Revue de réflexion politique et religieuse.

Croa­tie : l’his­toire poli­tique d’un jour­nal conci­liaire

Article publié le 25 Jan 2011 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Glas Kon­ci­la s’est oppo­sé à cet athéisme encou­ra­gé par l’Etat, évi­tant tou­te­fois d’entrer en conflit ouvert avec les auto­ri­tés com­mu­nistes. L’hebdomadaire sui­vait une méthode induc­tive, qui consis­tait à écrire des choses simples et com­pré­hen­sibles sur la per­fec­tion de la nature d’une manière telle que le lec­teur avi­sé pou­vait com­prendre de quoi il était vrai­ment ques­tion, c’est-à-dire du Créa­teur lui-même. Au tra­vers d’une rubrique inti­tu­lée « Nos entre­tiens », le jour­nal avait lan­cé un forum de dis­cus­sion avec ses lec­teurs. Une fois, cer­tains posèrent par exemple la ques­tion sui­vante : « Vous affir­mez que Dieu a tout créé, mais, alors, par qui a‑t-il donc été créé ? » Sui­vait une réponse de la rédac­tion en termes simples. Telle était la façon dont le jour­nal contre­car­rait la pro­pa­gande com­mu­niste. Une autre rubrique, « Pour vous, les enfants », appa­rut éga­le­ment afin de don­ner aux plus jeunes les réponses à leurs ques­tions. A par­tir de 1968, cette rubrique dis­pa­rut pour don­ner nais­sance au jour­nal MAK (« Le petit Concile »), dont le tirage men­suel a atteint 100 000 exem­plaires. C’était une arme extrê­me­ment effi­cace contre la pro­pa­gande athée, mais tou­jours sans entrer direc­te­ment en conflit avec les déten­teurs du pou­voir.
Glas Kon­ci­la lan­ça aus­si les « Olym­piades de la foi », aux­quelles les meilleurs élèves des écoles, plus de 10 000, par­ti­ci­pèrent, autour de thèmes de la Bible et de l’histoire de l’Eglise en Croa­tie. Ces Olym­piades se déroulent encore actuel­le­ment chaque année. Enfin, Glas Kon­ci­la a eu une grande impor­tance pour tous les fonc­tion­naires des écoles, de la san­té ou d’autres ins­ti­tu­tions publiques qui, pour cette rai­son, n’avaient pas le droit d’aller à la messe. Une rubrique leur était par­ti­cu­liè­re­ment des­ti­née, inti­tu­lée « Le Mes­sage biblique du dimanche ».
Au cours du temps, le jour­nal devint tou­jours plus har­di. On y écri­vait sur des évé­ne­ments concrets. Une fois, par exemple, on a évo­qué la perte de son poste par un pro­fes­seur jus­te­ment parce qu’il allait à la messe. Les médias contrô­lés par l’Etat ont réagi vigou­reu­se­ment, affir­mant que ce pro­fes­seur avait per­du son poste pour d’autres rai­sons, mais les gens croyaient plu­tôt la publi­ca­tion catho­lique — ce qui n’aida d’ailleurs pas par­ti­cu­liè­re­ment le pauvre homme.
