Revue de réflexion politique et religieuse.

La sécu­la­ri­sa­tion de l’E­glise

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Sans la réforme litur­gique, si le culte divin n’avait pas été sous­trait au peuple de Dieu et confié aux théo­lo­giens et aux litur­gistes, la sécu­la­ri­sa­tion de la théo­lo­gie n’aurait pas tou­ché ce peuple. Un cer­tain nombre de fidèles eurent le sen­ti­ment qu’on leur enle­vait le lan­gage authen­tique au moyen duquel ils com­mu­ni­quaient avec le divin. Pour d’autres la réforme de la messe a été res­sen­tie comme l’abolition de la dimen­sion sacrale qui sau­ve­gar­dait le sen­ti­ment de la sain­te­té divine, ou encore comme la trans­for­ma­tion de la messe en un avè­ne­ment com­mu­nau­taire. Le sen­ti­ment de l’adoration avait dis­pa­ru en même temps que la pra­tique du sacré, sen­ti­ment qui véhi­cu­lait l’amour mys­tique pour la Pré­sence. La messe deve­nait ain­si pro­mo­tion de la com­mu­nau­té assem­blée. Le centre de l’attention se por­tait désor­mais sur la par­ti­ci­pa­tion litur­gique du peuple, et non plus sur la prière des per­sonnes qui rend pos­sible leur sur­élé­va­tion dans l’adoration de la pré­sence réelle.
Ici encore on retrouve le thème du com­mu­nisme, dont il ne faut jamais oublier qu’il est une héré­sie chré­tienne récur­rente. A la racine, il revient à trans­cen­der la per­sonne par le com­mu­nau­taire. La dis­so­lu­tion mys­tique et réelle des per­sonnes dans la com­mu­nau­té est vue comme le dépas­se­ment de la dimen­sion de créa­ture de l’homme et son absorp­tion dans le divin enten­du comme com­mu­nau­taire. Il faut remar­quer que, dans cette pers­pec­tive, le Christ peut être com­pris comme dédi­vi­ni­sa­teur, comme celui qui a com­men­cé et ren­du pos­sible la sou­mis­sion du Dieu créa­teur à la trans­cen­dance de l’homme divin.
La réduc­tion de la messe au com­mu­nau­taire n’était pas spi­ri­tuel­le­ment et dog­ma­ti­que­ment neutre, en ce qu’elle com­por­tait une varia­tion sen­sible de struc­ture doc­tri­nale et de phy­sio­no­mie reli­gieuse. Trans­fé­rer tout le poids de l’attention qui se por­tait sur la venue du Christ sur les espèces eucha­ris­tiques vers la par­ti­ci­pa­tion com­mu­nau­taire modi­fiait la struc­ture reli­gieuse, sacrale et sym­bo­lique de la messe. Dans le même temps, ceux qui trou­vaient à redire au carac­tère abs­trait et à la perte de sacré de la réforme litur­gique se voyaient mar­gi­na­li­sés. La réforme litur­gique, détour­nait l’attention des fidèles du Corps eucha­ris­tique du Christ et la por­tait sur l’événement com­mu­nau­taire et la par­ti­ci­pa­tion. L’idéologie conci­liaire, qui ten­dait à vider la dimen­sion mys­té­rique et mys­tique pour la trans­fé­rer à une expé­rience du carac­tère englo­bant de la com­mu­nau­té par­ti­ci­pante, a ain­si per­mis que la réforme reçoive une inter­pré­ta­tion sécu­la­ri­sante et com­mu­nau­taire, tant sous une forme extrême que sous une forme modé­rée.
Le rap­port entre sacré et mys­tique est une rela­tion d’affinité et de com­plé­men­ta­ri­té. Le sacré offre au mys­tique les pos­si­bi­li­tés de son lan­gage, même si le mys­tique a ten­dance à outrer le lan­gage sacré. L’Eglise catho­lique, parce qu’elle est la plus ferme du point de vue de la dis­ci­pline par­mi les Eglises chré­tiennes, a connu à cause de cela une intense flo­rai­son mys­tique, la ten­sion entre mys­tique et ins­ti­tu­tion ayant été la moda­li­té d’expression de leur com­plé­men­ta­ri­té. Les mys­tiques n’ont jamais prê­ché la déso­béis­sance à la hié­rar­chie, même quand ils se sont confron­tés à elle. Ils ont tou­jours recon­nu qu’au sein de l’institution et dans la pré­ci­sion de son lan­gage, il y avait une pos­si­bi­li­té de péné­tra­tion de ce lan­gage même. Or jus­te­ment, la réforme litur­gique, en met­tant l’accent sur l’action publique de l’Eglise, ne le met plus sur la reli­gion per­son­nelle, sur la prière indi­vi­duelle, pour faire bref sur l’oraison et sur tout le poten­tiel que por­tait en elle, dans l’Eglise pré­con­ci­liaire, l’adoration de l’eucharistie. La langue latine elle-même, comme langue sacrée, avait une valeur reli­gieuse : elle ren­dait pos­sible l’oraison inté­rieure par la dis­po­si­tion que pro­vo­quait la pro­non­cia­tion des for­mules rituelles. C’est du reste le prin­cipe d’une prière aus­si com­mune dans le catho­li­cisme que la réci­ta­tion du cha­pe­let, qu’on dit cou­ram­ment chez nous en latin. La par­ti­ci­pa­tion sacrale use en effet d’une dimen­sion autre que celle de la rai­son : la par­ti­ci­pa­tion en langue vul­gaire peut être dis­so­ciée de la prière inté­rieure, alors que la langue sacrée main­tient mieux la pos­si­bi­li­té d’unir par­ti­ci­pa­tion et prière. Dans le sacré c’est en effet l’intelligence du sym­bole qui compte, et non la com­pré­hen­sion des paroles.

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