Revue de réflexion politique et religieuse.

Démo­cra­ti­sa­tion et gou­ver­nance mon­diale

Article publié le 29 Oct 2011 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Reçu au début du mois de mai der­nier par le ministre des Affaires étran­gères Alain Jup­pé, l’archevêque syriaque de Bag­dad lui rap­pe­lait (ou appre­nait ?) que la démo­cra­tie ne pou­vait être impo­sée de l’extérieur à un pays. Bien enten­du, le ministre n’a pas dû com­prendre cette remarque, fort dépla­cée dans le contexte de la guerre en Libye dont il se veut le bou­te­feu ; il est à la tête de ceux qui veulent pré­ci­sé­ment impo­ser la démo­cra­tie aux pays du monde arabe, sauf aux monar­chies pétro­lières, ras­su­rons-nous  ; et acces­soi­re­ment à d’autres, en Afrique et en Asie, où elle est trop mal appli­quée. Aus­si, avec ceux qui par­tagent son objec­tif mis­sion­naire et les intel­lec­tuels char­gés de leur appor­ter leur cau­tion, comme l’inévitable BHL, il n’a vou­lu voir dans « le réveil arabe » de l’hiver 2010–2011 que l’appel des peuples à une démo­cra­tie véri­table, donc néces­sai­re­ment dés­is­la­mi­sée. Enten­dons par-là que ces soi-disant démo­crates musul­mans, reçus avec hon­neurs à l’Elysée ou au Quai d’Orsay, accep­te­raient de mettre en pra­tique l’égalité réelle entre croyants et non-croyants, de consi­dé­rer la Loi comme « l’expression de la volon­té géné­rale » et non plus le reflet de la Loi d’Allah trans­mise par Maho­met (la cha­ria), de res­pec­ter toutes les opi­nions, toutes les croyances et le droit d’en chan­ger. Beau pro­gramme, que les soi-disant chefs des « rebelles » vain­queurs, ou obs­ti­nés à le deve­nir, se sont bien gar­dés de pro­cla­mer. Mais, pour « le meilleur d’entre nous », comme disait le pré­sident Chi­rac (ce qui, peut-être, est une recon­nais­sance bou­le­ver­sante et volon­tai­re­ment igno­rée du niveau géné­ral de la classe poli­tique fran­çaise), aucun doute n’est per­mis : la démo­cra­tie libé­rale va s’imposer par­tout où cela est sou­hai­table. Pour­quoi ? Non plus parce que ce serait la « loi de l’Histoire », comme disaient ses pré­dé­ces­seurs mar­xistes ou pro­gres­sistes ; mais parce que la Gou­ver­nance mon­diale le sait, le dit et est prête à faire la guerre pour que cette mis­sion soit accom­plie.
Comme la vision mar­xiste, cette vision néo­li­bé­rale est tota­le­ment réduc­trice ; elle ne voit, et ne veut voir dans les révo­lu­tions en cours, spon­ta­nées ou non, que des reven­di­ca­tions poli­tiques de liber­té, et dans la répres­sion des insur­rec­tions que la volon­té des diri­geants, cou­pables de crimes « contre l’humanité », de « mas­sa­crer leur peuple ». Or ces révo­lu­tions, d’ampleur d’ailleurs variable, ont aus­si bien d’autres motifs, dans des pro­por­tions éga­le­ment variables : ne voir qu’une seule cause et un seul objec­tif dans les émeutes ou mani­fes­ta­tions de Mana­ma, Casa­blan­ca, Hama, Tunis ou Ben­gha­zi, comme au Caire, est absurde. On peut, tout au plus, y dis­tin­guer des points com­muns et, géné­ra­le­ment peu contes­tables. Plus uni­forme est la cause de cette céci­té : c’est la volon­té d’imposer, au nom de la Gou­ver­nance mon­diale, une nou­velle valeur uni­ver­selle, même par la force mili­taire deve­nue un ins­tru­ment de libé­ra­tion irrem­pla­çable. […]

-->