Le défi de l’éthique face aux biotechnologies
Prendre soin de la vie était l’impératif premier d’une médecine immémoriale conçue comme art sacré. Se contente-t-on encore de cette finalité à une époque où les interventions techniques sur le vivant qu’est l’homme sont en fait de plus en plus souvent précédées par des expérimentations audacieuses sur l’animal, encadrées par des technologies sophistiquées et coûteuses, et entraînées parfois dans une course à l’exploit, sans commune mesure avec la valeur de la vie ? Dans ce nouveau cadre, l’homme est-il bien encore traité en véritable sujet ou n’est-il pas souvent réduit au rang d’objet maniable à volonté ? Est-il bien, comme on le proclame sans cesse, une fin en soi, ou n’est-il pas trop souvent traité comme un simple moyen, une occasion pour assouvir des faims de savoir et de pouvoir d’apprentis-sorciers qui voudraient davantage maîtriser la Vie que de se mettre au service d’un être humain dont ils ne sauraient faire, sans risques, une pure créature artificielle ? Quelles nouvelles règles éthiques faut-il alors énoncer pour limiter cet interventionnisme médical et cet activisme biologique ? Sur quoi peut-on se fonder pour démêler dans cet ensemble de pratiques inédites, le bien et le mal, pour l’individu en particulier, pour l’espèce humaine en général ? Ne sommes-nous d’ailleurs pas placés en médecine et dans la recherche biologique devant les mêmes questions cruciales que dans tous les autres domaines où l’équilibre de l’humanité et de son environnement sont menacés radicalement ?
Quelle est d’abord l’ampleur même du problème ? Les colloques incessants qui se succèdent dans les sociétés industrielles (( Lors d’une récente Conférence européenne de bioéthique organisée à Mayence (RFA) du 7 au 9 novembre 1988, ont entre autres été énoncées les recommandations suivantes : « Il incombe aux pouvoirs publics et à la société — et c’est une responsabilité à laquelle ils ne peuvent se soustraire — de fixer des règles essentielles de l’action de manière qu’elles n’entrent pas en conflit avec la nature de l’homme en tant qu’être social libre et responsable, ni ne portent atteinte à sa dignité et à son intégrité ». Est-il bien sûr que cette formulation ne recouvre pas une foule d’interprétations contradictoires ?)) comme les débats institutionnels propres aux Comités d’éthique prouvent que la médecine se sent débordée par des savoirs et des pouvoirs nouveaux, qui semblent mettre en cause les certitudes traditionnelles quant aux droits et aux devoirs attachés à la pratique médicale. Aux deux extrémités de l’existence humaine surtout, l’interventionnisme technique permet les procréations artificielles, les manipulations génétiques et plus banalement l’interruption délibérée de la grossesse et à l’autre bout de la chaîne, l’euthanasie passive et active, l’acharnement thérapeutique, voire les expérimentations en comas dépassés. En quelques décennies le corps médical s’est vu atteint d’un prométhéisme vertigineux, qui le rend capable de changer le capital génétique des vivants, de doter les organismes de prothèses et de fabriquer des états intermédiaires entre la vie et la mort.