Revue de réflexion politique et religieuse.

Jacques Fré­meaux, Ayme­ric Chau­prade, Phi­lippe Evan­no (dir.) : Menaces en Afrique du Nord et au Sahel et sécu­ri­té glo­bale de l’Europe

Article publié le 9 Juin 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

La carac­té­ris­tique pre­mière de cet ouvrage col­lec­tif, issu du col­loque inter­na­tio­nal du 28 février 2013 en Sor­bonne, est la plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té de l’analyse, ce qui est tout à fait ori­gi­nal pour évo­quer une ques­tion com­plexe comme celle de l’instabilité sahé­lienne actuelle, mais sur­tout au rebours de l’approche pesante de la vul­gate média­tique uni­for­mi­sée. Le col­loque avait créé les condi­tions d’un authen­tique débat entre spé­cia­listes et d’une confron­ta­tion des points de vue entre autant d’acteurs de ter­rain : un ancien ministre malien, notam­ment en charge du déve­lop­pe­ment du Nord, un repré­sen­tant des Toua­regs du MNLA, des agents diplo­ma­tiques et du ren­sei­gne­ment, des uni­ver­si­taires recon­nus du Sahel et du Magh­reb. L’ouvrage res­ti­tue en par­tie cette dyna­mique. Dense, d’un niveau de qua­li­té assez rare et riche d’un grand nombre d’informations, il per­met d’appréhender les élé­ments concrets des jeux d’influence menés par les Etats concer­nés, tant d’Afrique du Nord et sahé­liens que les puis­sances extra-afri­caines et, par exemple, les inté­rêts géo­po­li­tiques des acteurs de la crise du Mali, le rôle du Qatar et des Etats-Unis. Les maux tels que l’islamisation de l’Afrique sub­sa­ha­rienne sur le vieux mode de l’alternance entre raz­zia et oeuvres de bien­fai­sance, l’implication de nom­breux acteurs poli­tiques et éco­no­miques sur les res­sources géo­lo­giques de la région (pétrole, or, ura­nium), les tra­fics de toutes sortes (drogue, armes, ciga­rettes, contre­fa­çons, otages, e‑déchets, médi­ca­ments, traite d’êtres humains, migra­tions illé­gales, détour­ne­ment de pétrole, etc.) par­mi les plus denses du monde sont bien décrits et expli­ci­tés. Les auteurs sou­lignent éga­le­ment la pré­sence des mou­ve­ments ter­ro­ristes isla­mistes proches ou non d’intérêts éta­tiques des puis­sances régio­nales ain­si que la désta­bi­li­sa­tion inhé­rente aux mil­lions de réfu­giés, la dis­sé­mi­na­tion des mil­liers d’armes légères et lourdes pro­ve­nant prin­ci­pa­le­ment du chaos libyen et la poro­si­té des mil­liers de kilo­mètres de fron­tières de pays en guerre.
L’instabilité saha­rienne s’inscrit dans la longue durée de l’Histoire et les pesan­teurs his­to­riques, clefs d’intelligibilité des crises au Sahel, sont lon­gue­ment expo­sées. L’élucidation de la situa­tion par­ti­cu­lière du peuple toua­reg dans la zone sahé­lo-saha­rienne et la lutte pour sa recon­nais­sance au niveau natio­nal, régio­nal et inter­na­tio­nal est mise en valeur dans le corps de l’ouvrage et revient en fil rouge de plu­sieurs cha­pitres.
Dans la par­tie de l’ouvrage consa­crée aux régu­la­teurs exté­rieurs, les rôles de l’Union euro­péenne et des ins­ti­tu­tions afri­caines (CEDEAO et UA) sont pré­ci­sé­ment ana­ly­sés ; le cas de l’indépendance conflic­tuelle du Sud-Sou­dan est éga­le­ment évo­qué. La conclu­sion qui se dégage de cet ensemble est que tant que la com­plexi­té des situa­tions ame­nant aux conflits sera clai­re­ment exclue des rai­son­ne­ments fon­dant les inter­ven­tions occi­den­tales, notam­ment fran­çaises, les ten­ta­tives pro­po­sées de média­tion et de réso­lu­tion des crises ne seront que des pis-aller, comme on doit s’y attendre pour le cas malien.

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