Revue de réflexion politique et religieuse.

Objec­tion de conscience ou révolte poli­tique ? Retour sur la Rose Blanche

Article publié le 13 Juin 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Certains héros de la résis­tance alle­mande à Hit­ler ont été célé­brés au ciné­ma ces der­nières années : Opé­ra­tion Wal­ky­rie, à la mémoire de Claus von Stauf­fen­berg, et Sophie Scholl les der­niers jours, qui retrace la courte acti­vi­té du groupe de la Rose Blanche. Le deuxième film, qui est d’une valeur humaine supé­rieure au pré­cé­dent, pré­sente l’héroïne prin­ci­pale et ses com­pa­gnons plus comme des « mar­tyrs de la conscience » que comme des insur­gés contre un sys­tème injuste. on exalte l’engagement sin­cère et sub­jec­tif, paci­fiste de sur­croît, mais la jus­tesse de la cause et son carac­tère poli­tique passent au deuxième plan. Pour­tant dans le cas de la Rose Blanche, il s’agissait de la révolte moti­vée par le sens de la jus­tice et de l’honneur patrio­tique. Et cette poi­gnée d’individus, s’ils en avaient eu le temps, ten­dait à s’achever en mou­ve­ment col­lec­tif. Il est impor­tant de le sou­li­gner dans notre contexte rela­ti­viste où le point culmi­nant de l’action se réduit à l’objection de conscience.
Sophie Scholl est la figure la plus emblé­ma­tique de cette période ((. Cf. Hans et Sophie Scholl, Lettres et car­nets, Tal­lan­dier, coll. Le Livre de Poche, 2010, 478 p. , 7,60 €. Les cita­tions rap­por­tées dans cet article pro­viennent de cet ouvrage, qui ras­semble envi­ron sept-cents lettres. Les cita­tions d’Inge Scholl sont tirées de son livre, La Rose blanche, éd. de Minuit, 2008. Du point de vue his­to­rique, lire J.-M. García Pele­grín, La Rose Blanche, F.-X. de Gui­bert, 2009.)) .
Elle était la qua­trième d’une famille luthé­rienne de cinq enfants : Inge (née en 1917), Hans (en 1918), Eli­sa­beth (1920), Sophie (1921) et Wer­ner (1922). Ils habi­taient à Ulm. A l’automne 1933, les enfants intègrent la Hit­ler­ju­gend, ils en sont très contents mais leur père ne leur cache pas son hos­ti­li­té au nou­veau pou­voir. Peu à peu, leur enthou­siasme décroît et naît en eux « le sen­ti­ment de vivre à l’intérieur d’une mai­son propre et belle où, dans la cave, der­rière les portes ver­rouillées, des choses ter­ribles se pas­saient » (Inge Scholl). Ils quittent alors le mou­ve­ment et adhèrent avec des amis d’Ulm à la Bün­dische Jugend (Jeu­nesse Confé­dé­rée, bien­tôt inter­dite). Leur appar­te­nance à un mou­ve­ment non légal vaut à Hans deux mois de pri­son, Inge et Wer­ner une semaine, Sophie étant seule­ment inter­ro­gée. Après avoir accom­pli sa période de tra­vail obli­ga­toire et son ser­vice mili­taire, Hans com­mence en avril 1939 ses études de méde­cine à l’université de Munich. Depuis qu’il a quit­té la mai­son fami­liale, il entre­tient avec ses parents, son frère, ses sœurs et ses amis une cor­res­pon­dance intense. En lisant le recueil des car­nets et lettres de Hans et de Sophie Scholl, on est frap­pé par la hau­teur de vue et la spon­ta­néi­té du ton. « Ma chère mère, ta fer­veur tran­quille, ta cha­leur indé­fec­tible sont sans doute ce que l’on peut trou­ver de mieux dans la vie. Je suis encore jeune, mais au-delà de la flamme vacillante de mon âme juvé­nile, je per­çois par­fois le souffle éter­nel de quelque chose d’infiniment grand et serein. Dieu. Des­tin. Très affec­tueu­se­ment. Ton Hans » (22 jan­vier 1938). « Ma chère Inge, c’est seule­ment quand on est obli­gé de se deman­der si la patrie signi­fie encore autant que par le pas­sé – seule­ment quand on a per­du la foi dans les éten­dards et les dis­cours parce que les idées qui ont cours sont deve­nues banales et sans valeur – que s’affirme le véri­table idéal » (21 octobre 1938). De mai à sep­tembre 1940, Hans écrit de France, où il a été envoyé : « Mes chers parents, nous sommes actuel­le­ment à Saint-Quen­tin. Nous avons réqui­si­tion­né les meilleures mai­sons. Per­son­nel­le­ment, je suis plus à l’aise dans la paille. Suis-je un voleur ou un être humain digne de ce nom ? on pille tout ici. […] J’ai ache­té un livre pour Wer­ner, le Jour­nal d’un curé de cam­pagne. » (3 juin 1940)
