Revue de réflexion politique et religieuse.

La royau­té du Christ, genèse d’un déclas­se­ment

Article publié le 27 Mai 2025 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Sur le der­nier ouvrage de Juan Fer­nan­do Sego­via. 

L’auteur, déjà connu de nos lec­teurs, a mal­heu­reu­se­ment quit­té ce monde au cours de ce mois de mai 2025. Le pré­sent texte[1] est l’un de ses der­niers tra­vaux, offrant la syn­thèse d’une série de contri­bu­tions à des publi­ca­tions col­lec­tives sur le dogme de la royau­té du Christ, spi­ri­tuelle et tem­po­relle indis­so­cia­ble­ment. Il com­mence par une défi­ni­tion de la royau­té sociale du Christ, cen­trée sur l’encyclique de Pie XI, Quas Pri­mas, dont on célèbre le cen­te­naire cette année. Puis il mène une ana­lyse des prin­ci­pales néga­tions de ce concept, logiques dans l’esprit du pro­tes­tan­tisme et du libé­ra­lisme, moins logiques mais tout aus­si intel­li­gibles dans les ten­ta­tives suc­ces­sives d’accepter l’état de fait au sein de l’Église, moins logiques encore dans cer­tains milieux où l’on ne l’attendrait pas, en l’occurrence les quelques groupes de catho­liques adeptes du « spi­ri­tuel d’abord » s’affairant à cam­per ensemble loin des affaires du monde, don­nant ain­si forme à un « com­mu­nau­ta­risme catho­lique » – ou son pen­dant clé­ri­cal, une « hié­ro­cra­tie ». Vient enfin une ana­lyse des effets de la crise liée à Vati­can II, le prin­ci­pal étant de vider de sens le dogme de la royau­té du Christ exal­té il y a main­te­nant un siècle.

F. Sego­via place au point de départ de la pri­va­ti­sa­tion de la foi la concep­tion luthé­rienne de l’Église, pure asso­cia­tion libre de fidèles et non pas socié­té ins­ti­tuée divi­ne­ment par le Christ qui en est la tête et dont tous les hommes sont appe­lés à être les membres. Il retient cinq sépa­ra­tions : entre la nature et la grâce, entre celle-ci et les sacre­ments – tenus pour sym­boles et non pour signes effi­caces de la grâce –, entre la foi et les œuvres ; et pour ache­ver, la sépa­ra­tion entre la foi et la rai­son, enfin entre les églises – déno­mi­na­tion fac­tuelle des ensembles réunis­sant des croyants, non l’Église ins­ti­tu­tion divine – et la puis­sance poli­tique (l’État). Il y a donc bien pour Luther un Christ-Roi, cepen­dant « sa royau­té n’est pas de la terre ni sur le ter­restre, mais il est roi de biens spi­ri­tuels comme la véri­té, la sagesse, la paix, la béa­ti­tude, etc. » La suite va de soi, essen­tiel­le­ment rame­née à la sub­jec­ti­vi­té du sen­ti­ment reli­gieux. Dans le meilleur des cas, le plus abs­trait aus­si de la réa­li­té, la for­mule pro­po­sée par Haber­mas résume l’idéal com­mun d’une démo­cra­tie laïque apai­sée : agnos­ti­cisme public, confes­sion reli­gieuse pri­va­ti­sée. L’origine, clai­re­ment luthé­rienne, de cette dis­tinc­tion fal­la­cieuse réside dans la dépré­cia­tion des œuvres, au pre­mier rang des­quelles la poli­tique ; c’est ce que J.F. Sego­via nomme « l’apostasie de la royau­té par­tielle », comme si cer­tains sec­teurs de la réa­li­té, ou cer­tains actes pou­vaient être sous­traits à la sou­ve­rai­ne­té divine, mais pas cer­tains autres.

La der­nière par­tie de ce dense petit volume aborde les men­ta­li­tés répan­dues dans l’Église contem­po­raine, celle, par exemple, qui consi­dère que la royau­té est pas­sée de mode, tout comme le fut le port de la sou­tane, qu’il vau­drait mieux par­ler de l’uto­pie de Dieu, la « royau­té » du Christ res­tant seule­ment en tant qu’image d’une pré­sence aimante dans le cœur des croyants…

À l’arrière-plan de toutes ces dévia­tions, ce n’est pas d’abord la néga­tion des droits de Dieu qui est en cause, mais plu­tôt celle de la nature, tout entière sou­mise à son Créa­teur et Rédemp­teur, et domaine essen­tiel du vou­loir humain qui, comme tel, exerce par elle et sur elle un sacer­doce authen­tique.

[1] El dog­ma de la Rea­le­za de Cris­to. Quas pri­mas, de Pío XI, entre la tra­di­ción y la apos­tasía, Conse­jo de Estu­dios hispá­ni­cos Felipe II, coll. « De Regno », Madrid, février 2025, 100 p., 15 €

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