Revue de réflexion politique et religieuse.

Archi­tec­ture reli­gieuse contem­po­raine. Pour un retour au sens

Article publié le 10 Juil 2011 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

L’archi­tec­ture des édi­fices des­ti­nés au culte joue un rôle déter­mi­nant à l’égard des œuvres d’art sacré qui s’y trouvent. En même temps, elle est elle-même un art sacré. A la base de toute réflexion sur ce sujet se trouve la ques­tion : qu’est-ce que l’art ? Selon saint Tho­mas d’Aquin, l’art est avant tout une ver­tu de l’intellect pra­tique. Le doc­teur de l’Eglise la défi­nit comme rectaratio fac­ti­bi­lium – norme juste du tra­vail, capa­ci­té de choi­sir le bon moyen pour réa­li­ser à la per­fec­tion une œuvre – et il la dis­tingue de l’autre ver­tu de l’intellect pra­tique qu’est la pru­dence, laquelle est rec­ta ratioagibilium (norme juste de l’agir, capa­ci­té de choi­sir les moyens à employer pour atteindre une fin pré­cise). A pre­mière vue, il pour­rait sem­bler que seule la pru­dence est en rela­tion avec la fin de l’homme et qu’elle appar­tient de ce fait à la sphère de l’agir moral ; l’art serait ain­si, d’une cer­taine manière, neutre. C’est ce que sou­tiennent les par­ti­sans de l’indépendance totale de l’artiste. En réa­li­té, l’homme est un être un et, si l’art conserve une cer­taine auto­no­mie vis-à-vis de la morale, aucune action humaine ne pos­sède en soi une absence de signi­fi­ca­tion éthique. Par ailleurs, le beau est l’un des trans­cen­dan­taux, c’est-à-dire une carac­té­ris­tique insé­pa­rable de tout être, de toute sub­stance, comme l’un, le vrai, le bien. La bon­té de l’être est liée à la volon­té qui le désire, tan­dis que sa véri­té est liée à l’intelligence qui le connaît. La beau­té fait simul­ta­né­ment réfé­rence à l’intellect, qui recon­naît la véri­té et la bon­té des choses, et à la volon­té, qui tire un plai­sir et une délec­ta­tion de leur contem­pla­tion.

Il n’est pas facile de défi­nir la beau­té. Saint Tho­mas le fait en s’attachant à ses effets : est beau ce qui plaît à la contem­pla­tion. La beau­té des êtres est per­çue par les facul­tés de l’homme liées à la connais­sance : la sen­si­bi­li­té (vue et ouïe, mais aus­si, pour l’architecture, tou­cher et même odo­rat) et l’intelligence. Mais l’appréhension du beau adjoint à la simple connais­sance le plai­sir qui découle d’une telle connais­sance. On peut consi­dé­rer la beau­té comme un genre par­ti­cu­lier de bon­té car tout bien pos­sé­dé est source de joie : tout ce qui pré­sente de la beau­té entraîne un plai­sir spé­ci­fique par le simple fait d’être connu.

Si la contem­pla­tion du beau est tou­jours accom­pa­gnée d’un cer­tain plai­sir, la beau­té ne s’identifie pas au plai­sir mais aux pro­prié­tés qui rendent, pré­ci­sé­ment, la contem­pla­tion plai­sante. « Je lui deman­de­rai, dit saint Augus­tin, si ces objets sont beaux parce qu’ils plaisent ou s’ils nous plaisent parce qu’ils sont beaux. Il me répon­dra sans doute qu’ils nous plaisent parce qu’ils sont beaux ». La même chose est valable pour la bon­té, qui ne prend pas son ori­gine dans la volon­té : les choses conti­nue­raient à être bonnes ou belles même s’il n’existait pas d’hommes capables de les dési­rer ou de les appré­cier d’un point de vue esthé­tique. La beau­té se révèle par un cer­tain nombre de carac­té­ris­tiques qui sont la cause immé­diate du plai­sir esthé­tique. Saint Tho­mas met en avant trois aspects essen­tiels : « D’abord, l’intégrité ou per­fec­tion : les choses tron­quées sont laides […] ; puis les pro­por­tions vou­lues ou har­mo­nie ; enfin l’éclat : des choses qui ont de brillantes cou­leurs, on dit volon­tiers qu’elles sont belles. »3 Tout ce qui réunit en lui-même ces carac­té­ris­tiques est objec­ti­ve­ment beau, au-delà de la sen­si­bi­li­té esthé­tique de l’individu et d’une époque par­ti­cu­lière. La pro­por­tion ou l’harmonie du sujet en lui-même et en rela­tion avec ce qui l’entoure n’exclut pas la varié­té. Elle n’est pas mono­to­nie ou absence de nuances. Il suf­fit de pen­ser au mer­veilleux agen­ce­ment de l’univers dans son ensemble, qui ne peut que frap­per les sens et l’intelligence. Il existe une cer­taine res­sem­blance entre la notion tho­miste d’harmonie et celle de symé­trie archi­tec­tu­rale que l’on retrouve chez Vitruve. L’intégrité, ou la per­fec­tion, d’une chose est liée aux per­fec­tions ins­crites dans sa nature. La splen­deur, ou la clar­té, signi­fie intel­li­gi­bi­li­té et véri­té du point de vue de l’intelligence, lumière, cou­leur, net­te­té, pure­té pour la vue et, pour l’ouïe, cette dis­po­si­tion par­ti­cu­lière des sons qui rend plai­sante l’écoute.
Même si toutes les choses sont bonnes en elles-mêmes, cer­taines sont mau­vaises pour l’homme : par exemple, les sub­stances toxiques. Il en va de même pour la beau­té : toutes les créa­tures ont une beau­té propre, plus ou moins grande sui­vant leur degré de per­fec­tion. Mais, pour que la beau­té des êtres plaise à l’homme, il doit exis­ter une cer­taine pro­por­tion entre ses puis­sances cog­ni­tives et la beau­té qu’il per­çoit. […]

-->