (1883), pp. 725–734.)) . De plus, les ins­tances romaines doivent tenir compte des mul­tiples orien­ta­tions et du dyna­misme indé­niable d’un catho­li­cisme fran­çais face auquel elles déve­loppent un cer­tain com­plexe d’infériorité et dont elles se méfient, tant elles redoutent que son influence sur la catho­li­ci­té n’entraîne en celle-ci des chan­ge­ments par trop à l’image de ce qu’il réa­lise. Elles ne sont pas non plus insen­sibles aux ardeurs apos­to­liques de ceux qui s’engagent auprès du monde ouvrier et com­prennent leur sou­ci, tenant à apai­ser les ten­sions et à évi­ter les rup­tures. Ain­si, lorsque Ella Sau­va­geot, res­pon­sable des publi­ca­tions de la Vie catho­lique, se rend à Rome en 1957 pour défendre le Bul­le­tin de J. Chan­ta­gner, suc­ces­seur de la défunte Quin­zaine, elle ren­contre les PP. Paul Phi­lippe o.p. et Phi­lippe de la Tri­ni­té o.c.d. (consul­teurs du Saint-Office) et le car­di­nal Otta­via­ni, qui lui garan­tissent que la publi­ca­tion du décret contre le Bul­le­tin n’est pas déci­dée et n’aura pas lieu si le car­di­nal Fel­tin se porte garant de la revue. Ella Sau­va­geot rap­porte aus­si que Rome se sou­cie de « l’importance uni­ver­selle du catho­li­cisme fran­çais, du mou­ve­ment intel­lec­tuel fran­çais, donc de ce que nous fai­sons », et lui fait confiance pour qu’elle tem­père ses cama­rades et sou­tienne l’archevêque de Paris ((  Archives His­to­riques du Dio­cèse de Paris, 1 D 15, 17, lettre d’E. Sau­va­geot au car­di­nal Fel­tin, 29/07/1957.)) . Une telle atti­tude n’est pas celle de la Pen­sée catho­lique, dont les ten­dances polé­miques s’accentuent après la mort de Mgr Beaus­sart et sont loin de lui faire des amis. Fran­çois Mau­riac, « intel­lec­tuel de gauche » ins­tal­lé à l’occasion de la « Révo­lu­tion de 1944 » à la tri­bune du Figa­ro, écri­vain « des enfers fami­liaux, des héré­di­tés indis­crètes, des troubles orga­niques, des puber­tés ver­beuses, des dis­so­nances d’alcôves » ((  « Com­bat sin­gu­lier. Les billets de Lucien », La Pen­sée catho­lique, n. 17, 1er trim. 1951, p. 120. La Pen­sée catho­lique rejoint les attaques de l’abbé Fran­çois Ducaud-Bour­get contre Paul Clau­del dans Matines en 1950, dont elle rend compte avec joie : « Un geste ambro­sien. Les billets de Lucien », La Pen­sée catho­lique, n. 15, 3e trim. 1950, pp. 112–113 ; V. Bre­ton, F. Ducaud-Bour­get, L. Lefèvre, Clau­del, Mau­riac et Cie, Catho­liques de lit­té­ra­ture, Edi­tions de l’Ermite, Paris, ‑1951.)) , n’est que le maître d’une série de catho­liques lit­té­ra­teurs dont les écrits se contentent de mon­trer l’abjection de l’âme. J. Vier n’est pas en reste pour dénon­cer des com­pro­mis­sions odieuses, qu’il s’agisse de celles ins­pi­rées par Hen­ri Guille­min dans « Par notre faute » ((  « Cha­ri­té renou­ve­lée », La Pen­sée catho­lique, n. 16, 4e trim. 1950, pp. 98–101, a eu l’occasion d’essoriller F. Heer, « L’amour des enne­mis », La Vie intel­lec­tuelle, n. 5, 05/1950, pp. 515–535, refu­sant l’autocritique catho­lique, « maso­chisme spi­ri­tuel, dont La Vie intel­lec­tuelle don­na jadis l’obscène spec­tacle en par­lant de “l’Eglise, corps de péché ” », égra­ti­gnant au pas­sage « la dis­tin­guée revue domi­ni­caine » dont la chro­nique théâ­trale « forme habi­tuel­le­ment la par­tie la plus ‑solide ».)) , de celles dans la lignée du P. Teil­hard de Char­din ou de celles de ceux qui marchent à la suite de Mau­riac. Et l’abbé Ber­to a beau jus­ti­fier l’invective qui ridi­cu­lise des idées fausses qui troublent les catho­liques, la revue, la polé­mique, com­bat d’idées, œuvre de cha­ri­té qui dif­fère de l’agression, la Pen­sée catho­lique n’en est pas moins trai­tée d’intégriste, ses adver­saires esti­mant qu’elle recherche le mal, mani­pule les textes, majore l’orthodoxie.
