Revue de réflexion politique et religieuse.

Qué­bec : l’achèvement d’un cycle ?

Article publié le 18 Nov 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Les accom­mo­de­ments rai­son­nables incarnent-ils l’achèvement du modèle prô­né par le libé­ra­lisme catho­lique ? L’homme, le citoyen qu’ils pro­meuvent n’est-il pas fina­le­ment l’archétype du modèle catho­lique pro­mu depuis tant d’années par le pro­gres­sisme démo­crate-chré­tien au sein même de l’Eglise ? Notion d’abord juri­dique pro­ve­nant du Qué­bec, les accom­mo­de­ments rai­son­nables ont connu une évo­lu­tion rela­ti­ve­ment récente au sein de la Belle Pro­vince en rai­son de la confron­ta­tion à laquelle ils ont don­né lieu entre le groupe (encore) majo­ri­taire d’ascendance cana­dienne-fran­çaise et les reven­di­ca­tions des groupes mino­ri­taires d’essence prin­ci­pa­le­ment reli­gieuse, véri­tables « chocs entre la culture d’accueil et cer­taines cultures immi­grantes » ((. Com­mune d’Hérouxville (Mau­ri­cie), Normes de vie (rédac­teur André Drouin), 25 jan­vier 2007.)).
A l’origine des accom­mo­de­ments rai­son­nables, on trouve les chartes qué­bé­coise et cana­dienne garan­tis­sant aux citoyens une pro­tec­tion contre une exclu­sion et une dis­cri­mi­na­tion basées sur « l’origine natio­nale ou eth­nique, la reli­gion, le sexe, l’orientation sexuelle, etc. » ; en réa­li­té, et mal­gré de nom­breuses déné­ga­tions poli­ti­que­ment cor­rectes, le débat est qua­si uni­que­ment cen­tré sur le plu­ra­lisme reli­gieux et les nom­breuses demandes assez vin­di­ca­tives des com­mu­nau­tés musul­manes à béné­fi­cier des exemp­tions à la règle com­mune. L’accommodement rai­son­nable est une consé­quence du droit à l’égalité et il peut être ain­si décrit selon l’association Edu­ca­loi : « Il arrive qu’une règle appa­rem­ment neutre crée indi­rec­te­ment des effets dis­cri­mi­na­toires […]. Lorsqu’une carac­té­ris­tique propre à une per­sonne l’empêche d’avoir accès aux mêmes avan­tages que la majo­ri­té, le prin­cipe de l’accommodement rai­son­nable veut que l’on cor­rige le tir en accom­mo­dant la per­sonne, afin de lui per­mettre de ne pas être exclue. L’accommodement rai­son­nable crée donc une norme dif­fé­rente pour une per­sonne sans pour autant péna­li­ser le reste du groupe ». Pour la Com­mis­sion de consul­ta­tion sur les pra­tiques d’accommodement reliées aux dif­fé­rences cultu­relles ((. Com­mis­sion de consul­ta­tion sur les pra­tiques d’accommodement reliées aux dif­fé­rences cultu­relles, rap­port final inté­gral, 22 mai 2008.)) , « la concep­tion clas­sique de l’égalité, fon­dée sur le prin­cipe du trai­te­ment uni­forme, a fait place à une autre concep­tion plus atten­tive aux dif­fé­rences. Peu à peu, le droit a été ame­né à recon­naître que la règle de l’égalité com­mande par­fois des trai­te­ments dif­fé­ren­ciés. C’est cette concep­tion que reflète la dis­po­si­tion juri­dique qu’on appelle l’accommodement rai­son­nable ».
L’histoire sociale du Qué­bec est tout à fait inté­res­sante en ce qu’elle semble incar­ner, en accé­lé­ré, l’évolution géné­rale du libé­ra­lisme et du pro­gres­sisme catho­liques. Nous assis­tons main­te­nant à ce qui appa­raît comme un terme logique et ter­rible de ce « débat per­ma­nent » ins­tau­ré par les idéo­lo­gies évo­lu­tion­niste et pro­gres­siste par­ta­gées dans une bonne par­tie de l’Eglise.
Authen­tique « espace de chré­tien­té », le Qué­bec aura connu une muta­tion socio­lo­gique forte de l’entre-deux-guerres aux années soixante les­quelles sanc­tion­ne­ront ce pro­ces­sus par la « Révo­lu­tion tran­quille » ((. Cf. l’ouvrage très ins­truc­tif de Michael Gau­vreau, Les Ori­gines catho­liques de la Révo­lu­tion tran­quille, Fides, Mont­réal, 2008 et notre recen­sion : « Nou­veau regard sur la Révo­lu­tion tran­quille qué­bé­coise », Catho­li­ca, n. 102, Hiver 2008–2009, pp. 92 ss.)) . Celle-ci avait bien pour ori­gine, et ce, dès l’entre-deux-guerres, de mul­tiples ini­tia­tives au coeur même de l’Eglise du Cana­da fran­çais. De nom­breux groupes, essen­tiel­le­ment des mou­ve­ments de jeu­nesse catho­lique comme l’Action catho­lique elle-même, vont agir dans le cours de la trans­for­ma­tion de la socié­té en créant de nou­velles brèches, en pesant de tout leur poids sur la nature révo­lu­tion­naire du pro­ces­sus de diver­si­fi­ca­tion idéo­lo­gique. Nous notions pré­cé­dem­ment que pour un cer­tain cler­gé pro­gres­siste, la révo­lu­tion des cadres concep­tuels tra­di­tion­nels par la Révo­lu­tion tran­quille était une expres­sion de la force de l’influence et de l’assise de l’Eglise dans la socié­té, alors même qu’elles étaient tout près de bru­ta­le­ment s’effondrer. Il en résul­te­ra une déchris­tia­ni­sa­tion radi­cale, une rapide décon­fes­sion­na­li­sa­tion au pro­fit d’un natio­na­lisme laïque, dont le « fon­de­ment et l’unité ne rele­vaient plus d’une croyance reli­gieuse com­mune, mais de l’économie, de la langue et du pou­voir de l’Etat » ((. Richard Bas­tien, « Notes de lec­ture », Egards [Mont­réal], n. 21, automne 2008, pp. 84–91.)) , lequel mar­gi­na­li­sa en très peu d’années le rôle social et cultu­rel du catho­li­cisme au sein de la socié­té. Le contexte de l’imposition de la rela­ti­ve­ment récente laï­ci­té qué­bé­coise n’était donc pas com­pa­rable à celui de la laï­ci­té fran­çaise et gar­dait sa par­ti­cu­la­ri­té d’être en appa­rence moins radi­cale, et issue de l’évolution de l’Eglise elle-même en débat per­ma­nent dans sa recherche opti­miste, uto­pique, d’une adap­ta­tion au « monde moderne ». Or, il s’agit bien de cela avec les accom­mo­de­ments rai­son­nables : ce que Lumières et Révo­lu­tion avaient arra­ché de la socié­té fran­çaise en plus de deux siècles de com­bat fron­tal contre l’Eglise, le volon­ta­risme du plu­ra­lisme et du dia­logue inter-reli­gieux au sein de l’Eglise l’a acquis au Qué­bec en moins de cin­quante années de rela­ti­visme cultu­rel et dia­lec­tique. […]

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