Revue de réflexion politique et religieuse.

Les per­plexi­tés de Karl Barth

Article publié le 29 Oct 2011 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Le grand théo­lo­gien pro­tes­tant Karl Barth n’avait pu se rendre aux deux der­nières ses­sions du Concile Vati­can II, aux­quelles il avait été invi­té en qua­li­té d’observateur ; sa san­té d’alors ne le lui avait pas per­mis. Il fit la demande, en 1966, d’être reçu à Rome ; la réponse du Secré­ta­riat pour l’unité des chré­tiens fut posi­tive. Il orga­ni­sa son séjour et des ren­contres avec diverses per­son­na­li­tés ou ins­ti­tu­tions, dont une entre­vue avec Paul VI. Ce fut à cette occa­sion qu’il rédi­gea un cer­tain nombre de ques­tions sur les quatre consti­tu­tions et trois des neuf décrets du cor­pus conci­liaire ; après les avoir sou­mises par oral à ceux qu’il ren­con­tra, Karl Barth tint, dans les mois qui sui­virent, à les publier ((. Karl Barth, Entre­tiens à Rome après le concile [1967], trad franc. Dela­chaux et Niest­lé, Neu­châ­tel, 1968, 67 p.)) .
Avec un retard qu’il regrette, Mgr Ghe­rar­di­ni, dans un ouvrage récent ((. Bru­ne­ro Ghe­rar­di­ni, A doman­da ris­ponde. In dia­lo­go con Karl barth sulle sue « Domande a Roma », Casa Maria­na Edi­trice, Fri­gen­to, mai 2011, 20 €.)) , exhume ce docu­ment assez oublié, en s’acquittant de la tâche – sinon du devoir, envers celui qu’il connut et dont la théo­lo­gie l’impressionna tant – d’y répondre.
Karl Barth s’était, à demi-mots, sinon plaint, du moins éton­né du peu d’intérêt que l’on mani­fes­tait envers le regard qu’il por­tait sur le cor­pus et en quelque manière l’esprit du Concile. Peut-être jus­te­ment parce qu’à tra­vers l’étude des textes, il poin­tait un esprit, et qu’il le fai­sait avec une cer­taine amer­tume, une décep­tion et une inquié­tude à peine dis­si­mu­lées. Il faut dire que le théo­lo­gien suisse avait pla­cé de grands espoirs dans l’oeuvre conci­liaire en son com­men­ce­ment : à l’encontre de nombre de pro­tes­tants pour qui l’enjeu majeur consis­tait dans le déve­lop­pe­ment de rela­tions entre confes­sions chré­tiennes, son inté­rêt se por­tait plus vers ce qu’il inter­pré­tait comme un mou­ve­ment de réforme évan­gé­lique à l’intérieur de l’Eglise catho­lique.
Non que celle-ci fût en passe de deve­nir « évan­gé­lique » au sens pro­tes­tant du terme, mais il pen­sait voir, depuis le tra­vail de cer­tains théo­lo­giens jusqu’à la pro­ces­sion de l’évangéliaire dans l’assemblée conci­liaire, un renou­veau sus­ci­té par le Saint-Esprit, renou­veau tant dans la fidé­li­té à l’évangile que dans un témoi­gnage vigou­reux à la face du monde, ce dont les com­mu­nau­tés pro­tes­tantes se mon­traient alors, selon lui, inca­pables ((. Karl Barth, Réflexions sur le deuxième Concile du Vati­can, juillet 1963, trad. franc. coll. « Les cahiers du renou­veau » n. 24, Labor et Fides, Genève, octobre 1963, 30 p)) .
Mgr Ghe­rar­di­ni, tout en répon­dant suc­ces­si­ve­ment à cha­cune des ques­tions posées, met bien en évi­dence que l’interrogation ultime de Karl Barth à la fin du Concile était jus­te­ment celle de ce renou­veau. Plus spé­ci­fi­que­ment encore, le théo­lo­gien réfor­mé s’interrogeait sur les cri­tères de ce renou­veau : « la majo­ri­té “pro­gres­siste” du Concile » ne repro­dui­sait-elle pas « les erreurs déplo­rables com­mises par le pro­tes­tan­tisme moderne » ((. K. Barth, Entre­tiens à Rome, p. 22.))  ? Un tel pres­sen­ti­ment, ou juge­ment, nais­sait en lui de ce que le « centre de gra­vi­té » de l’assemblée ne lui appa­rais­sait pas clai­re­ment, de ce que l’ensemble des textes était tra­ver­sé par deux dyna­miques incon­ci­liables : celle d’un renou­veau « à la lumière de la Révé­la­tion » – qui avait fait son espoir pre­mier – et celle d’un chan­ge­ment « à la lumière du monde moderne » ((. Ibid., p. 21.))  – que main­te­nant il voyait s’imposer. […]

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