Le catho­li­cisme fran­çais a lui aus­si très lar­ge­ment aban­don­né ses orien­ta­tions apo­ca­lyp­tiques. Si on les retrouve lar­ge­ment gom­mées chez cer­tains héri­tiers de la « nou­velle chré­tien­té », par exemple dans l’encyclopédie « Je sais — Je crois » diri­gée par Daniel-Rops ou chez Mgr Cris­tia­ni, l’animateur de la revue de for­ma­tion per­ma­nente du cler­gé, l’Ami du cler­gé ((  N. Corte, Satan et nous, Fayard, coll. Je sais-Je crois, 21, 1956, pp. 84–86, 110–119, 121 (sont cités dans la biblio­gra­phie Mgr Jouin et M. de la Bigne de Vil­le­neuve dont l’ouvrage, Satan dans la Cité, édi­té en 1951 aux Edi­tions du Cèdre fon­dées pour dif­fu­ser la Pen­sée catho­lique et des ouvrages romains, mon­trait l’enracinement des hommes de la revue dans l’apocalyptisme catho­lique). Mgr L. Cris­tia­ni, Pré­sence de Satan dans le monde moderne, Edi­tions France-Empire, 1959, pp. 257–259.)) , ailleurs, elles ont dis­pa­ru ou ont muté. Les tenants d’une réforme de l’Eglise et de la « nou­velle théo­lo­gie » en tiennent pour un escha­to­lo­gisme plu­tôt pes­si­miste avec la revue Dieu vivant, alors que le P. Fillère, for­mé à Rome mais au tho­misme ori­gi­nal, mar­qué par une réflexion sur la reli­gio­si­té natu­relle de l’homme, défend une vision escha­to­lo­gique où les traits apo­ca­lyp­tiques et mili­tants sont assu­més dans l’attente active de la Parou­sie ((  E. Fouilloux, « Une vision escha­to­lo­gique du chris­tia­nisme : Dieu vivant (1945–1955) », Au cœur du XXe siècle reli­gieux, Edi­tions ouvrières, coll. Eglises/Sociétés, 1993, pp. 277–305 ; B. Bes­ret, Incar­na­tion ou escha­to­lo­gie ? Edi­tions du Cerf, coll. Ren­contres, 1964, pp. 107–166 ; J. Dam­blans, D. Ren­du, M. Thé­ve­non, Le Père Fillère, nos­tal­gie du futur, OEIL, ‑1989.)) . La Pen­sée catho­lique est donc en par­tie iso­lée — en par­tie, car la galaxie intran­si­geante conserve et entre­tient elle aus­si la tra­di­tion apo­ca­lyp­tique : le plan du « manuel » de la Cité catho­lique, Pour qu’Il règne, traite ain­si dans sa deuxième par­tie des « oppo­si­tions à la Royau­té sociale de Notre-Sei­gneur Jésus-Christ. I. Le natu­ra­lisme. […] II. La Révo­lu­tion. […] III. La Révo­lu­tion, ses troupes régu­lières (pre­mières sectes héré­tiques ; mani­chéisme, tem­pliers, paga­nisme de la Renais­sance, Rose-Croix ; la Réforme pré­pare déjà la Révo­lu­tion ; le “grand com­plot” du XVIIIe siècle ; la Maçon­ne­rie sous la Révo­lu­tion, sous l’Empire, sous la Res­tau­ra­tion ; la Révo­lu­tion à la conquête du monde ; Judaïsme et révo­lu­tion). IV. La Révo­lu­tion, sa cin­quième colonne (quié­tistes, jan­sé­nistes, gal­li­cans); […] ; un cou­rant qui pré­pare les voies à la Révo­lu­tion : le “catho­li­cisme-libé­ral” […]. V. La Révo­lu­tion, nos propres aban­dons et com­pli­ci­tés […]. VI. Sous le signe de la Bête […] » tan­dis que sont cités l’abbé Bar­bier, l’abbé Bar­ruel, J. Cré­ti­neau-Joly, Mgr Delas­sus et le P. Des­champs.
