Revue de réflexion politique et religieuse.

La sécu­la­ri­sa­tion de l’E­glise

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

L’idéo­lo­gie conci­liaire a mis ain­si l’Eglise dans une direc­tion net­te­ment dis­tincte de celle, mys­té­rique ((  Connais­sance des mys­tères divins, spé­cia­le­ment par le moyen des sacre­ments [-NdT].))  et mys­tique, qui avait pré­va­lu sous Pie XII et dans toute la théo­lo­gie pré­con­ci­liaire. Il en est résul­té l’isolement d’une des com­po­santes de l’idéologie conci­liaire, celle repré­sen­tée par les théo­lo­giens de la ligne mys­ti­co-mys­té­rique, de Lubac, von Bal­tha­sar, Rat­zin­ger, Bouyer. En fait, il y eut une pola­ri­sa­tion, les deux pôles se situant tous deux en dehors de la ligne mys­tique de la renais­sance catho­lique de l’après-guerre et de Pie XII.
C’était, d’une part, la ligne tra­di­tio­na­liste, qui se fon­dait en matière théo­lo­gique sur les manuels et sur le tho­misme consi­dé­ré comme la phi­lo­so­phie offi­cielle de l’Eglise. Sa méthode était celle qu’avait jadis fixée le De locis theo­lo­gi­cis de Mel­chior Cano, celle d’un modèle logi­co-déduc­tif en ver­tu duquel on dédui­sait des pro­po­si­tions cer­taines à par­tir des défi­ni­tions papales et conci­liaires, avec des lam­beaux d’Ecriture sainte, de Pères et de théo­lo­giens. La théo­lo­gie natu­relle y résol­vait à son propre niveau tous les pro­blèmes pro­pre­ment spé­cu­la­tifs de la théo­lo­gie. Cepen­dant, le tho­misme n’a pas été le point de réfé­rence du tra­di­tio­na­lisme, qui s’est consti­tué comme tel non sur le plan théo­lo­gique mais sur le plan litur­gique et poli­tique.
Le second pôle était consti­tué par ceux qui accep­taient la sécu­la­ri­sa­tion comme l’univers au sein duquel il fal­lait pen­ser le catho­li­cisme. Cela signi­fiait que le conte­nu de la foi devait être conçu comme non contra­dic­toire d’une ana­lyse pure­ment are­li­gieuse du réel. Cela signi­fiait aus­si la subor­di­na­tion de prin­cipe de la théo­lo­gie aux sciences humaines, la pre­mière res­tant une espèce de réper­toire ima­gi­naire por­teur d’une signi­fi­ca­tion non ratio­na­li­sable. A moins qu’on n’assume une signi­fi­ca­tion de la théo­lo­gie imma­nente au monde, incluant de ce fait un volet poli­tique et social. On peut consi­dé­rer que la théo­lo­gie sécu­la­ri­sée a trou­vé son expres­sion glo­bale dans ce virage anthro­po­lo­gique dont la prin­ci­pale réfé­rence a été Karl Rah­ner, ou bien encore dans la théo­lo­gie poli­tique de la libé­ra­tion qui pro­cé­dait de ce virage mais qui, pour sa part, condui­sait à une réduc­tion de l’orthodoxie à l’orthopraxie. Tout cela se pro­dui­sant dans le contexte d’une ampli­fi­ca­tion du carac­tère aca­dé­mique de la théo­lo­gie. C’est d’ailleurs dans les facul­tés de théo­lo­gie que la sécu­la­ri­sa­tion de l’Eglise a atteint ses plus hauts som­mets : y pré­va­lait le cri­tère émi­nem­ment aca­dé­mique d’une spé­cia­li­sa­tion par sec­teurs, paral­lè­le­ment à la mise de côté de la dimen­sion pro­pre­ment théo­lo­gale de cette science. D’où le fait que la théo­lo­gie a été d’abord le sec­teur domi­nant, et puis est deve­nue un sec­teur délais­sé, jus­te­ment parce que les pro­fes­seurs de théo­lo­gie n’ont plus été en mesure en tant que tels de nour­rir la vie spi­ri­tuelle des fidèles.
Le catho­li­cisme s’est donc trou­vé écar­te­lé après le Concile entre ces deux pôles. Inévi­ta­ble­ment la déchi­rure s’est concré­ti­sée autour de l’eucharistie. Le catho­li­cisme était jusque-là cen­tré sur la pré­sence réelle du Christ sous les espèces du pain et du vin qui, tout au long du second mil­lé­naire, avait défi­ni les contours d’une spi­ri­tua­li­té d’adoration du Corps eucha­ris­tique du Christ pré­sent sous les espèces sacra­men­telles. Cette spi­ri­tua­li­té avait une grande ver­tu reli­gieuse, parce qu’elle incar­nait la ten­sion spi­ri­tuelle du chré­tien. Elle per­met­tait une concen­tra­tion mys­tique autour de la foi en la pré­sence réelle. On ne peut pas com­prendre le catho­li­cisme du second mil­lé­naire en fai­sant abs­trac­tion de cette concen­tra­tion du sen­ti­ment reli­gieux sur l’adoration eucha­ris­tique. Par consé­quent, enle­ver la pré­sence réelle du centre de la spi­ri­tua­li­té des fidèles signi­fiait tou­cher la dimen­sion pro­fonde de leur sen­ti­ment reli­gieux, la source vivante et concrète de la mys­tique chré­tienne. Il se trouve que la réforme litur­gique a été réa­li­sée par des litur­gistes qui étaient des pro­fes­seurs et qui l’ont conçue comme une res­tau­ra­tion devant enjam­ber les siècles post-tri­den­tins cen­sés repré­sen­ter une invo­lu­tion, une perte de la pure­té des ori­gines.

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