Revue de réflexion politique et religieuse.

Jean-Pas­cal Gay : Morales en conflit. Théo­lo­gie et polé­mique au Grand Siècle (1640–1700)

Article publié le 5 Mai 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Issu d’une thèse de doc­to­rat en his­toire sou­te­nue en 2005 à l’Université de Stras­bourg sous le titre Morale sévère/Morale relâ­chée : la crise de la casuis­tique clas­sique en France au XVIIe siècle, cet ouvrage impo­sant et riche­ment docu­men­té (nom­breuses annexes fort inté­res­santes, index, biblio­gra­phie com­plète) se veut une explo­ra­tion du débat théo­lo­gique en France du second XVIIe siècle, ache­vé par les condam­na­tions du laxisme par l’Assemblée du Cler­gé en 1700. Dans son intro­duc­tion, l’auteur (maître de confé­rences en his­toire moderne) expose sa démarche, s’inscrivant notam­ment dans le sillage de J.-L. Quan­tin et de son oeuvre d’intégration de l’histoire de la théo­lo­gie morale dans l’historiographie fran­çaise. Sur ce sujet, il rela­ti­vise à juste titre l’oeuvre de Jean Delu­meau, mar­quée par son temps et par « l’engagement mili­tant de l’intellectuel catho­lique », oeuvre qu’il replace au sein d’une his­toire intel­lec­tuelle du catho­li­cisme des années 1970–1980, mar­qué par « l’influence de la recons­truc­tion luba­cienne de l’histoire de la théo­lo­gie ».
Son but est d’essayer de com­prendre la crise que subit la casuis­tique fran­çaise au XVIIe siècle, mais en ten­tant « de se déga­ger de la ques­tion trop par­ti­sane du laxisme et du rigo­risme ». De ce fait, l’auteur se sépare aus­si des ten­dances récentes d’histoire de la morale, repré­sen­tées par Vereecke, Moore, Pin­ckaers, Aubert, Maho­ney ou Gal­la­gher, ces der­niers ayant créé une « rup­ture avec la théo­lo­gie morale des manuels issue de la casuis­tique, per­çue comme l’expression d’un dys­fonc­tion­ne­ment, sinon d’une dérive de la théo­lo­gie morale catho­lique ». Décri­vant une dyna­mique de raf­fi­ne­ment, avec l’enseignement de la casuis­tique jésuite entre 1550 et 1650, l’auteur retrace les réac­tions à ce mou­ve­ment qui débouchent, d’abord en France puis dans l’Europe entière, sur un anti­jé­sui­tisme. De plus, la ques­tion du jan­sé­nisme ou de l’antijansénisme, qui occupe trop l’historiographie fran­çaise, ne consti­tue qu’un aspect de cette polé­mique. Une polé­mique extrê­me­ment vio­lente, dont l’objet est par­fois flou : soit stric­te­ment théo­lo­gique, soit anti­jé­suite, avec comme exemple topique les Pro­vin­ciales, écrites non contre les posi­tions laxistes, mais pour défendre Antoine Arnaud. Ce n’est qu’au milieu de l’ouvrage qu’il y a un bas­cu­le­ment contre l’image du jésuite cor­rup­teur de la morale. Les mots de laxisme et de rigo­risme, aujourd’hui inté­grés à notre voca­bu­laire, naissent de la polé­mique autour de la théo­lo­gie morale, celui-là ayant été inven­té pour dési­gner de manière insul­tante tout pen­seur se trou­vant du côté du relâ­che­ment, c’est-à-dire dans le camp des jésuites (même s’il englobe aus­si des capu­cins ou des prêtres sécu­liers). Le pre­mier auteur condam­né est Etienne Bau­ny, indul­gent, mais aus­si mis en cause car il écrit en fran­çais des livres des­ti­nés à un large public, et non réser­vés au monde des théo­lo­giens. L’ouvrage met ain­si en exergue cette nou­veau­té du débat public, de la ques­tion de l’opinion publique au sein des que­relles théo­lo­giques. Une publi­ci­té qui influence la vie de l’Eglise pour la pre­mière fois, et qui s’ouvre au laï­cat. En défi­ni­tive, l’auteur dis­cerne un « inachè­ve­ment du rigo­risme » révé­la­teur d’une crise au sein de la tra­di­tion clas­sique qui ne se sou­met pas, tout en aban­don­nant cer­tains pans de la tra­di­tion indul­gente.

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