Revue de réflexion politique et religieuse.

Polé­miques et dis­si­dences

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

CATHOLICA — La ver­sion ori­gi­nale de La guerre civile euro­péenne est parue il y a main­te­nant dix ans en Alle­magne. Depuis, le cli­mat intel­lec­tuel qui régnait alors a‑t-il chan­gé ?

ERNST NOLTE — En ce qui me concerne le chan­ge­ment n’est pas consi­dé­rable. Après la réuni­fi­ca­tion, il y a eu certes une cer­taine évo­lu­tion, on a com­men­cé d’abandonner la thèse selon laquelle la divi­sion de l’Allemagne était une puni­tion divine pour les méfaits du nazisme. Quelques-uns ont même recon­nu qu’il s’agissait là du men­songe vital de la gauche alle­mande, et qu’il fal­lait dénon­cer tous les tota­li­ta­rismes sans dis­tinc­tion. Ain­si la concep­tion qui est le fon­de­ment de mes livres était en quelque sorte accep­tée. Mais cela ne signi­fie pas que moi aus­si je devais l’être ! Un de mes col­lègues résume bien la situa­tion lorsqu’il dit de moi : Nolte a posé la ques­tion la plus impor­tante du siècle, mais sa réponse com­porte tant d’erreurs que le juge­ment néga­tif que l’on doit por­ter sur lui ne peut que se main­te­nir. Et c’est cer­tai­ne­ment l’opinion géné­rale qu’il exprime là. En fait on peut dire qu’en Alle­magne je suis tou­jours une per­sonne inexis­tante. Pour moi, ce n’est pas tou­jours facile que d’être boy­cot­té de la sorte, mais en même temps c’est une sorte de récom­pense. Je ne me laisse pas impres­sion­ner. La science fini­ra par triom­pher. Et la science doit tou­jours tenir compte du contexte. Ce que font les Alle­mands aujourd’hui c’est de tou­jours consi­dé­rer leur des­tin par rap­port à leur culpa­bi­li­té : après la supé­rio­ri­té de l’Allemagne affir­mée par les nazis il fau­drait en assu­mer le revers, soit la culpa­bi­li­té. La guerre civile euro­péenne a cer­tai­ne­ment un aspect polé­mique sur ce sujet puisque j’y cri­tique l’unilatéralité d’une telle démarche qui ne peut être scien­ti­fique. C’est donc une cri­tique scien­ti­fique, non poli­tique.
Pour reve­nir à votre ques­tion, le cli­mat aujourd’hui est tou­jours celui du poli­ti­cal­ly cor­rect. A titre d’exemple je pour­rais évo­quer la que­relle de l’an pas­sé entre Slo­ter­dijk et Haber­mas, le pre­mier repro­chant au second son jaco­bi­nisme. En effet, Slo­ter­dijk avait don­né une confé­rence lors d’une conven­tion res­treinte tenue dans un châ­teau quelque part dans l’Allemagne méri­dio­nale. Au cours de cette confé­rence sur l’élite, il s’est appuyé sur trois phi­lo­sophes, Pla­ton, Nietzsche et Hei­deg­ger, pour redé­ve­lop­per une cer­taine doc­trine de l’élitisme. Sur la fin de la confé­rence il avait même uti­li­sé des expres­sions qui sem­blaient lais­ser entendre qu’il accep­tait les thèses de Nietzsche. Mais sur­tout, il avait lais­sé de côté Marx, ce qui était ter­ri­ble­ment pro­vo­ca­teur pour Haber­mas qui a tout fait pour que l’on ne parle plus de Slo­ter­dijk.

Dans La guerre civile euro­péenne, vous par­lez de com­bat pour la véri­té his­to­rique, com­bat contre une mémoire tout à fait uni­la­té­rale. Etes-vous seul dans ce com­bat ou y a‑t-il une relève du côté des jeunes his­to­riens ?

Il y a un an, un jeune his­to­rien de l’Université de Bonn, Vol­ker Kro­nen­berg, a écrit un livre sur « Ernst Nolte et l’époque tota­li­taire », qui se vou­lait cri­tique, mais très sérieux. Il connaît toute mon œuvre, il a ten­té d’exposer avec le plus de pré­ci­sions mes tra­vaux et il en res­sort une cer­taine sym­pa­thie à mon égard. Le résul­tat est qu’à ce jour ce livre n’a connu à peu près aucune recen­sion.

Mis à part la que­relle des his­to­riens, y a‑t-il d’autres sujets sur les­quels il est très dif­fi­cile voire impos­sible de s’exprimer aujourd’hui en Alle­magne ?

Le thème du tra­gique, du sens, est aus­si très sen­sible. Un grand poète alle­mand, Botho Strauss, a écrit une fois un article dans le Spie­gel sur la tra­gé­die, sous la forme d’une cri­tique très sub­tile de l’hostilité géné­rale contem­po­raine à l’égard du sens et des grandes ins­ti­tu­tions tra­giques y com­pris et sur­tout l’Eglise. Cet article a sou­le­vé un grand scan­dale.

Quels sont les grands hérauts du poli­ti­que­ment cor­rect ?

Haber­mas et sa mai­son d’édition Suhr­kamp. On parle même de culture suhr­kam­pienne. C’est une sub­cul­ture mais qui imprègne l’ensemble de la culture.

Le phé­no­mène est-il limi­té aux médias ou se mani­feste-t-il aus­si dans les uni­ver­si­tés et plus par­ti­cu­liè­re­ment chez les étu­diants ?

Curieu­se­ment les étu­diants n’ont pas beau­coup chan­gé depuis mai 68. Il existe tou­jours une mino­ri­té voci­fé­rante, même si aujourd’hui elle n’est plus sur le devant de la scène. Et le reste des étu­diants ont ten­dance à deve­nir yup­pies ; ils ne s’intéressent qu’à leur car­rière et veulent gagner de l’argent et ne s’intéressent que très peu à la poli­tique et à la vie intel­lec­tuelle. Ce sont des tech­no­crates en puis­sance.
Par rap­port à 68 les uni­ver­si­tés sont beau­coup plus calmes, mais d’un calme qui n’est pas inté­res­sant, d’un calme poli­ti­que­ment cor­rect.

Vous êtes plu­tôt pes­si­miste…

Tant que l’on ne remet­tra pas en cause l’histoire alle­mande et euro­péenne les choses ne chan­ge­ront pas, ce sera une sorte de tota­li­ta­risme mou qui certes n’est pas san­gui­naire, qui laisse un cer­tain champ d’opinion, qui est même très per­mis­sif pour tout ce qui n’est pas poli­ti­que­ment impor­tant, mais intel­lec­tuel­le­ment par­lant c’est un nou­veau tota­li­ta­risme. Et je ne suis pas très opti­miste du côté de l’Allemagne.

Mais n’y a‑t-il pas une porte de sor­tie ?

Je ne suis pas un poli­tique, je ne don­ne­rai donc qu’une idée : ayez le cou­rage de pro­non­cer une opi­nion dif­fé­rente !

Pro­pos recueillis par Tho­mas Dumont

(note : cet article a été publié dans la revue, n. 68)

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