Revue de réflexion politique et religieuse.

Gérard Genot : La fron­tière

Article publié le 8 Déc 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Ce roman a pour cadre la Tuni­sie, entre la fron­tière avec le Sud algé­rien et la région de Sousse, elle-même proche de la Libye, et place l’action entre les années 1930 et les len­de­mains de l’indépendance. Il est com­po­sé par tranches de vie, une suc­ces­sion de récits entre­croi­sés qui engendre des répé­ti­tions par­fois sur­pre­nantes et l’impression d’un col­lage de pièces éparses.
G. Genot témoigne d’une connais­sance per­son­nelle qu’explique son enfance pas­sée en Tuni­sie ; son pro­pos est émaillé d’expressions en arabe, et laisse per­cer la nos­tal­gie d’une socié­té mêlée, dont les restes sont aujourd’hui dis­per­sés. Il com­mence à la manière d’un roman d’aventures très attrayant – une traque aux tra­fi­quants d’armes – puis ralen­tit son rythme au risque de s’enliser. L’histoire est celle de quelques per­son­nages – un doua­nier, un gen­darme, un offi­cier igno­rant tout du pays, des fonc­tion­naires de basse police, des Arabes aux atti­tudes diverses, fiers et vin­di­ca­tifs, fidèles et sour­nois, enfin quelques aven­tu­riers au pas­sé opaque, hommes d’affaires et poli­ti­ciens… Plu­sieurs oppo­si­tions sont mises en avant, par exemple entre les Sici­liens ayant fait souche sur le sol tuni­sien et le métro­po­li­tain mépri­sant ou indif­fé­rent, dje­ba­li inadap­té à la ville et riche intri­guant au bras long. Quelques élé­ments consti­tuent une nou­velle pra­ti­que­ment auto­nome, tel le cha­pitre inti­tu­lé « Mau­dite soit la mer », qui relate un nau­frage. Après une par­tie cen­trale qui dévie vers le thril­ler assez pesant, le thème prin­ci­pal appa­raît, en fili­grane d’abord, pour consti­tuer l’objet cen­tral du livre : une ven­geance d’honneur exer­cée sur un mili­taire cari­ca­tu­ral à sou­hait, à qui l’auteur prête d’être venu d’Algérie avec une har­ka mas­sa­crer pour l’exemple vieillards, femmes et enfants. La com­pli­ca­tion du récit per­met des digres­sions inat­ten­dues, tel un concert à Constan­tine du célèbre inter­prète juif de musique ara­bo-anda­louse Ray­mond Ley­ris, dit « Cheikh Ray­mond », assas­si­né en 1961 par le FLN. G. Genot s’amuse à faire appa­raître des per­son­nages réels dans des situa­tions de fic­tion, Sal­va­tore Giu­lia­no (le chef de bande sici­lien auquel un film de Fran­ces­co Rosi a été consa­cré), ou encore l’écrivain Euge­nio Cor­ti – dont il a tra­duit plu­sieurs livres… Mal­heu­reu­se­ment la pro­messe d’éviter les sté­réo­types n’est pas tou­jours tenue, notam­ment à pro­pos de la der­nière période de l’Algérie fran­çaise. C’est dom­mage, l’intention sous-jacente de l’auteur étant jus­te­ment de sur­mon­ter toute « fron­tière » arbi­traire, dans une ligne qui le rap­pro­che­rait d’Albert Camus ou, mieux, de Jean Brune.

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