Revue de réflexion politique et religieuse.

Croa­tie : l’his­toire poli­tique d’un jour­nal conci­liaire

Article publié le 25 Jan 2011 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

[note : cet article a été publié dans catho­li­ca, n. 95, pp. 57–62]

Peu avant le concile Vati­can II, le régime com­mu­niste you­go­slave avait inter­dit à l’Eglise catho­lique d’éditer des textes écrits en Croa­tie. Les fran­cis­cains de Zagreb, en accord avec l’évêque de cette même ville, Mgr Fran­jo Šeper, lan­cèrent tou­te­fois un bul­le­tin des­ti­né à rendre compte des tra­vaux conci­liaires, sous le nom de Glas Kon­ci­la (« La Voix du Concile »). Le pre­mier numé­ro parut le 4 octobre 1962. Les lec­teurs mon­trèrent immé­dia­te­ment leur inté­rêt pour ce tra­vail, mais celui-ci se heur­tait à des dif­fi­cul­tés tech­niques liées à l’impression. Une inter­ven­tion pres­sante de l’évêque de Zagreb obtint l’autorisation, à par­tir du 29 sep­tembre 1963, de faire impri­mer le bul­le­tin dans une impri­me­rie d’Etat. Le pou­voir com­mu­niste n’y voyait alors qu’une simple rela­tion des tra­vaux de l’assemblée conci­liaire. Glas Kon­ci­la por­tait d’ailleurs comme sous-titre : « Le nou­veau visage de l’Eglise ».
Fin 1963, le bul­le­tin prend le for­mat d’un jour­nal. Le pou­voir cherche alors à l’interdire, mais ne le peut pas, ne vou­lant pas prendre le risque d’un conflit avec l’épiscopat : car tous les évêques de You­go­sla­vie cau­tion­naient la publi­ca­tion par la seule pré­sence de leurs signa­tures dans ses colonnes. Le jour­nal, co-édi­té par les dio­cèses de Zagreb, Split, Sara­je­vo, Rije­ka et Zadar, parut ain­si toutes les deux semaines jusqu’à la fin de l’année 1984, avant de deve­nir heb­do­ma­daire. Offi­ciel­le­ment, il n’existait pas de cen­sure dans l’Etat com­mu­niste you­go­slave, mais le dan­ger que la publi­ca­tion soit inter­dite exis­tait bel et bien. Le motif en était l’abandon du pur ter­rain reli­gieux et ecclé­sias­tique et le fait de trai­ter de sujets rela­tifs à la situa­tion de la socié­té. Les rédac­teurs durent ain­si adop­ter un mode d’écriture spé­ci­fique, et inter­ca­lèrent sys­té­ma­ti­que­ment quelques cita­tions spi­ri­tuelles dans le cours de leurs textes. Même si un article abor­dait une ques­tion pure­ment morale ou ecclé­siale, il fal­lait l’enrober dans un style d’apparence dévote, dénué de tout com­men­taire plus cir­cons­tan­cié, sans quoi il ris­quait l’interdiction. La rai­son que les auto­ri­tés avan­çaient pour jus­ti­fier ce genre d’interdictions était simple : « Cela n’est pas de votre res­sort ». C’est ain­si que « Glas­nik sv. Antu­na » [Le mes­sa­ger de Saint Antoine], roman publié en feuille­ton dans Glas Kon­ci­la, sera inter­dit parce que le style dévot, seul accep­té par les cen­seurs com­mu­nistes, n’y était employé que dans sa par­tie bio­gra­phique.
Mais Glas Kon­ci­la est res­té la plu­part du temps fidèle à cette méthode « pieuse », et cela lui a per­mis de publier de nom­breux essais inté­res­sants écrits par des per­sonnes connais­sant de près la vie quo­ti­dienne des catho­liques croates. Ce fut le cas d’une jour­na­liste catho­lique, Smil­ja­na Ren­dic. Faute de trou­ver un tra­vail dans le reste de la presse you­go­slave, elle écri­vit dans Glas Kon­ci­la sur les évé­ne­ments mar­quants de la vie quo­ti­dienne dans l’Etat com­mu­niste, sans rien taire de la situa­tion poli­tique et sociale ambiante. Ses essais, très connus, seront publiés sous le pseu­do­nyme de « Berith » [Alliance, en hébreu], et ses articles ras­sem­blés dans des édi­tions spé­ciales sous les titres de Nous, ici et La Tente noire.
Rap­pe­lons qu’après la rup­ture avec Sta­line en 1948 — qui avait entraî­né le départ de nom­breux com­mu­nistes pour le camp de concen­tra­tion de Goli Otok (L’île chauve) —, la You­go­sla­vie a adop­té une voie par­ti­cu­lière. Le par­ti com­mu­niste a fait beau­coup d’efforts pour res­ter mar­xiste, révo­lu­tion­naire et répres­sif, mais en même temps il cher­chait à se pré­sen­ter aux yeux de l’opinion publique mon­diale comme un « Etat socia­liste démo­cra­tique ». Ce jeu double condui­sit le par­ti com­mu­niste à inté­grer dans la Consti­tu­tion cer­taines phrases garan­tis­sant la liber­té de pro­fes­ser la foi et cer­tains « droits de l’homme ». Dans la réa­li­té, la pra­tique quo­ti­dienne était tout autre. Cepen­dant, mal­gré l’énorme fos­sé creu­sé entre ce qui était écrit et la réa­li­té, un espace se libé­rait, lais­sant une place à cer­taines acti­vi­tés sociales, sans que celles-ci entrassent for­cé­ment en conflit avec la loi. Glas Kon­ci­la a pro­fi­té de cette liber­té d’action.
Par ailleurs, il faut éga­le­ment rap­pe­ler que le par­ti com­mu­niste you­go­slave n’a jamais ces­sé de pour­suivre la construc­tion d’une socié­té athée. Pour atteindre ses fins, il s’est ser­vi du sys­tème édu­ca­tif, de l’agitation poli­tique, de la culture et des médias qu’il contrô­lait. Les ensei­gnants et pro­fes­seurs, y com­pris ceux qui étaient membres du par­ti, n’ont jamais eu le droit de mon­trer exté­rieu­re­ment qu’ils étaient croyants. Aller à l’église aurait immé­dia­te­ment signi­fié la fin de leur car­rière. Pour éloi­gner les éco­liers du caté­chisme, les ensei­gnants com­mu­nistes pré­sen­taient la reli­gion comme quelque chose de rétro­grade ; au cours de leur sco­la­ri­té, les élèves devaient avoir enten­du par­ler du « mythe de Jésus » et avoir appris par cœur que la théo­rie de l’évolution démon­trait que Dieu n’existe pas.

-->