Revue de réflexion politique et religieuse.

La sécu­la­ri­sa­tion de l’E­glise

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Le texte qui suit consti­tue le cha­pitre 11 du livre Il futu­ro del cat­to­li­ce­si­mo — La Chie­sa dopo papa Woj­ty­la (L’avenir du catho­li­cisme — L’Eglise après le pape Woj­ty­la, éd. Piemme, 1997), tra­duit par nos soins avec l’aimable auto­ri­sa­tion de l’éditeur. Le P. Gian­ni Baget Boz­zo est un per­son­nage inclas­sable du catho­li­cisme ita­lien, qui après avoir été col­la­bo­ra­teur du car­di­nal Siri comme direc­teur de la revue Reno­va­tio, est entré en poli­tique et a été élu dépu­té euro­péen sous éti­quette socia­liste. Il col­la­bore notam­ment aujourd’hui au quo­ti­dien Avve­nire, organe de l’épiscopat ita­lien.

Après le concile Vati­can II, comme cela était déjà arri­vé aux grandes confes­sions pro­tes­tantes, l’Eglise catho­lique a sou­dain été enva­hie par la sécu­la­ri­sa­tion.
Tel est en véri­té le mys­tère du Concile, qui ren­voie aux ori­gines mêmes de son inter­pré­ta­tion. Le Concile est le fruit de la réno­va­tion de l’Eglise qui s’est pro­duite tout au long du ving­tième siècle, alors que pesaient sur elle la guerre et les tota­li­ta­rismes : ce qui a pla­cé l’Eglise et le monde dans une nou­velle situa­tion et a ren­du pos­sible le dia­logue avec la moder­ni­té. Le temps des monar­chies de droit divin et du natio­na­lisme bour­geois était fini, cepen­dant que le fait catho­lique sur­vi­vait. Mais il avait lui aus­si chan­gé : il avait accom­pli un effort pour retrou­ver la dimen­sion du mys­tère et de la mys­tique, ce qui, dans le domaine théo­lo­gique, lui avait per­mis de com­men­cer à récu­pé­rer son lan­gage propre et de s’évader de la pri­son des manuels. Pie XII a été la figure emblé­ma­tique de cette réno­va­tion. Or le Concile a été vu comme la néga­tion de Pie XII et a été inter­pré­té comme une rup­ture.
L’ambiguïté remonte à la façon dont il a été lan­cé : Jean XXIII s’est expli­ci­te­ment posé comme une figure dif­fé­rente de Pie XII, la ques­tion clef étant alors la ques­tion du com­mu­nisme. L’Eglise pou­vait-elle éta­blir, sur un plan humain et sécu­lier, un accord avec le com­mu­nisme mal­gré l’opposition que celui-ci conti­nuait de mani­fes­ter au catho­li­cisme dans son propre domaine au sujet de la solu­tion ultime des pro­blèmes de l’humanité ? Y avait-il un ter­rain sur lequel catho­li­cisme et com­mu­nisme pou­vaient mon­trer un visage com­mun ? L’usage de la dis­tinc­tion, en soi exacte, entre l’erreur et celui qui la pro­fesse, a per­mis de consi­dé­rer que l’Eglise ces­sait désor­mais de s’opposer au com­mu­nisme, sans pour autant que ce der­nier ces­sât de s’opposer à elle. Tel est le thème d’une ency­clique de Jean XXIII, Pacem in ter­ris, qui dépeint l’existence humaine sur la terre comme mena­cée par le déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique et l’aventure nucléaire, sur­tout celle du nucléaire mili­taire. On ne doit certes pas en for­cer l’interprétation, mais elle don­nait bien l’impression qu’il fal­lait dépas­ser cette atti­tude de nette oppo­si­tion à l’égard du tota­li­ta­risme com­mu­niste, carac­té­ris­tique du pon­ti­fi­cat de Pie XII. A cause de cela, et bien que le déve­lop­pe­ment du Concile ait été un fruit de la renais­sance catho­lique appa­rue avec le pre­mier après-guerre et qui avait atteint son som­met dans les années cin­quante sous le pon­ti­fi­cat du pape Pacel­li, Vati­can II a été com­pris comme la néga­tion de Pie XII. Ce qu’il n’a pas été, sauf jus­te­ment sur la ques­tion com­mu­niste telle que Jean XXIII l’avait abor­dée.
Cela eut une consé­quence immé­diate sur la poli­tique ita­lienne, en ame­nant à une coopé­ra­tion réelle avec les com­mu­nistes, sous la forme d’une par­ti­ci­pa­tion au gou­ver­ne­ment aux côtés des socia­listes. L’accord conclu avec ceux-ci incluait la place concé­dée aux com­mu­nistes dans les admi­nis­tra­tions, les syn­di­cats et les coopé­ra­tives : de telle sorte que l’ouverture à gauche des catho­liques a signi­fié pour eux la fin de l’anticommunisme en Ita­lie. Et ce qui se pro­duit en Ita­lie est réper­cu­té sur l’ensemble de l’Eglise.
La ques­tion com­mu­niste n’a pas fait l’objet du Concile, mais elle a contri­bué à en défi­nir le cli­mat poli­tique, celui de la fin des condam­na­tions et des anta­go­nismes. A l’époque, lorsqu’on évo­quait ceux-ci, on pen­sait au conflit fron­tal ouvert avec le com­mu­nisme, dont l’Eglise pré­con­ci­liaire avait par­fai­te­ment com­pris le carac­tère de reli­gion totale, tota­li­taire et visant à la des­truc­tion du catho­li­cisme. Cela a eu deux consé­quences au regard de ce que l’on appelle l’idéologie conci­liaire, qui ne concerne pas le conte­nu des docu­ments ni même la for­ma­tion ou l’intention de leurs auteurs, mais le cadre glo­bal d’interprétation dans lequel le Concile a été situé et qui a agi comme un condi­tion­ne­ment inté­rieur, une grille de lec­ture des faits et des docu­ments.
Le pre­mier thème de l’idéologie conci­liaire était : le Concile ne condamne pas. Ce qui, dans le contexte his­to­rique, vou­lait dire objec­ti­ve­ment que le Concile ne condam­nait pas le com­mu­nisme. En fait, le Concile n’a même pas par­lé du com­mu­nisme : ce qui repré­sen­tait en soi un évé­ne­ment consi­dé­rable, étant don­né la tra­di­tion de l’Eglise et l’importance du com­mu­nisme à l’époque. Ce seul fait indi­quait en lui-même que la posi­tion vis-à-vis du com­mu­nisme avait chan­gé et cette nou­velle posi­tion, compte tenu du carac­tère reli­gieux inté­gral du com­mu­nisme, ren­dait pos­sible un chan­ge­ment de la com­pré­hen­sion que l’Eglise avait d’elle-même.
Le second thème de l’idéologie conci­liaire était celui d’une Eglise en rup­ture avec le pas­sé et pro­je­tée vers un ave­nir conçu comme une muta­tion radi­cale dans l’histoire. L’idéologie conci­liaire voyait dans l’Eglise une créa­trice de pro­jets et d’événements ayant pour objet la conci­lia­tion uni­ver­selle. L’Eglise deve­nait sujet d’utopie.

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