Revue de réflexion politique et religieuse.

Chris­tophe Bar­thé­le­my : La judi­cia­ri­sa­tion des opé­ra­tions mili­taires

Article publié le 29 Mai 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Avocat, offi­cier de réserve et ancien audi­teur de l’IHEDN, Chris­tophe Bar­thé­le­my traite avec la com­pé­tence juri­dique et mili­taire de ses titres d’un sujet qui pré­oc­cupe gran­de­ment les armées fran­çaises depuis une bonne ving­taine d’années, suite à l’incrimination pénale devant des juri­dic­tions civiles de cer­tains de ses cadres pour des inci­dents divers en opé­ra­tions exté­rieures. Le pro­pos est d’autant plus actuel que la plus haute juri­dic­tion civile fran­çaise, la Cour de Cas­sa­tion, a confir­mé en mai 2012 la léga­li­té d’une ins­truc­tion pénale pour homi­cide invo­lon­taire à l’encontre de la hié­rar­chie mili­taire, enga­gée à la demande des parents d’une dizaine de sol­dats tués en 2008 dans une embus­cade en Afgha­nis­tan.
Le pro­blème qui se pose ain­si est de deux natures, et on peut repro­cher à l’auteur de ne pas en avoir tiré toutes les consé­quences, même s’il semble les avoir entre­vues. Qu’une telle action soit tech­ni­que­ment pos­sible est le pre­mier sujet, qui fait l’objet de l’essentiel du livre, même si l’on pour­rait fina­le­ment le résu­mer en peu de mots : dans la mesure où ces opé­ra­tions exté­rieures, pour des rai­sons de poli­tique inté­rieure ou exté­rieure, n’ont pas été qua­li­fiées de guerre, c’est le droit com­mun fran­çais qui s’applique, qui a for­te­ment ren­for­cé avec le temps la pro­tec­tion des vic­times et la mise en jeu des res­pon­sa­bi­li­tés. Il suf­fit donc, si l’on ne veut aller jusqu’à les requa­li­fier pour ce qu’elles sont en véri­té, de créer une caté­go­rie spé­ciale d’opérations exté­rieures, hors état de guerre, mais sou­mises au même droit des conflits armés.
Le plus inté­res­sant est cepen­dant de savoir pour­quoi l’idée d’une telle action peut ger­mer et pros­pé­rer dans notre socié­té sans heurts majeurs hors le monde mili­taire, voire avec l’adhésion de l’opinion publique et des médias. Chris­tophe Bar­thé­le­my n’ignore pas le pro­blème. Il invoque trois rai­sons prin­ci­pales : la perte du sens de l’action exté­rieure de la France, la com­plexi­té accrue des mis­sions cor­res­pon­dantes et, enfin, la perte de cohé­sion sociale et la trans­for­ma­tion du rap­port à la mort, qui n’est jamais per­çue que comme un échec. On peut se conten­ter de le rejoindre sur ces points, en déplo­rant que l’impossibilité de faire évo­luer à vue humaine ces fac­teurs conduise à s’en accom­mo­der, ce qu’il semble faire, comme l’institution mili­taire en France.
Pour­tant, on relève dans cet ouvrage quelques nota­tions qui invitent à aller plus loin : l’auteur remarque d’abord pour s’en éton­ner que l’opinion publique accepte plus faci­le­ment un acci­dent à l’entraînement qu’une mort au com­bat, puis, ailleurs, que des pays démo­cra­tiques comme la Suisse ou les Etats-Unis ont réus­si à pré­ser­ver le carac­tère propre de la jus­tice mili­taire, avec des juri­dic­tions spé­ci­fiques y com­pris pour les actions en temps de paix, signe d’un rap­port dif­fé­rent entre le sol­dat et la nation. Enfin, en conclu­sion, il appelle à une autre « com­mu­ni­ca­tion » sur le métier des armes. L’enjeu est-il de com­mu­ni­ca­tion ou de recon­si­dé­rer le sta­tut du mili­taire pour arrê­ter d’en faire un contrac­tuel de la sécu­ri­té, sujet à des acci­dents du tra­vail pour les­quels on pour­ra, comme dans le civil, recher­cher les res­pon­sa­bi­li­tés de la hié­rar­chie ? Il s’agit aus­si sans doute de res­tau­rer les ver­tus de cou­rage dans une cer­taine hié­rar­chie civile et mili­taire, car enfin, pour reve­nir à l’embuscade afghane évo­quée plus haut, les déci­sions ulté­rieures prises en matière de sélec­tion, de for­ma­tion et d’équipement des troupes envoyées sur ce théâtre montrent à l’envi que la situa­tion était cri­ti­quable et que ces morts auraient sans doute pu être en par­tie évi­tées. Mais où a‑t-on vu que cer­tains en aient assu­mé la res­pon­sa­bi­li­té ?

-->