Rien ne témoigne mieux de cet iso­le­ment que la réac­tion en 1955 de Joseph Fol­liet, dans la Chro­nique sociale de France, à une affir­ma­tion, qu’il trouve théo­lo­gi­que­ment fort dou­teuse, de l’abbé Dulac : l’auteur de la réha­bi­li­ta­tion de Mgr Beni­gni, s’inscrivant dans une longue tra­di­tion de lec­ture de l’histoire à la lumière d’une inter­pré­ta­tion spé­ci­fique de la Cité de Dieu, esti­mait en 1952 qu’ « il y a un “plé­rôme” du Mal comme il y a un “plé­rôme” du Bien. Il y a un Corps mys­tique de Satan comme il y a un Corps mys­tique du Christ, et toute la durée de cette vie doit se pas­ser à l’édification de l’un et de l’autre ». De même, l’interprétation de la Guerre d’Algérie par l’abbé Lefèvre, qui, dans la lignée de la même tra­di­tion, esti­mait en 1958 que « Le com­bat de ce jour est le com­bat de la Croix contre le Crois­sant, jeté sur la ligne de feu par les maîtres de l’Etoile Rouge, de la fau­cille et du mar­teau » ((  L. J. Lefèvre, « Le cen­te­naire de Lourdes et l’esprit de démis­sion », art. cit., p. 5. On voit ici le lien fait entre appa­ri­tions mariales et vie tem­po­relle, évé­ne­ments sur­na­tu­rels et contin­gence ‑poli­tique. )) , est jugée « déli­rante » par J. Natan­son, favo­rable à une prise en compte des aspi­ra­tions natio­nales algé­riennes, dans Parole et mis­sion en 1962 ((  R. Dulac, « Eloge de l’intégrisme », La Pen­sée catho­lique, n. 21, 1er trim. 1952, p. 24 ; J. Fol­liet, « Pro­gres­sisme et inté­grisme, Essai de psy­cha­na­lyse exis­ten­tielle », Chro­nique sociale de France, n. 3, 15/05/1955, note 31 p. 282 ; J. Natan­son, « Quelques aspects de la men­ta­li­té inté­griste », Parole et mis­sion, n. 17, 15/04/1962, p. 202 ; « Flo­ri­lège inté­griste », Parole et mis­sion, op. cit., pp. 238–241, met aus­si en cause la même remarque de l’abbé Dulac.)) .
