Revue de réflexion politique et religieuse.

Laurent Mau­duit : L’étrange capi­tu­la­tion

Article publié le 9 Déc 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

La thèse de l’ouvrage, dont le titre fait allu­sion à un autre, célèbre, de Marc Bloch, s’articule autour du fait que la défaite de la gauche au pou­voir en France depuis 2012, incar­née par la fai­blesse inédite du pré­sident de la répu­blique et du par­ti dont il est issu, serait due à la tra­hi­son de ses élites arri­vées au pou­voir face aux enga­ge­ments pris lors de la cam­pagne et en tant que par­ti de gauche. Pour l’auteur – pas­sé par les direc­tions de Libé­ra­tion et du Monde, cofon­da­teur de Media­part et col­la­bo­ra­teur de Marianne – « depuis son entrée à l’Elysée, Fran­çois Hol­lande […] n’a pas cher­ché un seul ins­tant à modi­fier la poli­tique de son pré­dé­ces­seur ». Suit une démons­tra­tion qui, après l’officialisation récente du pas­sage à la « libé­ral-social­dé­mo­cra­tie » par le par­ti au pou­voir, devient presque tota­le­ment inutile. Le « peuple de gauche » a le sen­ti­ment qu’on lui vole sa vic­toire, se plaint Laurent Mau­duit. Mais de quel peuple parle-t-il ? La stra­té­gie élec­to­rale du par­ti socia­liste s’est nouée lors des der­nières élec­tions pré­si­den­tielles et légis­la­tives sur l’union des com­mu­nau­ta­rismes « socié­taux », le vote des immi­grés régu­la­ri­sés et l’aspiration à rem­pla­cer les équipes sor­tantes. Ces caté­go­ries n’ont plus guère de lien avec le fonds his­to­rique de la gauche ouvrière et des employés modestes qui en avaient four­ni la prin­ci­pale masse élec­to­rale. Les diri­geants de la gauche fran­çaise sont eux-mêmes issus d’une élite sociale par­mi la plus fer­mée et étroite que peut pro­duire la socié­té fran­çaise. Il n’était pas dif­fi­cile de pré­voir leur incom­pré­hen­sion abys­sale d’un élec­to­rat dont ils ne sai­sissent tout sim­ple­ment pas les reven­di­ca­tions. Quant aux nou­velles caté­go­ries vers les­quelles ils se sont tour­nés, on constate qu’elles sont aléa­toires et vola­tiles, et n’ont aucun atta­che­ment par­ti­cu­lier au pou­voir en place. Enfin, le centre-gauche et le centre-droit se sont sur­tout illus­trés ces vingt der­nières années à appli­quer suc­ces­si­ve­ment la même doxa poli­tique et éco­no­mique avec des diver­gences minimes, les défi­cits ont été recon­duits, le taux de chô­mage n’a pas ces­sé de pro­gres­ser, la crois­sance accep­tée fut celle, molle, des poli­tiques de conver­gence de la zone euro, elle-même hété­ro­gène comme il est inter­dit de l’être pour un espace moné­taire, la réforme en pro­fon­deur des struc­tures de déci­sion repor­tée indé­fi­ni­ment. La « capi­tu­la­tion » que veut faire per­ce­voir l’auteur, lui-même plei­ne­ment insé­ré dans le milieu fer­mé que l’on vient de men­tion­ner, est en réa­li­té un cumul de mal­adresses qui oblige le nou­veau et petit « peuple de gauche » boboï­sé à ten­ter de trou­ver une autre base élec­to­rale que celle dont il a eu besoin jusqu’ici pour atteindre ses objec­tifs. A moins qu’il ne cherche sim­ple­ment à s’en pas­ser.

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