La sécularisation de l’Eglise
Ces deux thèses, qui n’ont jamais été théorisées doctrinalement mais qui se sont installées comme un donné objectif, on pourrait presque dire comme une nouvelle conscience historique de l’Eglise au-delà même des intentions de ses membres, résumaient l’idéologie conciliaire. C’est d’ailleurs pourquoi nous utilisons le terme d’idéologie au sens marxien du mot, c’est-à-dire au sens de falsification du réel. Certes, le Concile n’est pas l’idéologie conciliaire, mais historiquement il a engendré sa propre falsification ; autrement dit, le Concile a engendré l’idéologie conciliaire.
Le fait que toutes les conséquences de cette idéologie conciliaire prises comme événement historique soient devenues manifestes, permet d’identifier ce que fut cette explosion d’utopie improvisée et imprévisible de mai soixante-huit en Occident, et dont le Concile avait posé les bases. L’élément fondamental des événements de mai soixante-huit, qui étaient très éloignés du marxisme, était la conviction qu’une mutation opérée dans la conscience pouvait par le fait produire une mutation radicale de la réalité. L’utopie se réalisait dès lors qu’elle était intentionnellement voulue. N’était-ce pas là déjà ce que prétendait l’idéologie conciliaire ? Il suffisait de rêver la réconciliation universelle pour que celle-ci se produise.
En fait, l’idéologie conciliaire a pris consistance objective grâce aux moyens de communication de masse. Il existe un terme consacré en théologie pour indiquer la manière selon laquelle les Eglises locales se conforment à un concile œcuménique, celui de réception. Jusqu’à Vatican II, la réception des conciles est toujours restée un processus interne à l’Eglise. Mais avec Vatican II, ce sont les moyens de communication de masse, essais, presse, radio et télévision, qui ont géré l’événement conciliaire : pour la première fois, la réception d’un concile n’a pas été le fait des organes ecclésiastiques. Elle a échappé aux évêques et aux curés pour être confiée à des théologiens qui fabriquaient l’information en annonçant qu’un changement s’était produit dans l’Eglise. C’est à travers la presse, la radio, la télévision que l’idéologie conciliaire a conditionné la réception du Concile dans les Eglise locales, ce qui montre que si l’Eglise était arrivée à se situer au-delà du pouvoir temporel, elle se trouvait en revanche en plein dans le circuit des moyens de communication de l’âge technologique. Ce sont eux qui ont produit le mythe du « Bon Pape Jean » et celui du Concile-révolution.
L’idéologie conciliaire s’est donc installée dans l’Eglise. Et les évêques, les prêtres, les laïcs, qui ne l’avaient nullement acceptée comme doctrine, l’ont acceptée comme fait. L’« avant » avait disparu, et il fallait désormais aller vers le « nouveau ». Ce climat aidant, au cours des premières années postconciliaires, on a assisté à une promotion unilatérale de la figure de l’évêque et de la figure du laïc, au détriment de celles jusque-là dominantes dans l’Eglise : le pape, le prêtre voué au célibat, le caractère spirituel et intérieur de la vie religieuse. Promotion unilatérale qui ne résultait pas en soi de la reconnaissance de la sacramentalité de l’épiscopat et de celle de la dignité du laïcat, mais qui procédait du fait que leur mise en valeur n’était nullement corrigée par une valorisation correspondante de la figure spirituelle du prêtre et de la signification contemplative et personnelle de la vie religieuse. L’idéologie conciliaire exigeait, de sa nature même, une praxis : on découvrit donc la pastorale comme praxis communautaire.