Revue de réflexion politique et religieuse.

La sécu­la­ri­sa­tion de l’E­glise

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

La vie reli­gieuse est l’expression d’une rup­ture du lien avec le monde pour s’abandonner au Saint-Esprit, pour res­ter pré­sent dans le temps tout en ren­dant témoi­gnage de l’éternité. Une mesure en termes de praxis de la vie reli­gieuse implique que l’utopie soit sub­sti­tuée au Royaume, et donc que la ten­sion vers l’éternité propre à la vie reli­gieuse se replie dans le tem­po­rel. C’est pour­quoi les voca­tions reli­gieuses mas­cu­lines, dans les ordres tra­di­tion­nels, ont chu­té en quan­ti­té, et évi­dem­ment en qua­li­té. Lorsque la praxis devient la mesure de la vie reli­gieuse, que l’apostolat se trans­forme en enga­ge­ment social et convi­vial, qu’à la divi­ni­sa­tion du monde se sub­sti­tue son huma­ni­sa­tion, la vie reli­gieuse n’a plus de sens. Il en va de même dans les ordres fémi­nins : mais ici la dimen­sion claus­trale et contem­pla­tive a joué majo­ri­tai­re­ment, col­lec­ti­ve­ment en faveur du sens de la tra­di­tion qu’on trouve chez les femmes à un degré plus éle­vé. Cepen­dant, et mal­gré ce fait que la femme a davan­tage l’intuition de l’identité du catho­li­cisme, la crise des voca­tions touche aus­si la vie reli­gieuse fémi­nine.
Mais c’est sur la figure du prêtre que l’idéologie conci­liaire et la sécu­la­ri­sa­tion de la théo­lo­gie ont exer­cé une influence majeure. La spi­ri­tua­li­té du prêtre, « autre Christ », qui le repré­sente comme cause ins­tru­men­tale per­son­nelle et qui donc est à ce titre une per­sonne sacrée, a tota­le­ment dis­pa­ru. Le prêtre catho­lique a subi tout le poids de la sécu­la­ri­sa­tion. Il a per­du sa sacra­li­té. Qu’est donc deve­nu le prêtre aujourd’hui ? Il est l’organisateur du social ecclé­sias­tique, le lea­der de la com­mu­nau­té. Le prêtre sécu­la­ri­sé, com­mu­nau­taire, est ins­tru­men­ta­li­sé par la com­mu­nau­té. Il en devient à la fois le patron et l’esclave, il n’en est plus le ministre. La figure sacer­do­tale comme telle est mise de côté, elle n’est plus la dimen­sion réelle du prêtre. Il se pro­duit dès lors une scis­sion entre la mémoire de la tra­di­tion et la dif­fu­sion de la sécu­la­ri­sa­tion.
Le sacré chré­tien est le corps res­sus­ci­té du Christ qui cause notre rédemp­tion, qui nous incor­pore à lui et qui nous donne l’Esprit. C’est un corps phy­sique, comme phy­sique est la sacra­li­té. Le corps glo­rieux du Christ est cru­ci­fié, parce que par son sang il nous a rache­tés de la puis­sance du démon. C’est la sacra­li­té de la dou­leur phy­sique et spi­ri­tuelle de toute l’humanité qui se ras­semble en lui. Le prêtre conti­nue l’action rédemp­trice et divi­ni­sa­trice du Christ. Le prêtre conti­nue en sa propre per­sonne l’action sal­vi­fique du Christ sous le double aspect propre à cette action : la libé­ra­tion du pou­voir de Satan et le don de la vie tri­ni­taire. La sécu­la­ri­sa­tion du prêtre est ain­si une bles­sure ouverte jusqu’au cœur de l’Eglise. Et le terme qui a le plus contri­bué à bri­ser l’image du prêtre comme per­sonne sacrée, conti­nua­teur du Christ sau­veur et déi­fi­ca­teur, aura été le beau terme de pas­to­rale. Le prêtre est deve­nu un sujet sans auto­no­mie, dont la vie est pla­ni­fiée par les dio­cèses, les asso­cia­tions, la pro­gram­ma­tion pas­to­rale.
Or la grâce du Saint-Esprit agit dans la dimen­sion per­son­nelle. Elle est tou­jours le choix du sin­gu­lier. La papau­té et l’épiscopat monar­chiques sont le signe du pri­mat de la per­sonne sur l’institution. Jésus-Christ est Per­sonne et agit à tra­vers les per­sonnes. Si on détruit dans le sacer­doce cette dimen­sion de la per­sonne sacrée, qui dans le domaine juri­dique aura la capa­ci­té de faire que le Sei­gneur la sus­cite ? A ce prin­cipe antique, romain, qu’est le droit, on a sub­sti­tué, dans le monde catho­lique, la socio­lo­gie : à la liber­té que confère le droit catho­lique, a été sub­sti­tuée