Revue de réflexion politique et religieuse.

La rési­gna­tion dans la culture catho­lique

Article publié le 20 Juin 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

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L’auteur, prêtre et pro­fes­seur à l’Institut catho­lique de Tou­louse (Facul­té de théo­lo­gie), a remo­de­lé en 500 pages sa thèse doc­to­rale sur un thème pou­vant paraître secon­daire, ou polé­mique, à pre­mière vue, mais qui est en réa­li­té très impor­tant. Secon­daire, car la rési­gna­tion fait par­tie de ces dis­po­si­tions d’âme para­doxales, louées comme ver­tus annexes de l’obéissance à la volon­té divine, notam­ment mani­fes­tée à tra­vers les évé­ne­ments de la vie, et comme vice asso­cié au fata­lisme et à la perte de l’espérance. Polé­mique, parce que la rési­gna­tion est exac­te­ment ce qui sert d’appui aux invec­tives mépri­santes de Nietzsche à l’encontre des chré­tiens, accu­sés d’inventer les pré­ceptes d’une morale d’esclaves faite pour jus­ti­fier leur lâche­té devant la « vie » ; ou de Marx, qui voit dans la rési­gna­tion le frein venant blo­quer la lutte des classes, donc aus­si l’obstacle à l’accélération de l’Histoire sup­po­sée n’avancer vers la réa­li­sa­tion du Para­dis sur terre qu’au moyen de la cupi­di­té, de l’envie, du refus d’accepter sa condi­tion.

Et pour­tant la rési­gna­tion est une dis­po­si­tion très impor­tante, bien que, d’un point de vue chré­tien, elle soit tout autant para­doxale. Plus exac­te­ment convien­drait-il de dis­tin­guer entre une forme émi­nente de rési­gna­tion, union avec le Christ, l’Agneau de Dieu accep­tant doci­le­ment le sacri­fice de la croix pour expier la faute ori­gi­nelle et récon­ci­lier l’humanité avec le Père, et une forme néga­tive, bais­sant les bras par erreur d’interprétation devant un monde impie et s’achevant dans la com­pli­ci­té avec lui. Sous ce rap­port, la dégé­né­res­cence de la pré­di­ca­tion reli­gieuse a suc­ces­si­ve­ment abou­ti à empê­cher les justes révoltes contre l’injustice, au nom de tous les ral­lie­ments, et jeté le dis­cré­dit sur la vie inté­rieure d’abandon à la divine pro­vi­dence, l’oubli de soi, l’humilité, l’esprit de péni­tence.

L’abbé Gali­nier-Pal­le­ro­la passe en revue les dif­fé­rentes phases de l’histoire poli­tique de l’Eglise moderne, et constate que le dis­cours ecclé­sias­tique a chan­gé au fil du temps, même s’il fut tou­jours plus ou moins mar­qué par un sou­ci de défense exclu­sif de la liber­té du culte et de l’enseignement reli­gieux et peu par la prise en compte effec­tive des exi­gences d’un ordre poli­tique juste. Le XXe siècle a remis à l’ordre du jour la ques­tion sco­las­tique du droit d’insurrection, Pie XI lui-même étant ame­né à en reprendre les termes dans une ency­clique concer­nant le Mexique et les Cris­te­ros, Fir­mis­si­mam constan­tiam (28 mars 1937). La période de 1939–1945 a favo­ri­sé de telles réflexions, mais elle a aus­si — dans la veine amé­ri­ca­niste de l’Action catho­lique — contri­bué à dépré­cier la rési­gna­tion comme toutes les autres « ver­tus pas­sives ». En exergue de cet ouvrage, qui est une mine à creu­ser, l’auteur place l’exclamation sui­vante : « La rési­gna­tion ? — Quelle hor­reur », cita­tion d’un moine de l’abbaye d’En Cal­cat lui répon­dant au cours d’un entre­tien en 2001. Dans la Somme théo­lo­gique (II II, 21, 1) saint Tho­mas dis­tingue deux formes de pré­somp­tion, l’une par défaut (pas­si­vi­té atten­dant tout de l’action divine), l’autre par excès (pré­ten­tion mil­lé­na­riste de hâter le cours de l’Histoire en l’organisant par les seuls efforts humains).
Tel est bien en défi­ni­tive l’arrière-plan du pro­blème.

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