Revue de réflexion politique et religieuse.

Numé­ro 106 : Uti­li­ta­risme et bien com­mun

Article publié le 10 Jan 2010 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Pério­di­que­ment, le bien com­mun fait sa réap­pa­ri­tion dans le lan­gage poli­tique contem­po­rain, sans que cela entraîne des consé­quences notables, l’expression parais­sant dénuée de conte­nu pré­cis. Il en reste tou­te­fois assez de traces dans cer­taines mémoires pour que le fait ait quelque signi­fi­ca­tion. Outre ceux qui l’utilisent en connais­sance de cause, il en est qui y recourent par simple rémi­nis­cence, d’autres la raillent, quelques-uns même la stig­ma­tisent comme une marque d’esprit réac­tion­naire.couv106

Certes cette notion implique par elle-même une réfé­rence objec­tive peu com­pa­tible avec le plu­ra­lisme des opi­nions. Le bien com­mun n’est pas comme les « valeurs com­munes », qui fluc­tuent dans leur défi­ni­tion et l’adhésion qu’elles sus­citent. L’acception domi­nante du terme « valeur » est immé­dia­te­ment accep­table par le sub­jec­ti­visme, celle du « bien » ne l’est pas. Le « bien » est « hété­ro­nome »…

Dans la concep­tion clas­sique de la phi­lo­so­phie sociale, concep­tion expri­mée avec beau­coup de per­fec­tion théo­rique à l’époque médié­vale, le bien com­mun n’est pas source de dif­fi­cul­té de com­pré­hen­sion, pas plus qu’il ne sau­rait exis­ter de dia­lec­tique arti­fi­cielle entre le bien de cha­cun et le bien de tous, car il est l’un et l’autre à la fois. Le bien com­mun est le bien de chaque membre de la com­mu­nau­té en tant qu’il ne peut être atteint que grâce à celle-ci, c’est-à-dire grâce à l’aide des autres avec qui l’on vit dans une orga­ni­sa­tion stable et ordon­née. En der­nier lieu, et à consi­dé­rer les choses dans leur tota­li­té, et dans leur fina­li­té, le Bien com­mun uni­ver­sel de toute la com­mu­nau­té humaine est Dieu même, source de tout bien, et bien suprême de tous. Le bien com­mun est un concept qui se trouve impli­qué dans des situa­tions très dif­fé­rentes, et il reste dans les abs­trac­tions tant que l’on ne pré­cise pas à quelle com­mu­nau­té il se réfère. Ain­si le bien com­mun de telle famille lui est propre, il n’est pas exac­te­ment celui de telle autre, au-delà d’une même struc­ture de base, plus ou moins éten­due et com­plexe, d’une cer­taine répar­ti­tion des rôles, d’une défi­ni­tion fon­da­men­tale du couple et des enfants, enfin d’une com­mune insuf­fi­sance impli­quant la sup­pléance extra-fami­liale dans une mul­ti­tude de domaines… Mais à l’intérieur de chaque famille, le bien com­mun com­porte des traits spé­ci­fiques, liés à la per­son­na­li­té de cha­cun des membres et en pre­mier lieu des parents. On peut ain­si com­prendre, dans ce micro­cosme social, que le « bien » dont on parle n’est pas réduc­tible à des moyens maté­riels, pas plus qu’à un ordre, une « struc­ture de la paren­té », toutes choses fort utiles, éven­tuel­le­ment diver­si­fiées, mais aus­si subor­don­nées à des biens d’une nature beau­coup plus cultu­relle, spi­ri­tuelle, reli­gieuse. Et ce sont ces der­niers élé­ments qui intro­duisent le plus de dif­fé­rences. Les com­po­santes les plus rele­vées du bien com­mun de chaque com­mu­nau­té fami­liale sont ce qui leur donne leur iden­ti­té, elles pèsent du poids de sou­ve­nirs com­muns, de dons reçus et culti­vés, de liens d’ordre affec­tif, et colorent le sens de la vie qui y règne, plus ou moins riche selon le cas – ou par­fois très appau­vri en ces temps de post­mo­der­nisme. Le bien com­mun est donc une notion abs­traite et syn­thé­tique qui recouvre une plu­ra­li­té, voire une mul­ti­tude de biens d’ordres divers. Le savoir-faire acquis au long du temps dans une lignée d’artisans est un des élé­ments les plus pré­cieux d’une entre­prise, en com­pa­rai­son duquel la tenue d’une comp­ta­bi­li­té pré­cise, pour utile qu’elle soit, n’est en fait qu’un ins­tru­ment. Que dire du bien com­mun d’une nation his­to­rique, fruit des incom­men­su­rables efforts des géné­ra­tions suc­ces­sives, de toutes les expres­sions qui en illus­trent le « génie » – l’identité, ou la voca­tion sin­gu­lière. Que le bien com­mun d’un pays « poli­cé » puisse inclure tous les élé­ments maté­riels qui rendent à tous ses habi­tants la vie plus aisée, les com­mu­ni­ca­tions, l’accès aux res­sources les plus diverses, dans un cli­mat d’où la crainte est absente est sans aucun doute un bien consi­dé­rable, effec­ti­ve­ment com­mun. Mais que ce bien lui-même ait une fina­li­té supé­rieure qui lui confère sa rai­son d’être, voi­là qui est meilleur encore, car alors l’instrumental trouve sa légi­ti­mi­té – le plus humble des sol­dats d’une armée en guerre toute ten­due vers la vic­toire peut s’enorgueillir de l’avoir rem­por­tée une fois celle-ci obte­nue, car elle est réel­le­ment aus­si pro­por­tion­nel­le­ment la sienne, et c’est la par­ti­ci­pa­tion à ce bien supé­rieur, même modeste, qui fonde son hon­neur.

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