Revue de réflexion politique et religieuse.

Une sin­gu­lière com­mé­mo­ra­tion de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion

Article publié le 9 Déc 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

L’élec­tion d’un évêque argen­tin au Siège de Pierre ain­si que les marques pas­to­rales par lui choi­sies font remon­ter à la sur­face un débat datant des len­de­mains du concile de Vati­can II et dont l’Amérique latine fut un théâtre pri­vi­lé­gié. Aujourd’hui paraissent en ita­lien et en fran­çais, dix ans après l’original alle­mand, sept com­mu­ni­ca­tions conver­gentes ras­sem­blées sous les signa­tures alter­nées de Gus­ta­vo Gutiér­rez et de Gerhard Lud­wig Mül­ler ((. Aux côtés des pauvres. L’Eglise et la théo­lo­gie de la libé­ra­tion, Bayard, avril 2014, 223 p., 19,90 €. Titre ori­gi­nal : An der Seite der Armen. Theo­lo­gie der Befreiung (Sankt Ulrich Ver­lag, Aug­sburg, 2004). )) . Ce der­nier, évêque de Ratis­bonne jusqu’en 2012, se trouve être désor­mais arche­vêque et sur­tout pré­fet de la Congré­ga­tion pour la doc­trine de la foi, ce qui n’est pas rien. Quel est le but de cette publi­ca­tion ? Appa­rem­ment, d’abord de jus­ti­fier le pas­sé, ensuite de défendre l’actualité d’un cou­rant qui sus­ci­ta des ten­sions extrêmes. Le pas­sé ? C’était l’époque des révo­lu­tions d’obédience mar­xiste, d’une insta­bi­li­té géo­po­li­tique pro­vo­quée par la guerre froide entre les deux blocs, com­mu­niste et « capi­ta­liste ». Même si la Chine avait rom­pu avec l’URSS, le com­mu­nisme défiait mas­si­ve­ment les pays se récla­mant de la démo­cra­tie libé­rale. La crise de Cuba était encore brû­lante, la révo­lu­tion cultu­relle de Mao allait bien­tôt rava­ger pour long­temps la socié­té chi­noise, le Viêt-Nam du Sud allait être enva­hi, puis vien­draient les hor­reurs du Cam­bodge, tan­dis que les gou­lags sovié­tiques fai­saient tou­jours le plein. Mal­gré des faits aus­si consi­dé­rables, le mirage mar­xiste fas­ci­nait étran­ge­ment une par­tie du cler­gé euro­péen rêvant d’une socié­té nou­velle, d’une évan­gé­li­sa­tion désem­bour­geoi­sée ou plu­tôt débour­geoi­sée. Les figures de Fidel Cas­tro et du Che Gue­va­ra char­maient bien des âmes catho­liques, en par­ti­cu­lier sacer­do­tales, rêvant de com­bats dont ils n’avaient d’autre idée que, pour cer­tains au moins, les jets de pavés de mai soixante-huit contre les­quels il ne fut pas tiré un seul coup de feu de la part des forces de police. Le chant des sirènes mar­xistes sem­blait irré­sis­tible à nombre de théo­lo­giens. C’est ain­si que, entre autres en Bel­gique, s’élabora une doc­trine de la libé­ra­tion, doc­trine qu’introduisit au Pérou Gus­ta­vo Gutiér­rez lors de la confé­rence qu’il tint en 1968 (date signi­fi­ca­tive) sous le titre de « théo­lo­gie de la libé­ra­tion » sub­sti­tué par lui à celui de « théo­lo­gie du déve­lop­pe­ment » qu’il avait d’abord à trai­ter. Dans un contexte de luttes socio­po­li­tiques ani­mées par l’idée mar­xiste de révo­lu­tion, le concept pro­po­sé ne pou­vait que plaire à cer­tains et en alar­mer d’autres.
La pro­bi­té his­to­rique deman­de­rait que l’on essaie d’évaluer les dégâts que pro­vo­qua dans l’Eglise une confu­sion entre­te­nue, chez nous comme là-bas, entre théo­lo­gie et idéo­lo­gie et que l’on men­tionne ces prêtres, deve­nus pro­pa­ga­teurs du mar­xisme, qui en vinrent à perdre la foi en leur voca­tion ou la foi tout court au nom d’une inten­tion de jus­tice ter­restre conçue comme la condi­tion d’une pré­di­ca­tion authen­tique du Royaume.

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Certes, si l’on veut, il n’existe pas de théo­lo­gie qui ne soit de la libé­ra­tion, notion non seule­ment enra­ci­née dans l’Ancien puis le Nou­veau Tes­ta­ment, mais occu­pant une place cen­trale dans l’Histoire du Salut et la Révé­la­tion, n’étant rien de moins, bibli­que­ment, qu’un syno­nyme de rédemp­tion depuis l’Exode jusqu’aux évan­giles, en par­ti­cu­lier celui de saint Jean, et à saint Paul, en pas­sant par les pro­phètes. Encore faut-il s’entendre sur les termes, et ne pas s’autoriser du lan­gage biblique ou évan­gé­lique pour des extra­po­la­tions spé­cieuses.
Mais, s’il y a eu et s’il y a peut-être encore des confu­sions, si des catho­liques et des hommes d’Eglise ont pu mettre en péril non seule­ment la reli­gion mais la liber­té dans le monde en col­la­bo­rant de plus ou moins bonne foi à une œuvre tota­li­taire sans pré­cé­dent, c’est qu’effectivement, face au péril d’une idéo­lo­gie « intrin­sè­que­ment per­verse » construite sur l’apparence du bien, il existe éga­le­ment une injus­tice mas­sive scan­da­leuse qui à terme met en péril l’humanité, celle d’un impé­ria­lisme mar­chand qui s’appuie sur la démo­cra­tie mais par ailleurs n’hésite pas à sus­ci­ter des dic­ta­tures pour étouf­fer toute rébel­lion contre son ordre inique.
La publi­ca­tion que nous avons entre les mains, tout en recon­nais­sant qu’il a exis­té de mul­tiples théo­lo­gies de la libé­ra­tion, s’attache à défendre une concep­tion ortho­doxe de celle-ci et à rap­pe­ler que, telle quelle, elle a reçu l’aval de la hié­rar­chie. Les réunions des confé­rences épis­co­pales de Medellín puis de Pue­bla et enfin de Saint-Domingue, les voyages de Jean-Paul II confir­mèrent une doc­trine qui concerne non seule­ment le sous-conti­nent de l’Amérique du Sud et les Caraïbes mais encore l’ensemble du Tiers-Monde, de ces popu­la­tions qui tendent à un mil­liard des habi­tants de la pla­nète, vivant dans un état de pau­vre­té insup­por­table sans espoir d’issue vu les causes struc­tu­relles de cette situa­tion, doc­trine qui se pré­sente comme réponse apos­to­lique et pas­to­rale ins­pi­rée des consti­tu­tions conci­liaires Lumen gen­tium et Gau­dium et spes, au scan­dale de la faim, de la pau­vre­té inhu­maine dont souffre une part tou­jours crois­sante de l’humanité tan­dis que le pro­grès indus­triel et la pro­duc­tion de richesses ne cessent d’augmenter par ailleurs.
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