Revue de réflexion politique et religieuse.

Le défi de l’éthique face aux bio­tech­no­lo­gies

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Il n’est pas éton­nant dès lors que devant de tels bou­le­ver­se­ments s’affrontent deux atti­tudes anti­no­miques, signes de l’angoisse ou de l’euphorie sus­ci­tées par les nou­velles tech­niques : soit un inté­grisme moral qui condamne au nom d’une sacra­li­sa­tion abso­lue du natu­rel, tout arti­fi­cia­lisme, soit un pro­gres­sisme opti­miste qui trouve dans ce nou­vel arse­nal médi­cal un ins­tru­ment de la liber­té indi­vi­duelle, enfin déli­vrée des contraintes bio­lo­giques. Entre l’interdiction conser­va­trice et le laxisme ano­mique, entre la renon­cia­tion à la recherche médi­cale et son ido­lâ­trie sans condi­tion, il convient de défi­nir pré­ci­sé­ment des normes, que les Etats modernes tentent d’urgence de déga­ger dans le cadre du droit posi­tif. Le légis­la­teur, aidé et conseillé par des Comi­tés de « sages », se voit confier aujourd’hui la tâche redou­table de pro­té­ger non seule­ment la sûre­té des per­sonnes, la sécu­ri­té de la socié­té, mais aus­si la sur­vie même du patri­moine bio­lo­gique de l’espèce. Sau­ra-t-il être à la hau­teur ? Cette hâte à trou­ver des pro­tec­tions et des garde-fous juri­diques est-elle d’ailleurs suf­fi­sante et si inno­cente qu’on le croit ? Dis­pense-t-elle d’une réelle réflexion sur les valeurs que l’homme veut attri­buer à la Vie, d’un enga­ge­ment ris­qué envers ce qui mérite d’être consi­dé­ré comme non négo­ciable, comme non adap­table, ce qui est le cri­tère même d’une obli­ga­tion morale ? Les dif­fi­cul­tés éprou­vées aujourd’hui par les uns et les autres à retrou­ver des cer­ti­tudes morales, et pas seule­ment à se mettre d’accord sur des normes mini­males de droit posi­tif, ne viennent-elles pas d’un ensemble de contra­dic­tions spi­ri­tuelles propres à notre civi­li­sa­tion qui veut à la fois prendre des risques liés à l’affirmation de sa puis­sance tech­ni­co-scien­ti­fique et exi­ger une sécu­ri­té et un bon­heur qu’elle est prête à payer à n’importe quel prix ? Et n’assiste-t-on pas dès lors à des situa­tions para­doxales qui devraient sus­ci­ter plus d’une réac­tion scan­da­li­sée si nous n’étions pas déjà pro­fon­dé­ment hyp­no­ti­sés par les pers­pec­tives inédites des pro­blèmes de la san­té : ain­si voit-on la col­lec­ti­vi­té dépen­ser des sommes astro­no­miques pour un enfant issu d’une pro­créa­tion in vitro ou pour la médi­ca­li­sa­tion à outrance de la sur­vie de grands acci­den­tés, alors qu’elle néglige la détresse des enfants aban­don­nés, freine les pro­ces­sus d’adoption, se révèle mes­quine dans les res­sources qu’elle consacre à la popu­la­tion âgée. De manière plus dérou­tante encore, ceux qui foca­lisent l’attention sur les pra­tiques d’eugénisme tota­li­taire du régime hit­lé­rien ne sont-ils pas sou­vent ceux qui bana­lisent l’avortement de confort, se réjouissent des pro­grès faits pour la sélec­tion des gènes, quand ils ne se détournent pas pudi­que­ment devant l’usage des fœtus pour la fabri­ca­tion des cos­mé­tiques ? Com­ment dès lors avoir confiance dans les pieux don­neurs de leçons de morale qui nous envi­ronnent de toutes parts ?
Encore faut-il se deman­der com­ment nous en sommes arri­vés à une telle déso­rien­ta­tion de nos cer­ti­tudes et valeurs rela­tives à la vie humaine. Sans doute, l’interventionnisme sur le vivant, de la nais­sance à la mort, sans com­mune mesure avec l’assistance thé­ra­peu­tique qui consti­tuait le cre­do de la méde­cine du pas­sé, relève-t-il, dans sa for­mule contem­po­raine, de causes mul­tiples, liées à des fac­teurs internes de déve­lop­pe­ment comme à des pro­ces­sus géné­raux d’évolution de la civi­li­sa­tion occi­den­tale.
Du point de vue des fac­teurs objec­tifs, la méde­cine s’est vue empor­tée dans un pro­di­gieux et invo­lon­taire mou­ve­ment de déve­lop­pe­ment des tech­niques, d’observation du corps (par exemple, l’échographie, et de manière géné­rale l’imagerie élec­tro­nique) qui ren­dait inévi­table la ten­ta­tion d’agir sur les nou­veaux espaces de l’organisme offerts à l’œil, d’intervention raf­fi­née (micro-chi­rur­gie, mani­pu­la­tion géné­tique sur l’infiniment petit), et de robo­ti­sa­tion accrue (sub­sti­tu­tion à des par­ties usées ou défaillantes du corps de pro­thèses à durée de vie indé­fi­ni­ment longue). Cette véri­table révo­lu­tion tech­nique qui a tou­ché un milieu médi­cal plu­tôt en retrait jusqu’à pré­sent par rap­port à la recherche bio­lo­gique fon­da­men­tale, n’a pas man­qué d’avoir des réper­cus­sions mul­tiples et sub­tiles. N’est-ce pas elle qui a per­mis une scis­sion gran­dis­sante entre cli­nique et recherche, qui amène dès lors trop de méde­cins à recher­cher la per­for­mance médi­cale, comme les spor­tifs l’exploit, ne serait-ce que pour s’attirer noto­rié­té, recon­nais­sance ins­ti­tu­tion­nelle et donc sub­ven­tions pour pour­suivre leurs recherches ? La méde­cine n’est-elle pas ain­si enfer­mée dans une logique de la pro­duc­ti­vi­té qui la pousse aus­si bien à favo­ri­ser la sur­con­som­ma­tion phar­ma­ceu­tique, qu’à déve­lop­per des inter­ven­tions chi­rur­gi­cales expé­ri­men­tales pas tou­jours jus­ti­fiées, notam­ment dans le domaine des pro­thèses ? N’est-ce pas aus­si cet ali­gne­ment sur une ratio­na­li­té froide, née du com­plexe tech­ni­co-scien­ti­fique, qui explique que la méde­cine perde sou­vent de vue le point de vue exis­ten­tiel des malades pour pri­vi­lé­gier la ges­tion des mala­dies, voire leur éra­di­ca­tion par un sys­tème de soins, per­for­mants peut-être, mais nor­ma­li­sant tout sur son pas­sage ? ((  Ain­si a‑t-on pu récem­ment voir, à Chi­ca­go, les deux ser­vices hos­pi­ta­liers de la cité se regrou­per, afin de faci­li­ter les greffes d’organes, allon­geant ain­si les temps de trans­port et aug­men­tant ain­si les délais de prise en charge des acci­den­tés.))

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