Le père Živ­ko Kusic, qui fut long­temps le rédac­teur en chef de la publi­ca­tion, en moder­ni­sa la pré­sen­ta­tion, en par­ti­cu­lier avec une rubrique « La Lettre du curé de cam­pagne », signée « Dom Jure ». Sur un mode très humo­ris­tique, il y pré­sen­tait au lec­teur un dia­logue qui se dérou­lait dans un vil­lage entre le curé et le chef du par­ti. Les sujets abor­dés étaient des ques­tions sociales sérieuses, les attaques contre la reli­gion et l’Eglise, la répres­sion com­mu­niste, les droits liés à la nature humaine, etc. Ces lettres fic­tives étaient tel­le­ment bien écrites qu’il était impos­sible de les atta­quer. « Dom Jure » obtint ce qu’il vou­lait, puisque les membres du par­ti com­mu­niste ont fini, de fait, par dis­cu­ter avec lui. Il a écrit ain­si plus de mille lettres jusqu’à la chute du sys­tème com­mu­niste. A quatre reprises, Glas Kon­ci­la a été inter­dit de vente. La pre­mière fois, ce fut en 1970 (n. 4, 22 février), à cause d’un article sur le car­di­nal Ste­pi­nac. Cet article était en réa­li­té la tra­duc­tion d’un texte paru dans L’Osservatore roma­no à l’occasion du dixième anni­ver­saire de la mort du car­di­nal croate. A cette époque, la You­go­sla­vie avait rom­pu ses rela­tions diplo­ma­tiques avec le Saint-Siège. La rédac­tion pen­sait que le pou­voir pou­vait quand même sup­por­ter la pré­sence d’une opi­nion vati­cane sur le car­di­nal Ste­pi­nac, mais ce n’était pas le cas. Le car­di­nal Fran­jo Kuha­ric a défen­du de manière constante, avec cou­rage et hon­nê­te­té, la véri­té autour du car­di­nal Ste­pi­nac, qui fut ensuite béa­ti­fié en 1998 par Jean-Paul II. Mais Glas Kon­ci­la n’a jamais pu publier inté­gra­le­ment ses pro­pos, car cela aurait entraî­né à coup sûr une inter­dic­tion de publi­ca­tion. Le numé­ro 21 de Glas Kon­ci­la fut éga­le­ment inter­dit de publi­ca­tion au motif que le jour­nal avait cité le mar­tyr Polion de Vin­kov­ci. Au IIIe siècle, lors de son pro­cès, celui-ci avait décla­ré que pour les chré­tiens, les lois n’existent que si elles sont justes. L’auteur de l’article fut incul­pé. Libé­ré dans un pre­mier temps, il fut ensuite condam­né par un juge­ment de la Cour suprême à six mois de pri­son dont deux avec sur­sis, et à une inter­dic­tion de tra­vail d’une année. La publi­ca­tion a ensuite été inter­dite à d’autres reprises, en 1973, l’accusation offi­cielle étant qu’elle pro­vo­quait la « dété­rio­ra­tion des rela­tions avec les Etats voi­sins », bien qu’il se fût agi en l’occurrence d’une pure ques­tion de poli­tique interne. Mal­gré ces dif­fé­rentes mesures, Glas Kon­ci­la res­te­ra l’unique publi­ca­tion libre du pays, appa­rais­sant non seule­ment comme la voix de l’Eglise et des catho­liques, mais aus­si comme le témoin de la véri­té et d’une pen­sée libre envers l’Etat et le par­ti.
Glas Kon­ci­la a d’ailleurs béné­fi­cié de nom­breuses sym­pa­thies chez les non-croyants, parce que l’Eglise de Croa­tie com­bat­tait pour qu’une place soit lais­sée à la liber­té et repré­sen­tait ain­si un espoir pour tous. L’une de ses grandes réus­sites fut de redon­ner vie à l’antenne croate de l’organisation Cari­tas, celle-ci était offi­ciel­le­ment inter­dite et ses membres fai­saient l’objet de pour­suites et de condam­na­tions. Une rubrique « Qui est mon pro­chain ? » infor­mait les lec­teurs sur les per­sonnes qui étaient dans une situa­tion dif­fi­cile ou dans le besoin, puis fai­sait connaître le résul­tat de l’appel lan­cé, par exemple pour trou­ver un abri. Grâce à l’agence de presse catho­lique Kath­press et à Radio-Vati­can, qui lui trans­met­taient des infor­ma­tions, Glas Kon­ci­la four­nis­sait des indi­ca­tions sur les per­sé­cu­tions anti­chré­tiennes en Tché­co­slo­va­quie, ce qui per­met­tait aux lec­teurs de com­prendre que ce qu’ils consta­taient en matière de répres­sion pro­ve­nait du sys­tème lui-même. Et cela d’autant plus que les Croates comme tels souf­fraient du même sys­tème. Glas Kon­ci­la prit tou­jours soin de défendre la langue et l’identité natio­nale croates. La rubrique « Les nôtres loin de la patrie » contri­bua gran­de­ment à l’unité du peuple croate et, pour beau­coup de Croates de l’étranger, elle fut le seul lien qu’ils purent conser­ver avec leur patrie. Le plus grand tirage eut lieu à l’occasion de Noël 1969. Glas Kon­ci­la parut alors à 245 000 exem­plaires, contre 180 000 en temps ordi­naire. A ce moment-là, l’impression qu’une faille de liber­té était en train de s’agrandir irré­sis­ti­ble­ment se dif­fu­sait par­tout. Cette faille, c’était en l’espèce le jour­nal lui-même, qui dif­fu­sait le sen­ti­ment que le com­mu­nisme ne pou­vait pas durer éter­nel­le­ment.