Quelle fut l’influence de la Pen­sée catho­lique ? Il est dif­fi­cile de la jau­ger. Elle fut sans doute cer­taine, dans trois direc­tions au moins. Tout d’abord, elle a pu modé­rer les ardeurs d’expression des tenants d’une réforme de l’Eglise : le P. Teil­hard de Char­din prend soin de rela­ti­vi­ser immé­dia­te­ment ses écrits que dis­cute le cha­noine Lus­seau (ils sont une ver­sion anté­rieure d’un tra­vail des­ti­né à ses supé­rieurs et qui cir­cule contre sa volon­té). Le P. Congar tient à se défendre avec force des accu­sa­tions de moder­nisme jetées par l’abbé Lefèvre sur sa théo­lo­gie du laï­cat, et il n’hésite pas à mena­cer d’un pro­cès à l’officialité pour obte­nir l’insertion de sa réponse — ce qu’il obtient, mais avec une fin de non-rece­voir théo­lo­gique de l’abbé Ber­to. Cepen­dant, il est pos­sible de se deman­der si elle fut, à ce niveau, vrai­ment effi­cace : son dépit lors de son dixième anni­ver­saire, lorsqu’elle constate qu’elle est tenue pour quan­ti­té négli­geable, jamais dis­cu­tée, en témoigne. C’est très net­te­ment le cas quand elle publie, la pre­mière, les extraits de l’enquête du pro­cès de béa­ti­fi­ca­tion de Pie X qui jus­ti­fient son atti­tude à l’égard du Soda­li­tium Pia­num : aucune réac­tion.
Ensuite, la Pen­sée catho­lique a, d’une cer­taine manière, per­mis une réforme et une réorien­ta­tion de la Mis­sion de France. Elle a atteint à ce niveau, un de ses buts : réfor­mer la pen­sée pour que celle-ci, bonne, puisse sus­ci­ter une bonne action. L’abbé Ber­to était en effet en contact avec les res­pon­sables de la Mis­sion de France qu’il a conseillés, n’a pas hési­té à défendre l’utilité de l’institution dans la revue tout en lui conseillant de faire appel à Rome, et a mis à son ser­vice ses réflexions sur la pos­si­bi­li­té du tra­vail des prêtres (il réflé­chis­sait à par­tir du sta­tut des prêtres-sol­dats).
Enfin, la revue fut une des caisses de réso­nance du Cœtus Inter­na­tio­na­lis Patrum lors de Vati­can II. Elle fut même un des foyers par lequel le CIP se consti­tua : elle était en effet un des lieux de ren­contre des intran­si­geants oppo­sés à la réforme de l’Eglise qui triom­pha, et dont un cer­tain nombre furent for­més au Sémi­naire fran­çais de Rome. Mgr de Cas­tro Mayer et Mgr de Proen­ça-Sigaud la connais­saient et l’estimaient ; l’abbé Ber­to fut théo­lo­gien de Mgr Lefebvre lors du Concile ; Dom Georges Fré­naud et Dom Paul Nau, moines de Solesmes, anciens du Sémi­naire fran­çais du P. Le Floch, par­ti­ci­paient avec Dom Prou, suc­ces­seur de Dom Gué­ran­ger, à des ses­sions de tra­vail sur les sché­mas conci­liaires.
Elle fut sur­tout une réfé­rence intel­lec­tuelle des intran­si­geants. Au sein de la galaxie de mou­ve­ments plus ou moins spé­cia­li­sés, mais sans aucune concer­ta­tion (à la Cité catho­lique la for­ma­tion élé­men­taire des mili­tants de l’action tem­po­relle ; à Nou­velle de Chré­tien­té la dif­fu­sion des infor­ma­tions et docu­ments romains ; à Pater­ni­té-Mater­ni­té la lutte pour la famille et l’éducation ; aux Cercles d’études d’Angers le juge­ment sur les livres ; à Iti­né­raires la réflexion poli­tique à la lumière de la théo­lo­gie), elle était l’organe spé­ci­fi­que­ment théo­lo­gique qui s’était voué à défendre la roma­ni­té théo­lo­gique et l’intransigeantisme mili­tant anti­mo­der­niste afin que les pen­sées fussent droi­te­ment for­mées pour tra­vailler à réta­blir la chré­tien­té.

Paul AIRIAU
Catho­li­ca, n. 60