l’organisation. Le droit sup­pose les indi­vi­dus comme sujets libres, liés seule­ment par la norme, avec les limites propres à cette norme. La pla­ni­fi­ca­tion consi­dère au contraire les indi­vi­dus comme des par­ties. Le droit est la struc­ture du poli­tique, la pla­ni­fi­ca­tion celle de l’entreprise. La pla­ni­fi­ca­tion se sub­sti­tue au droit. Le droit mani­feste un espace pour la per­sonne ; la socio­lo­gie et la pla­ni­fi­ca­tion trans­forment le prêtre en fonc­tion­naire. Le dio­cèse cesse ain­si d’être une com­mu­nion et devient une orga­ni­sa­tion. La « cha­ri­té pas­to­rale » est la socio­lo­gi­sa­tion de la cha­ri­té.
Jésus-Christ, prin­cipe sur lequel se fonde l’Eglise, est une Per­sonne et ses repré­sen­tants sont des per­sonnes en tant que telles. Du fait que le Christ opère tou­jours du sein de l’éternité, en tant que Fils, il naît tou­jours de vraies voca­tions sacer­do­tales. Mais en rai­son de la dis­tor­sion cau­sée dans l’Eglise par l’idéologie conci­liaire et la sécu­la­ri­sa­tion, celles-ci ne se déve­loppent plus en fonc­tion de leur essence per­son­nelle, qui vient du Christ, mais elles lui super­posent une forme para­site qui vient de la pas­to­rale orga­ni­sée. Il se trouve d’ailleurs que ce phé­no­mène se pro­duit alors que la demande de sens per­son­nel est aujourd’hui le phé­no­mène social le plus notable.
Il est évident que si la sacra­li­té du prêtre comme ins­tru­ment conjoint de l’action de l’Unique Prêtre, le Christ, dis­pa­raît, le céli­bat, qui est une forme fon­da­men­tale du catho­li­cisme en tant qu’institution, dis­pa­raît aus­si. La pla­ni­fi­ca­tion pas­to­rale peut au mieux jus­ti­fier le céli­bat comme un enga­ge­ment pro­fes­sion­nel à plein temps, mais elle ne peut don­ner une dimen­sion spi­ri­tuelle liée au rap­port du prêtre avec le Christ. La pas­to­rale ne connaît pas le terme essen­tiel de « voca­tion », qui est l’action du Christ dans l’âme de celui qu’il appelle à deve­nir prêtre. L’Eglise ne peut culti­ver les voca­tions que dans la mesure où elle incite à l’oraison, à la com­mu­nion inté­rieure avec le Christ, qui imprime dans le corps, dans l’âme, dans l’esprit le don de son sacer­doce. C’est de cette manière qu’est ren­du au prêtre son carac­tère de per­sonne sacrée, d’alter Chris­tus au sens propre et spé­ci­fique, et c’est là que réside pré­ci­sé­ment l’autorité du prêtre.
La sécu­la­ri­sa­tion de l’Eglise a pro­fon­dé­ment modi­fié sa réa­li­té. Cette sécu­la­ri­sa­tion est le fruit de l’idéologie conci­liaire qui a pro­vo­qué une frac­ture avec le lan­gage mys­té­rique et mys­tique que le Concile lui-même se pro­po­sait pour­tant d’introduire. Le prin­cipe du pri­mat du social sur le per­son­nel, du « gros ani­mal poli­tique » sur la fra­gi­li­té de la per­sonne, comme une grande tache, recouvre insen­si­ble­ment toute l’Eglise.
Le pon­ti­fi­cat de Paul VI s’est trou­vé au cœur de ce conflit qui s’est pro­duit entre les docu­ments de Vati­can II et l’idéologie conci­liaire. Le pape a vou­lu de toutes ses forces main­te­nir le Concile en conti­nui­té avec la réno­va­tion qu’avait com­men­cée Pie XII. Le mérite de Paul VI fut de main­te­nir la visée ini­tiale de Vati­can II dans la conti­nui­té de la tra­di­tion, dont le pon­ti­fi­cat de Pie XII a repré­sen­té le der­nier aggior­na­men­to. Mais l’idéologie conci­liaire avait à l’intérieur de l’Eglise plus de puis­sance que l’autorité du pape. Le drame qu’a vécu Paul VI a été sa crainte de voir les extrêmes faire rup­ture. Il a vou­lu main­te­nir tout le monde dans l’Eglise, aus­si bien le tra­di­tio­na­lisme qui refu­sait le Concile que les posi­tions les plus avan­cées de la sécu­la­ri­sa­tion, et pour ce faire il a valo­ri­sé les posi­tions qui pas­saient pour médianes, comme celles de la Com­pa­gnie de Jésus, bien qu’il soit cepen­dant entré une pre­mière fois en conflit avec elle.
Gian­ni BAGET BOZZO
© Edi­zio­ni Piemme Spa
via del Car­mine, 5 — 15033 Casale Mon­fer­ra­to (AL) Ita­lie.

Catho­li­ca, n. 58

-->