Revue de réflexion politique et religieuse.

Lec­tures : Feu la chré­tien­té bre­tonne ?

Article publié le 9 Déc 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

De la feiz hon tadou koz, la foi des Pères d’un can­tique célèbre en son temps, que reste-t-il en Bre­tagne ? Etu­diant la décom­po­si­tion des chré­tien­tés occi­den­tales entre 1950 et 2010 ((. Yvon Tran­vouez (dir.), La décom­po­si­tion des chré­tien­tés occi­den­tales 1950–2010, Centre de recherche bre­tonne et cel­tique, Brest, 2013, 400 pp., 23 €.))  et les reli­gions en Bre­tagne ((. Id. (dir.), Religion(s) en Bre­tagne aujourd’hui, Centre de recherche bre­tonne et celtique/Institut Cultu­rel de Bre­tagne, Brest /Vannes, 2014, 280 pp., 20 €.)) , deux ouvrages récents diri­gés par Y. Tran­vouez, pro­fes­seur émé­rite d’Histoire contem­po­raine à l’Université de Brest, s’intéressent, en par­tie, à la dis­pa­ri­tion de la reli­gion catho­lique comme élé­ment de struc­tu­ra­tion de la socié­té en Bre­tagne, ain­si qu’à la crise tra­ver­sée par l’Eglise catho­lique dans la région. Fait notable, cette crise ne pro­fite pas à d’autres confes­sions reli­gieuses, qui res­tent lar­ge­ment mino­ri­taires, en par­tie du fait de la faible attrac­ti­vi­té de la Bre­tagne pour les flux migra­toires : en revanche, 30 % des Bre­tons se disent aujourd’hui « sans reli­gion », encore que cette appel­la­tion puisse recou­vrir des rap­ports très dif­fé­rents au reli­gieux, de « l’automédication », en pas­sant par l’hostilité, jusqu’à l’indifférence pure et simple (p. 277) ((. Sauf indi­ca­tion contraire, les numé­ros de pages ren­voient au second volume cité.)) . Il est clair, en tous les cas, que le « pla­teau du confor­misme social » penche de moins en moins du côté du catho­li­cisme, dans une région qui a long­temps fait figure de bas­tion catho­lique ou de « chré­tien­té », selon l’acception don­née à ce mot par le cha­noine Bou­lard. Comme le rap­pelle Y. Tran­vouez, une chré­tien­té, pour le socio­logue des reli­gions, se carac­té­rise par l’assiduité aux offices, la fidé­li­té aux rites, le res­pect au moins affi­ché de la morale catho­lique et l’autorité recon­nue à un cler­gé nom­breux et visible. La baisse sou­vent spec­ta­cu­laire de ces indi­ca­teurs, en Bre­tagne, comme dans d’autres bas­tions étu­diés par les auteurs (Suisse romande, Qué­bec, Irlande, Bel­gique…), consti­tue l’indice de la décom­po­si­tion d’une « chré­tien­té », mais les auteurs n’entendent pas pour autant pro­phé­ti­ser la dis­pa­ri­tion com­plète du catho­li­cisme dans ces régions ((. Sur ce sujet, voir le volume La décom­po­si­tion des chré­tien­tés occi­den­tales, pp. 12 et 13.)) . Tou­te­fois, si leur enquête sur les catho­liques pra­ti­quants dans le dio­cèse de Quim­per s’est heur­tée au scep­ti­cisme et à l’absence d’intérêt de l’évêque du lieu (p. 13) c’est sans doute autant parce qu’il crai­gnait d’avoir à com­men­ter de mau­vais chiffres quant au nombre et à l’âge des fidèles régu­liers, le Finis­tère étant plus que les autres dépar­te­ments bre­tons tou­ché par la « décom­po­si­tion », que parce que la méthode pure­ment sta­tis­tique et exté­rieure adop­tée par les auteurs ne peut – et ne veut – rendre compte de cer­tains renou­veaux qua­li­ta­tifs, qui donnent pour­tant des rai­sons d’espérer.
Les deux volumes per­mettent, mal­gré tout, de faire le point sur la crise effec­ti­ve­ment visible de cette chré­tien­té par­ti­cu­lière qu’est la Bre­tagne, dou­blée d’une crise de l’Eglise, dont la sus­pense de l’évêque de Quim­per et Léon, inter­ve­nue en mai der­nier dans une optique de « paci­fi­ca­tion » du dio­cèse, est une des mani­fes­ta­tions les plus récentes. C’est au fond, à plus d’un titre, la faillite d’une géné­ra­tion, la géné­ra­tion conci­liaire. La démo­gra­phie clé­ri­cale locale est désor­mais catas­tro­phique. « Démo­gra­phi­que­ment par­lant, la qua­si dis­pa­ri­tion du cler­gé n’est pas qu’une hypo­thèse d’école » (p. 19). Les catho­liques bre­tons s’habituent déjà à la « pré­sence de prêtres étran­gers, venus des pays de l’Est, d’Afrique, de Mada­gas­car ou d’Haïti, pour pal­lier le défi­cit du recru­te­ment local » (p. 276). Mal­gré tout, le nombre de prêtres devrait conti­nuer à décroître et les laïcs à prendre une part crois­sante dans les acti­vi­tés ecclé­siales qui ne néces­sitent pas la consé­cra­tion, notam­ment la conduite des funé­railles. L’article de L. Laot consa­cré à la recon­fi­gu­ra­tion du per­son­nel dio­cé­sain attire tou­te­fois l’attention sur une pos­sible crise du laï­cat enga­gé et une pénu­rie inat­ten­due de bonnes volon­tés qui se fait sen­tir déjà ici et là (pp. 79–83). A tous ceux qui sont ten­tés de consi­dé­rer que le laïc est la relève natu­relle du « prêtre tri­den­tin », céli­ba­taire consa­cré, ces ouvrages don­ne­ront donc, peut-être mal­gré eux, de quoi réflé­chir. L’usage des rites catho­liques struc­tu­rant les moments-char­nières de la vie – bap­tême des nou­veaux-nés, mariage reli­gieux et funé­railles – accuse une baisse régu­lière. […]

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