Revue de réflexion politique et religieuse.

Yvonne Bon­gert : His­toire du droit pénal. Cours de doc­to­rat

Article publié le 6 Sep 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

L’édi­teur a ouvert une judi­cieuse col­lec­tion de textes juri­diques anciens, appe­lée à juste titre Les introu­vables. Après Michel Viral­ly (La pen­sée juri­dique, 1960), Georges Bur­deau (Ecrits de droit consti­tu­tion­nel et de science poli­tique) ou Adhé­mar Esmein (His­toire de la pro­cé­dure cri­mi­nelle en France, 1882), il s’agit ici de deux cours de doc­to­rat pro­fes­sés par Mlle Bon­gert, pro­fes­seur émé­rite de Paris II Assas, et publiés en 1972 et 1973 sous forme poly­co­piée par Les cours du droit.
Connue pour sa thèse remar­quable (Recherches sur les cours laïques du Xe au XIIIe siècle, récem­ment réédi­tée par L’Harmattan), Y. Bon­gert a long­temps ensei­gné l’histoire du droit pénal et de la pro­cé­dure pénale (de 1965 à 1988), tout en « met­tant au pre­mier plan les sources, auteurs doc­tri­naux et actes de la pra­tique […] ne négli­geant aucun détail et en s’appuyant […] sur les res­sources de la lexi­co­gra­phie. […] Le tout était cou­ron­né par une réflexion phi­lo­so­phique arti­cu­lée autour des notions de juste et de bien com­mun » (p. 5).
L’ouvrage, divi­sé en deux par­ties, cor­res­pond à deux cours consa­crés l’un au « droit pénal fran­çais médié­val de la seconde moi­tié du XIIIe siècle à l’ordonnance de 1493 » (pp. 21–270), et l’autre au « droit pénal fran­çais moderne de la fin du XVe siècle à l’ordonnance cri­mi­nelle de 1670 » (pp. 273–503). Ces cours embrassent le droit et la pro­cé­dure « l’un et l’autre étant étroi­te­ment liés » (p. 21), et retracent l’évolution du sys­tème répres­sif depuis l’institutionnalisation de la jus­tice cri­mi­nelle sous saint Louis, en se ser­vant tant des sources doc­tri­nales que des actes de la pra­tique. L’organisation judi­ciaire est étu­diée en pre­mier lieu, avant d’aborder la pro­cé­dure, les délits et les peines, et en der­nier lieu, avec brio, la res­pon­sa­bi­li­té pénale du délin­quant. Dans le sillage de Paul Four­nier (Les offi­cia­li­tés au Moyen Age, Paris, 1880), l’auteur pré­cise ce qu’est l’inquisition cano­nique, entre l’enquête d’office franque (l’aprise) et l’enquête civile roma­no-cano­nique (p. 90). Si l’inquisitio here­ti­cae pra­vi­ta­tis a exer­cé une « influence consi­dé­rable sur la pro­cé­dure cri­mi­nelle des cours laïques à par­tir de la fin du XIIIe siècle » (p. 347), il faut ajou­ter que des tra­vaux récents ont recen­tré cette influence, indé­niable, sur la France du Nord. Celle du Midi connais­sait déjà, du moins par­tiel­le­ment et dans cer­taines villes, une telle pro­cé­dure inqui­si­toire.
La ques­tion des peines ecclé­sias­tiques est trai­tée avec beau­coup de finesse (p. 296). Leur but est médi­ci­nal, pour ame­ner le cou­pable à rési­pis­cence, ce qui explique la place par­ti­cu­lière de l’« emmu­re­ment » dans l’arsenal répres­sif ecclé­sias­tique, qui n’existe qua­si­ment pas dans la juri­dic­tion laïque. La peine d’emprisonnement ser­vait « à cor­ri­ger le cou­pable autant qu’à le punir ; elle avait une fonc­tion d’amendement » (p. 202, n. 479). La deuxième par­tie de l’ouvrage suit un plan ana­logue, non ache­vé cepen­dant. Sont trai­tés l’organisation judi­ciaire, la pro­cé­dure et les délits et les peines, d’ailleurs limi­tés, faute de temps, à deux champs d’étude seule­ment (paillar­dise et lar­cin). Cette époque est celle de la réor­ga­ni­sa­tion de la jus­tice royale, de la prise en main du conten­tieux par l’Etat, qui tente de réduire les juri­dic­tions adverses de la sienne (muni­ci­pales, sei­gneu­riales, ecclé­sias­tiques). Divers méca­nismes sont inven­tés pour per­mettre au juge civil de gagner en influence : l’appel et la pré­ven­tion sont des moyens de choix, en sus des cas royaux dont la connais­sance n’appartient évi­dem­ment qu’au juge royal. Concer­nant l’ordre ecclé­sial, ce sont les appels comme d’abus (inter­je­tés d’une déci­sion ecclé­sias­tique, auprès du Par­le­ment), les cas pri­vi­lé­giés ou les nom­breuses sai­sies du tem­po­rel qui par­ti­cipent de l’abaissement de cette jus­tice concur­rente. L’entreprise sera ache­vée en 1695 avec l’édit sur la juri­dic­tion ecclé­sias­tique, ne lais­sant aux offi­cia­li­tés que les litiges pure­ment spi­ri­tuels.
Bien écrits, bien docu­men­tés, et désor­mais bien pré­sen­tés, ces cours font regret­ter une seule chose, que l’auteur n’ait pas livré la suite de l’histoire.

-->