Revue de réflexion politique et religieuse.

Oli­vier Roy : En quête de l’Orient per­du. Entre­tiens avec Jean-Louis Schle­gel

Article publié le 25 Juin 2015 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Ces entre­tiens avec Oli­vier Roy, poli­to­logue spé­cia­liste du monde musul­man, pré­sente un grand inté­rêt. La forme per­met à l’auteur d’effectuer un retour sur son par­cours, bien repré­sen­ta­tif d’une cer­taine intel­li­gent­sia fran­çaise actuelle, en dépit – mais en réa­li­té bien plu­tôt du fait même – de son carac­tère ori­gi­nal à divers points de vue : enfance dans une famille pro­tes­tante, classes pré­pa­ra­toires à Louis-le-Grand en 1968, poste d’enseignant à l’Institut Uni­ver­si­taire euro­péen de Flo­rence, pas­sage par le mar­xisme révo­lu­tion­naire et la ten­ta­tion évi­tée de la vio­lence dans les années 1970, grâce en par­tie à la décou­verte de l’Afghanistan, en rou­tard soli­taire dès 1967… Après quelques années d’enseignement de la phi­lo­so­phie dans un lycée de pro­vince, Oli­vier Roy entre au CNRS et assume l’activité infor­melle de conseiller du prince sur la ques­tion afghane à par­tir du déclen­che­ment de la guerre sovié­tique et jusqu’à sa brusque ces­sa­tion à la fin des années 1980. A l’époque ce loin­tain Orient se trou­vait encore à la veille de sa pleine entrée dans une moder­ni­té qui allait le broyer, pro­ces­sus dont nous voyons aujourd’hui le paroxysme. Oli­vier Roy s’est inté­res­sé à l’islam avant beau­coup d’autres, mais il l’aborde avec la phi­lo­so­phie qui est la sienne, c’est-à-dire celle de toute sa géné­ra­tion, mar­quée par la pen­sée de Sartre et son refus de toute iden­ti­té stable. C’est l’un des aspects les plus inté­res­sants de l’ouvrage qui fait de manière claire le lien entre la cri­tique de « l’essentialisme » cultu­rel, leit­mo­tiv récur­rent de la pen­sée de gauche, et l’affirmation de la com­pa­ti­bi­li­té de tous les peuples au sein d’une même socié­té comme au sein de la mon­dia­li­sa­tion, l’identité étant cen­sée être par nature quelque chose de fuyant parce que construit et sans cesse remis en chan­tier, l’existence pré­cé­dant l’essence. A par­tir de là, par­ler de l’islam en soi n’a pour lui aucun sens. Il n’existe que des musul­mans plus ou moins réfrac­taires au nou­vel ordre mon­dial démo­cra­tique, des radi­caux ou des modé­rés, et il faut jouer ceux-ci contre ceux-là. C’est pour­quoi il faut pri­vi­lé­gier l’approche par la pra­tique reli­gieuse, mou­vante, incar­nant le don­né empi­rique sans cesse en évo­lu­tion que s’efforce de cap­ter la socio­lo­gie, et non par la croyance expri­mée théo­lo­gi­que­ment, comme font les « orien­ta­listes ». Roy se garde bien de nom­mer les cou­pables (Mas­si­gnon ou Gar­det hier ? les époux Urvoy aujourd’hui ?), tout comme de défi­nir ce qu’il entend par essence, mais sa posi­tion lui per­met le luxe de cri­ti­quer jusqu’au laï­cisme fran­çais, qui n’échappe pas à l’erreur de figer le réel en caté­go­ries. En guise de phi­lo­so­phie, on retrouve à nou­veau une pen­sée dont le seul hori­zon véri­table est la démo­cra­tie, au sein de laquelle le reli­gieux peut jouer libre­ment sa par­ti­tion, s’associant à cette recon­fi­gu­ra­tion per­ma­nente des iden­ti­tés. Une pen­sée, donc, qui se refuse à tout autre uni­ver­sel que celui d’un indi­vi­du sans cesse en rup­ture avec lui-même : « La liber­té, c’est de ne jamais être pié­gé par une iden­ti­té » (p. 248). Un aty­pisme bien confor­miste en somme, mais qui recèle à l’occasion des remarques très judi­cieuses, comme celle qui sou­ligne que les Orien­taux ne sont pas des êtres pas­sifs vis-à-vis de leur héri­tage, qu’ils sont bien à même de dis­cu­ter, ou encore qu’il y a une logique inhé­rente au ter­ro­risme comme tel, indé­pen­dam­ment du ter­reau cultu­rel et poli­tique dans lequel il s’implante. Un ouvrage ins­truc­tif par consé­quent, jusque dans les nom­breuses fai­blesses qu’il révèle.

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