Croatie : l’histoire politique d’un journal conciliaire
Glas Koncila s’est opposé à cet athéisme encouragé par l’Etat, évitant toutefois d’entrer en conflit ouvert avec les autorités communistes. L’hebdomadaire suivait une méthode inductive, qui consistait à écrire des choses simples et compréhensibles sur la perfection de la nature d’une manière telle que le lecteur avisé pouvait comprendre de quoi il était vraiment question, c’est-à-dire du Créateur lui-même. Au travers d’une rubrique intitulée « Nos entretiens », le journal avait lancé un forum de discussion avec ses lecteurs. Une fois, certains posèrent par exemple la question suivante : « Vous affirmez que Dieu a tout créé, mais, alors, par qui a‑t-il donc été créé ? » Suivait une réponse de la rédaction en termes simples. Telle était la façon dont le journal contrecarrait la propagande communiste. Une autre rubrique, « Pour vous, les enfants », apparut également afin de donner aux plus jeunes les réponses à leurs questions. A partir de 1968, cette rubrique disparut pour donner naissance au journal MAK (« Le petit Concile »), dont le tirage mensuel a atteint 100 000 exemplaires. C’était une arme extrêmement efficace contre la propagande athée, mais toujours sans entrer directement en conflit avec les détenteurs du pouvoir.
Glas Koncila lança aussi les « Olympiades de la foi », auxquelles les meilleurs élèves des écoles, plus de 10 000, participèrent, autour de thèmes de la Bible et de l’histoire de l’Eglise en Croatie. Ces Olympiades se déroulent encore actuellement chaque année. Enfin, Glas Koncila a eu une grande importance pour tous les fonctionnaires des écoles, de la santé ou d’autres institutions publiques qui, pour cette raison, n’avaient pas le droit d’aller à la messe. Une rubrique leur était particulièrement destinée, intitulée « Le Message biblique du dimanche ».
Au cours du temps, le journal devint toujours plus hardi. On y écrivait sur des événements concrets. Une fois, par exemple, on a évoqué la perte de son poste par un professeur justement parce qu’il allait à la messe. Les médias contrôlés par l’Etat ont réagi vigoureusement, affirmant que ce professeur avait perdu son poste pour d’autres raisons, mais les gens croyaient plutôt la publication catholique — ce qui n’aida d’ailleurs pas particulièrement le pauvre homme.
Le père Živko Kusic, qui fut longtemps le rédacteur en chef de la publication, en modernisa la présentation, en particulier avec une rubrique « La Lettre du curé de campagne », signée « Dom Jure ». Sur un mode très humoristique, il y présentait au lecteur un dialogue qui se déroulait dans un village entre le curé et le chef du parti. Les sujets abordés étaient des questions sociales sérieuses, les attaques contre la religion et l’Eglise, la répression communiste, les droits liés à la nature humaine, etc. Ces lettres fictives étaient tellement bien écrites qu’il était impossible de les attaquer. « Dom Jure » obtint ce qu’il voulait, puisque les membres du parti communiste ont fini, de fait, par discuter avec lui. Il a écrit ainsi plus de mille lettres jusqu’à la chute du système communiste. A quatre reprises, Glas Koncila a été interdit de vente. La première fois, ce fut en 1970 (n. 4, 22 février), à cause d’un article sur le cardinal Stepinac. Cet article était en réalité la traduction d’un texte paru dans L’Osservatore romano à l’occasion du dixième anniversaire de la mort du cardinal croate. A cette époque, la Yougoslavie avait rompu ses relations diplomatiques avec le Saint-Siège. La rédaction pensait que le pouvoir pouvait quand même supporter la présence d’une opinion vaticane sur le cardinal Stepinac, mais ce n’était pas le cas. Le cardinal Franjo Kuharic a défendu de manière constante, avec courage et honnêteté, la vérité autour du cardinal Stepinac, qui fut ensuite béatifié en 1998 par Jean-Paul II. Mais Glas Koncila n’a jamais pu publier intégralement ses propos, car cela aurait entraîné à coup sûr une interdiction de publication. Le numéro 21 de Glas Koncila fut également interdit de publication au motif que le journal avait cité le martyr Polion de Vinkovci. Au IIIe siècle, lors de son procès, celui-ci avait déclaré que pour les chrétiens, les lois n’existent que si elles sont justes. L’auteur de l’article fut inculpé. Libéré dans un premier temps, il fut ensuite condamné par un jugement de la Cour suprême à six mois de prison dont deux avec sursis, et à une interdiction de travail d’une année. La publication a ensuite été interdite à d’autres reprises, en 1973, l’accusation officielle étant qu’elle provoquait la « détérioration des relations avec les Etats voisins », bien qu’il se fût agi en l’occurrence d’une pure question de politique interne. Malgré ces différentes mesures, Glas Koncila restera l’unique publication libre du pays, apparaissant non seulement comme la voix de l’Eglise et des catholiques, mais aussi comme le témoin de la vérité et d’une pensée libre envers l’Etat et le parti.