Entre-temps, Sophie a obte­nu son Abi­tur. Elle pense pou­voir évi­ter le tra­vail obli­ga­toire en s’inscrivant à des cours de pué­ri­cul­ture. Un an plus tard, elle passe l’examen et com­mence à tra­vailler dans un jar­din d’enfants, puis dans un sana­to­rium pour enfants. Elle écrit : « Par­fois la guerre m’épouvante et je suis à deux doigts de perdre toute espé­rance. Je déteste y pen­ser, mais la poli­tique est presque la seule chose qui existe, et tant que pré­valent cette confu­sion et cette méchan­ce­té, il est lâche de lui tour­ner le dos. » (9 avril 1940) « Mon cher Fritz, Nous avons vrai­ment un temps magni­fique en ce début d’été. Je suis par­fois ten­tée de consi­dé­rer l’humanité comme une mala­die de peau de la Terre. Mais seule­ment quand je suis très lasse, et que des hommes qui sont pires que des bêtes occupent tout mon esprit. Mais tout ce qui importe, au fond, c’est de savoir si nous allons nous en sor­tir, si nous par­ve­nons à res­ter nous-mêmes au milieu de la masse. De tout cœur. » (29 mai 1940)
Contrai­re­ment à ce qu’elle espé­rait en s’occupant des enfants, Sophie est envoyée au camp de Krau­chen­wies, en Haute Bavière, d’avril à octobre pour accom­plir son tra­vail obli­ga­toire. « Voi­ci quatre jours que je suis arri­vée avec dix autres filles […] La nuit, je lis saint Augus­tin » (Jour­nal. Krau­chen­wies, 10 avril 1941). Inge se sou­vient que ce livre était pour sa sœur « une bouée de sau­ve­tage ». « Il conte­nait une phrase qui lui sem­blait écrite pour elle seule : « Tu nous as créés pour que nous allions à Toi, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en Toi ». »
A la fin de l’été, Hans peut reprendre ses études à Munich et se lie avec Alexandre Schmo­rell. Il est né en Rus­sie en 1917. Son père, luthé­rien, méde­cin répu­té de Munich, était d’une famille alle­mande ins­tal­lée en Rus­sie au XIXe siècle. Sa mère était russe, fille d’un prêtre ortho­doxe. Alexandre avait deux ans lorsqu’elle mou­rut du typhus, pen­dant la guerre civile russe. Deux ans après, son père fuit la Rus­sie bol­che­vique avec sa deuxième femme, une catho­lique, Alexandre et une nour­rice russe qui éle­va le petit gar­çon dans la reli­gion ortho­doxe. Ils s’installèrent à Munich. Au lycée, Alexandre se lie d’amitié avec Chris­toph Probst. A la facul­té de méde­cine il ren­contre Willi Graf, un catho­lique convain­cu qui avait aus­si fait de la pri­son pour appar­te­nance à un mou­ve­ment de jeunes illé­gal.
A l’automne 1941, son ami d’Ulm, otto Aicher, pré­sente Hans Scholl à Carl Muth, direc­teur du men­suel catho­lique Hochland, fon­dé en 1903, inter­dit depuis peu. Cette revue s’élève contre le nihi­lisme et le pri­mi­ti­visme du natio­nal-socia­lisme, et insiste sur la rela­tion étroite entre reli­gion et art, le déclin de l’une cau­sant le déclin de l’autre. En 1939, Hochland tirait à 12 000 exem­plaires. Par­mi les col­la­bo­ra­teurs régu­liers, Theo­dor Hae­cker et Max Sche­ler. C’est une ren­contre impor­tante pour Hans car il a l’occasion d’avoir avec Carl Muth et son entou­rage des dis­cus­sions de fond. En plein doute, il se trouve confor­té dans sa foi chré­tienne. Il lit beau­coup la Bible, la phi­lo­so­phie grecque, Pas­cal, Ber­diaev, Dos­toïevs­ki, et par­tage ses lec­tures avec ses proches.
« Chère Rose, je me trouve en pleine crise spi­ri­tuelle, la plus impor­tante de ma vie […] Cette guerre, comme toutes les guerres impor­tantes, est de nature intrin­sè­que­ment spi­ri­tuelle. […] Je ne peux res­ter à dis­tance car il n’y a pour moi aucun bon­heur à le faire – et cette guerre est au fond une guerre à pro­pos de la véri­té. » (28 octobre 1941) « Cher otl, le pro­fes­seur Muth a deman­dé plu­sieurs fois de tes nou­velles […] L’action contre les juifs en Alle­magne et dans les ter­ri­toires occu­pés le met dans tous ses états. » (23 novembre 1941) « Très cher Mon­sieur le Pro­fes­seur ! ça m’emplit de joie de pou­voir, pour la pre­mière fois de ma vie, célé­brer Noël véri­ta­ble­ment et en chré­tien clai­re­ment convain­cu. […].Je prie. Je me sens en ter­rain plus solide et j’y vois plus clair. Cette année, le Christ est né de nou­veau en moi. » (22 décembre 1941)

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