Les cir­cons­tances poli­tiques ne le mon­trèrent tou­te­fois pas immé­dia­te­ment. La ten­ta­tive de libé­ra­tion de la dic­ta­ture com­mu­niste you­go­slave — le célèbre prin­temps croate des années 1970 — fut répri­mée et l’intelligentsia croate fut écar­tée de toutes les res­pon­sa­bi­li­tés poli­tiques et sociales. Le porte-parole de ce com­bat fut Hrvats­ki tjed­nik [L’Hebdomadaire croate], tan­dis que Glas Kon­ci­la main­te­nait sa ligne consis­tant à publier des textes tou­chant à des thèmes reli­gieux, ce qui lui per­mit d’être épar­gné.
L’une des actions les plus réus­sies que mena Glas Kon­ci­la fut l’organisation de fes­ti­vi­tés en l’honneur de treize siècles de chris­tia­nisme croate. Elles com­men­cèrent après l’échec du prin­temps croate, alors que toutes les ins­ti­tu­tions avaient pour ain­si dire été déca­pi­tées. Ces célé­bra­tions s’étalèrent sur plu­sieurs années. En 1979, à Zadar, ce furent plus de 300 000 per­sonnes qui par­ti­ci­pèrent à l’une de ces mani­fes­ta­tions, dont les com­mu­nistes cher­chèrent d’ailleurs à inter­dire le dérou­le­ment. Faute d’y par­ve­nir, Tito se ren­dit en per­sonne dans la ville peu avant la ren­contre, et lais­sa après lui l’armée pour en assu­rer l’encadrement. Le som­met de ce jubi­lé fut la Messe célé­brée en 1984 au sanc­tuaire marial de Maria Bis­tri­ca, qui ras­sem­bla plus de 400 000 fidèles. La Répu­blique socia­liste croate inter­dit aux bus d’effectuer le voyage vers le lieu de la célé­bra­tion, ce qui n’empêcha en rien sa tenue, qui devint ain­si le plus grand ras­sem­ble­ment catho­lique de l’histoire croate. Ces quelques années de fes­ti­vi­tés mon­trèrent que le com­mu­nisme n’était pas invul­né­rable et confir­mèrent l’espérance, qui jamais ne ces­sa par la suite, que le com­mu­nisme dis­pa­raî­trait tôt ou tard.
Dans les années 1980, lorsque la pro­pa­gande poli­tique com­men­ça à pré­pa­rer les esprits à l’intervention mili­taire contre la Croa­tie et la Ser­bie, Glas Kon­ci­la fut l’unique publi­ca­tion qui n’accepta pas le « silence croate ». Tous les autres jour­naux demeu­raient sous contrôle du par­ti et refu­sèrent en consé­quence de par­ler du dan­ger mon­tant. Glas Kon­ci­la se fai­sait l’écho atten­tif des évé­ne­ments de Pologne, en par­ti­cu­lier du com­bat du syn­di­cat Soli­dar­nos’ c , et pré­pa­rait ses lec­teurs à la dis­pa­ri­tion du com­mu­nisme. La chute du mur de Ber­lin et les évé­ne­ments de Tché­co­slo­va­quie, éga­le­ment régu­liè­re­ment réper­cu­tés par Glas Kon­ci­la, firent le reste. Et c’est ain­si que débu­ta le pro­ces­sus his­to­rique de reflux du com­mu­nisme en Croa­tie, qui se dérou­la alors sans que le sang ne coule.

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