Revue de réflexion politique et religieuse.

Qué­bec : la « Révo­lu­tion tran­quille » et ses fruits

Article publié le 6 Fév 2010 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Je n’ose même pas vous poser la ques­tion à pro­pos des caté­chismes…

Cela n’existe plus. Il ne reste que l’enseignement moral, pour les non-catho­liques. L’enseignement stric­te­ment catho­lique a dis­pa­ru. Il n’existe plus aucun sens des res­pon­sa­bi­li­tés à l’égard des géné­ra­tions futures.
L’effet le plus criant, c’est la chute com­plète de la démo­gra­phie. Avec la contra­cep­tion galo­pante on a jeté le bébé avec l’eau du bain ! On en est arri­vé à pas­ser loin sous le seuil de rem­pla­ce­ment des géné­ra­tions. On ne voit pas com­ment tout cela peut chan­ger, aucun élé­ment ne nous per­met en ce moment de voir com­ment on peut sor­tir de cette catas­trophe. Celle-ci n’est pas que quan­ti­ta­tive, car ce sont les règles élé­men­taires qui se sont com­plè­te­ment brouillées, c’est la struc­ture fami­liale elle-même qui est atteinte de plein fouet. 60% des nais­sances sont hors mariage. Non seule­ment le mariage reli­gieux a été balayé, mais le mariage tout court. Dans un pre­mier temps, alors qu’il n’existait pas de mariage civil, il a fal­lu don­ner un cadre juri­dique civil au concu­bi­nage. Mais main­te­nant il n’y a plus de mariages civils. Il n’y a plus que les étran­gers qui se marient. Pré­sen­te­ment, c’est autour de 50% pour les enfants de rang 3 et 4. Donc ce n’est pas une situa­tion de tran­si­tion, le bébé qui naît puis on se marie ensuite, etc. C’est la famille entière qui est fon­dée sur ce modèle sans ins­ti­tu­tion. On a envoyé tout pro­me­ner en même temps, mariage reli­gieux et mariage en géné­ral, et cela crée de très graves per­tur­ba­tions dans la socié­té. Les taux de sépa­ra­tion sont beau­coup plus grands, la famille est beau­coup plus instable, et l’instabilité engendre à son tour des per­tur­ba­tions sociales. La mono­pa­ren­ta­li­té est très déve­lop­pée, chez les femmes sur­tout, et la poly­ga­mie chez les hommes. Ils ont deux ou trois femmes, avec des enfants recon­nus à chaque fois. Tout cela se fait dans un vide juri­dique com­plet, ce sont des situa­tions de fait. Cela peut créer des pro­blèmes éco­no­miques, les hommes ne payant pas for­cé­ment les pen­sions des enfants.

Ya-t-il un lien entre cette situa­tion et le mou­ve­ment fémi­niste ?

Oui, le mou­ve­ment fémi­niste a été chez nous beau­coup plus impor­tant qu’il n’a été en France. En France, les fémi­nistes sont des par­leuses mais cela n’a pas de grandes inci­dences pra­tiques en com­pa­rai­son de la situa­tion au Qué­bec où elles sont bien plus viru­lentes et orga­ni­sées — nous sommes une socié­té de lob­bies dans laquelle celui qui crie le plus fort l’emporte. Leurs mou­ve­ments sont très puis­sants. Le résul­tat est que les femmes qué­bé­coises sont beau­coup plus indé­pen­dantes que les femmes fran­çaises. Il y a long­temps déjà qu’elles gardent leur nom, qu’elles peuvent le don­ner à leurs enfants. Chez nous le mou­ve­ment fémi­niste a très tôt eu des réper­cus­sions en termes démo­gra­phiques, ce qui est un signe très impor­tant. On touche là le fond de la Révo­lu­tion tran­quille, qui a donc eu deux effets prin­ci­paux : celui de chas­ser l’Eglise, et celui de créer une socié­té éga­li­taire et sans normes.
On essaie aujourd’hui de com­prendre les consé­quences que cela peut avoir sur les enfants, du moins sur les quelques enfants qui sub­sistent. Il y a une contes­ta­tion chez les jeunes, qui reprochent à la géné­ra­tion de leurs parents ce qu’ils ont fait d’eux, en ne leur trans­met­tant rien. Et aujourd’hui les parents en ques­tion, qui sont deve­nus des grands-parents, se donnent bonne conscience en s’occupant de leurs petits-enfants, mais ce n’est pas vrai­ment leur rôle…
C’est la crise de l’encadrement et de la trans­mis­sion des valeurs. Bien sûr, cela fait par­tie d’une évo­lu­tion socié­tale mon­diale. Jadis, on fai­sait res­se­me­ler ses chaus­sures, aujourd’hui on les jette. On est pas­sé à une socié­té où on veut tou­jours du nou­veau, on ne s’embarrasse pas de conser­ver et de trans­mettre. Jadis, dans la socié­té, les plus jeunes met­taient les vête­ments des aînés, aujourd’hui il n’en est plus ques­tion, on jette. C’est la socié­té de l’abondance, avec ses valeurs.
Per­sonne n’a réagi, on a tolé­ré. La tolé­rance est deve­nue syno­nyme d’irresponsabilité.

