La sécularisation de l’Eglise
Sans la réforme liturgique, si le culte divin n’avait pas été soustrait au peuple de Dieu et confié aux théologiens et aux liturgistes, la sécularisation de la théologie n’aurait pas touché ce peuple. Un certain nombre de fidèles eurent le sentiment qu’on leur enlevait le langage authentique au moyen duquel ils communiquaient avec le divin. Pour d’autres la réforme de la messe a été ressentie comme l’abolition de la dimension sacrale qui sauvegardait le sentiment de la sainteté divine, ou encore comme la transformation de la messe en un avènement communautaire. Le sentiment de l’adoration avait disparu en même temps que la pratique du sacré, sentiment qui véhiculait l’amour mystique pour la Présence. La messe devenait ainsi promotion de la communauté assemblée. Le centre de l’attention se portait désormais sur la participation liturgique du peuple, et non plus sur la prière des personnes qui rend possible leur surélévation dans l’adoration de la présence réelle.
Ici encore on retrouve le thème du communisme, dont il ne faut jamais oublier qu’il est une hérésie chrétienne récurrente. A la racine, il revient à transcender la personne par le communautaire. La dissolution mystique et réelle des personnes dans la communauté est vue comme le dépassement de la dimension de créature de l’homme et son absorption dans le divin entendu comme communautaire. Il faut remarquer que, dans cette perspective, le Christ peut être compris comme dédivinisateur, comme celui qui a commencé et rendu possible la soumission du Dieu créateur à la transcendance de l’homme divin.
La réduction de la messe au communautaire n’était pas spirituellement et dogmatiquement neutre, en ce qu’elle comportait une variation sensible de structure doctrinale et de physionomie religieuse. Transférer tout le poids de l’attention qui se portait sur la venue du Christ sur les espèces eucharistiques vers la participation communautaire modifiait la structure religieuse, sacrale et symbolique de la messe. Dans le même temps, ceux qui trouvaient à redire au caractère abstrait et à la perte de sacré de la réforme liturgique se voyaient marginalisés. La réforme liturgique, détournait l’attention des fidèles du Corps eucharistique du Christ et la portait sur l’événement communautaire et la participation. L’idéologie conciliaire, qui tendait à vider la dimension mystérique et mystique pour la transférer à une expérience du caractère englobant de la communauté participante, a ainsi permis que la réforme reçoive une interprétation sécularisante et communautaire, tant sous une forme extrême que sous une forme modérée.
Le rapport entre sacré et mystique est une relation d’affinité et de complémentarité. Le sacré offre au mystique les possibilités de son langage, même si le mystique a tendance à outrer le langage sacré. L’Eglise catholique, parce qu’elle est la plus ferme du point de vue de la discipline parmi les Eglises chrétiennes, a connu à cause de cela une intense floraison mystique, la tension entre mystique et institution ayant été la modalité d’expression de leur complémentarité. Les mystiques n’ont jamais prêché la désobéissance à la hiérarchie, même quand ils se sont confrontés à elle. Ils ont toujours reconnu qu’au sein de l’institution et dans la précision de son langage, il y avait une possibilité de pénétration de ce langage même. Or justement, la réforme liturgique, en mettant l’accent sur l’action publique de l’Eglise, ne le met plus sur la religion personnelle, sur la prière individuelle, pour faire bref sur l’oraison et sur tout le potentiel que portait en elle, dans l’Eglise préconciliaire, l’adoration de l’eucharistie. La langue latine elle-même, comme langue sacrée, avait une valeur religieuse : elle rendait possible l’oraison intérieure par la disposition que provoquait la prononciation des formules rituelles. C’est du reste le principe d’une prière aussi commune dans le catholicisme que la récitation du chapelet, qu’on dit couramment chez nous en latin. La participation sacrale use en effet d’une dimension autre que celle de la raison : la participation en langue vulgaire peut être dissociée de la prière intérieure, alors que la langue sacrée maintient mieux la possibilité d’unir participation et prière. Dans le sacré c’est en effet l’intelligence du symbole qui compte, et non la compréhension des paroles.