Glas Koncila a d’ailleurs bénéficié de nombreuses sympathies chez les non-croyants, parce que l’Eglise de Croatie combattait pour qu’une place soit laissée à la liberté et représentait ainsi un espoir pour tous. L’une de ses grandes réussites fut de redonner vie à l’antenne croate de l’organisation Caritas, celle-ci était officiellement interdite et ses membres faisaient l’objet de poursuites et de condamnations. Une rubrique « Qui est mon prochain ? » informait les lecteurs sur les personnes qui étaient dans une situation difficile ou dans le besoin, puis faisait connaître le résultat de l’appel lancé, par exemple pour trouver un abri. Grâce à l’agence de presse catholique Kathpress et à Radio-Vatican, qui lui transmettaient des informations, Glas Koncila fournissait des indications sur les persécutions antichrétiennes en Tchécoslovaquie, ce qui permettait aux lecteurs de comprendre que ce qu’ils constataient en matière de répression provenait du système lui-même. Et cela d’autant plus que les Croates comme tels souffraient du même système. Glas Koncila prit toujours soin de défendre la langue et l’identité nationale croates. La rubrique « Les nôtres loin de la patrie » contribua grandement à l’unité du peuple croate et, pour beaucoup de Croates de l’étranger, elle fut le seul lien qu’ils purent conserver avec leur patrie. Le plus grand tirage eut lieu à l’occasion de Noël 1969. Glas Koncila parut alors à 245 000 exemplaires, contre 180 000 en temps ordinaire. A ce moment-là, l’impression qu’une faille de liberté était en train de s’agrandir irrésistiblement se diffusait partout. Cette faille, c’était en l’espèce le journal lui-même, qui diffusait le sentiment que le communisme ne pouvait pas durer éternellement.
Les circonstances politiques ne le montrèrent toutefois pas immédiatement. La tentative de libération de la dictature communiste yougoslave — le célèbre printemps croate des années 1970 — fut réprimée et l’intelligentsia croate fut écartée de toutes les responsabilités politiques et sociales. Le porte-parole de ce combat fut Hrvatski tjednik [L’Hebdomadaire croate], tandis que Glas Koncila maintenait sa ligne consistant à publier des textes touchant à des thèmes religieux, ce qui lui permit d’être épargné.
L’une des actions les plus réussies que mena Glas Koncila fut l’organisation de festivités en l’honneur de treize siècles de christianisme croate. Elles commencèrent après l’échec du printemps croate, alors que toutes les institutions avaient pour ainsi dire été décapitées. Ces célébrations s’étalèrent sur plusieurs années. En 1979, à Zadar, ce furent plus de 300 000 personnes qui participèrent à l’une de ces manifestations, dont les communistes cherchèrent d’ailleurs à interdire le déroulement. Faute d’y parvenir, Tito se rendit en personne dans la ville peu avant la rencontre, et laissa après lui l’armée pour en assurer l’encadrement. Le sommet de ce jubilé fut la Messe célébrée en 1984 au sanctuaire marial de Maria Bistrica, qui rassembla plus de 400 000 fidèles. La République socialiste croate interdit aux bus d’effectuer le voyage vers le lieu de la célébration, ce qui n’empêcha en rien sa tenue, qui devint ainsi le plus grand rassemblement catholique de l’histoire croate. Ces quelques années de festivités montrèrent que le communisme n’était pas invulnérable et confirmèrent l’espérance, qui jamais ne cessa par la suite, que le communisme disparaîtrait tôt ou tard.
Dans les années 1980, lorsque la propagande politique commença à préparer les esprits à l’intervention militaire contre la Croatie et la Serbie, Glas Koncila fut l’unique publication qui n’accepta pas le « silence croate ». Tous les autres journaux demeuraient sous contrôle du parti et refusèrent en conséquence de parler du danger montant. Glas Koncila se faisait l’écho attentif des événements de Pologne, en particulier du combat du syndicat Solidarnos’ c , et préparait ses lecteurs à la disparition du communisme. La chute du mur de Berlin et les événements de Tchécoslovaquie, également régulièrement répercutés par Glas Koncila, firent le reste. Et c’est ainsi que débuta le processus historique de reflux du communisme en Croatie, qui se déroula alors sans que le sang ne coule.