C’est une auto­des­truc­tion de la socié­té ?

Si d’un point de vue poli­tique cette révo­lu­tion, comme je l’ai dit, fut tran­quille, d’un point de vue démo­gra­phique et social, elle fut une véri­table vio­lence. Le Cana­da et le Qué­bec en par­ti­cu­lier se défi­nissent comme une socié­té mul­ti­cul­tu­relle. C’est un chan­ge­ment fon­da­men­tal, et dès lors qu’on refuse d’avoir des enfants, il ne peut pas en être autre­ment. Mais l’immigration ne règle pas tout.
Le grand mot de la socié­té qué­bé­coise est la « tolé­rance ». La socié­té est deve­nue tolé­rante, mais tolé­rante à tout. Par cer­tains côtés, c’est heu­reux, mais là il n’y a plus de norme du tout. Et cette absence de normes est un mes­sage en direc­tion de la socié­té, un encou­ra­ge­ment à la décom­po­si­tion. Main­te­nant nous sommes dans une socié­té de zap­ping : on n’aime pas une émis­sion à la télé, on passe à une autre ; on n’aime pas son conjoint, on en change. C’est toute la dif­fé­rence entre aller au
ciné­ma (on reste jusqu’au bout pour regar­der le film qu’on a déci­dé d’aller voir, même si cer­tains pas­sages ne nous emballent pas) et regar­der la télé­vi­sion !
La Révo­lu­tion tran­quille, affaire de diri­gisme éta­tique, a donc débou­ché sur le laxisme total, son contraire. Le diri­gisme de l’Eglise avait un sens, puis le diri­gisme de l’Etat a été orien­té vers l’économie du bien-être. Mais on en arrive à la poli­tique du chien cre­vé au fil de l’eau.

Pour­quoi ?

L’élément très impor­tant est le natio­na­lisme. Toutes les éner­gies ont été cap­tées par les débats autour de l’indépendance. Le reste est allé tout seul, et on est tom­bé dans la logique de la tolé­rance. L’idée de tolé­rance s’est répan­due dans l’air comme une idée qui vient de tout le monde, mais elle a été for­gée tout au long de la Révo­lu­tion tran­quille. Et encore une fois, chez nous, toutes les éner­gies se sont tour­nées ailleurs, dans les débats autour d’un Etat sou­ve­rain. Il y a donc eu deux pièges, celui de la pro­mo­tion éco­no­mique, et celui du natio­na­lisme. Pour tout le reste, ce fut le lais­ser-aller. Je pense que c’est une par­tie au moins de l’explication.

Mais alors, que reste-t-il aujourd’hui ? Est-ce qu’il y a au moins des foyers de réflexion, des livres… ?

Oui, mais en géné­ral ils ne sont pas liés à la reli­gion. Il est d’ailleurs qua­si­ment hon­teux que le car­di­nal-arche­vêque de Mont­réal soit un « de souche » ! Les seuls chré­tiens qui vont à la messe sont des « eth­niques », des Lati­no-Amé­ri­cains, des Malai­siens, des Asia­tiques, etc. L’évêque n’est plus vrai­ment repré­sen­ta­tif de la com­mu­nau­té pra­ti­quante de Mont­réal. Les mariages reli­gieux ne concernent, en gros, que ces immi­grants.

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