Revue de réflexion politique et religieuse.

Le Gou­ver­ne­ment de la Répu­blique

Article publié le 13 Juin 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Fran­cesc Eixi­me­nis est un fran­cis­cain cata­lan du XIVe siècle. Après des études de phi­lo­so­phie et de théo­lo­gie dans les grandes Uni­ver­si­tés d’Europe (Cologne, Paris, Oxford, Tou­louse), il devient conseiller des bourg­mestres de Valence, recon­quise sur les Maures un siècle plus tôt. C’est à eux qu’il dédie en 1383 un bref trai­té inti­tu­lé le Regi­ment de la cosa públi­ca, récem­ment tra­duit et publié en fran­çais, avec pour titre Le gou­ver­ne­ment de la Répu­blique ((. Fran­çois Eixi­me­nis, Le Gou­ver­ne­ment de la Répu­blique, trad. Patrick Gifreu, éd. de la Mer­ci, Per­pi­gnan, 2012, 212 p., 20 €.)) . L’auteur est éga­le­ment lar­ge­ment sol­li­ci­té par les rois d’Aragon qui lui confient des tâches diplo­ma­tiques assez sen­sibles, notam­ment dans le cadre du Grand schisme d’Occident. Il apporte ain­si son sou­tien à l’antipape d’Avignon Benoît XIII et meurt en 1409, au moment du concile de Pise. Son hos­ti­li­té envers Rome, accu­sée de toutes les déca­dences, trans­pa­raît assez net­te­ment dans le trai­té d’Eiximenis : « Mais croyez-moi, il vien­dra un temps où Dieu Notre Sei­gneur leur ravi­ra la chaire papale et impé­riale pour la trans­por­ter en un lieu meilleur » (p. 81).
A la dif­fé­rence des grands théo­lo­giens de son temps, Eixi­me­nis est avant tout un pré­di­ca­teur. Il écrit ain­si la plu­part de ses nom­breuses œuvres en cata­lan, dans le but de les rendre acces­sibles au plus grand nombre. Comme ses pré­dé­ces­seurs des XIIe et XIIIe siècles, il entre­prend de rédi­ger une grande somme théo­lo­gique (le Cres­tià) dont il achève seule­ment quatre livres sur douze pré­vus. Mais son objec­tif n’est pas d’apporter quelque chose de nou­veau ; il s’agit plu­tôt de vul­ga­ri­ser la phi­lo­so­phie et la théo­lo­gie afin de répondre aux ques­tions pra­tiques de ses contem­po­rains. Par consé­quent, si ses écrits appa­raissent moins raf­fi­nés et moins éru­dits que ceux de ses pré­dé­ces­seurs c’est parce qu’ils étaient adres­sés à des notables qui n’avaient pas tou­jours fait beau­coup d’études et ne maî­tri­saient donc pas néces­sai­re­ment le latin.
Ses prin­ci­paux écrits sur la poli­tique sont ce Regi­ment et le der­nier livre du Cres­tià (le Dot­zè). Jusqu’à aujourd’hui, ces oeuvres n’avaient pas été tra­duites en fran­çais, et le théo­lo­gien n’était sur­tout connu en France que pour son Trai­té sur les anges. Le Regi­ment est désor­mais dis­po­nible en fran­çais grâce au tra­vail de Patrick Gifreu, tra­duc­teur de nom­breux ouvrages cata­lans anciens et modernes. La pré­face de l’historien Jean-Pierre Bar­ra­qué donne par ailleurs une bonne pré­sen­ta­tion du Dot­zè qui contient les prin­ci­paux déve­lop­pe­ments du fran­cis­cain en matière de phi­lo­so­phie poli­tique.
La doc­trine d’Eiximenis appa­raît assez com­po­site. On y retrouve en effet des réfé­rences à Aris­tote et aux juris­con­sultes romains, mais le fran­cis­cain s’appuie sur­tout sur les stoï­ciens, Saint Augus­tin, les pères de l’Eglise et la Sainte Ecri­ture. Saint Tho­mas d’Aquin n’est pas cité dans la mesure où la Somme Théo­lo­gique ne fran­chi­ra les Pyré­nées qu’en 1523 avec Fran­cis­co de Vito­ria qui la remet­tra au goût du jour. Fran­cesc Eixi­me­nis appa­raît ain­si comme un théo­lo­gien à la char­nière entre la Pre­mière Sco­las­tique dont saint Tho­mas d’Aquin est l’épicentre, et la Seconde Sco­las­tique des XVe et XVIe siècles qui a très lar­ge­ment pré­pa­ré la pen­sée poli­tique moderne des XVIIe et XVIIIe siècles. Ce Gou­ver­ne­ment de la Répu­blique montre ain­si un théo­lo­gien sou­cieux de ne pas négli­ger la rai­son à la suite d’Aristote et des juris­con­sultes romains, mais dont les prin­ci­paux argu­ments sont tirés de la foi et de la morale.
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