Revue de réflexion politique et religieuse.

Espagne : impacts poli­tiques du Concile

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

[Note : Rafael Gam­bra est pro­fes­seur émé­rite de phi­lo­so­phie à l’Université de Madrid et l’auteur de nom­breux ouvrages, et notam­ment de El silen­cio de Dios (( 4e édi­tion, Cri­te­rio Libros, Madrid, 1998.)) , dont une tra­duc­tion fran­çaise paraî­tra pro­chai­ne­ment en Suisse. Nous l’avons inter­ro­gé sur l’évolution reli­gieuse de l’Espagne de ces qua­rante der­nières années. Cet article est paru dans Catho­li­ca n. 66]

CATHOLICA — Le chan­ge­ment de cap consé­cu­tif à l’adoption de la décla­ra­tion sur la liber­té reli­gieuse de Vati­can II a été par­ti­cu­liè­re­ment signi­fi­ca­tif en Espagne. Com­ment se pré­sen­ta la ques­tion ?

RAFAEL GAMBRA — L’apport de l’épiscopat espa­gnol à l’opposition sou­le­vée par la décla­ra­tion sur la liber­té reli­gieuse de Vati­can II a été mince et peu effi­cace. Les repré­sen­tants espa­gnols ont été désem­pa­rés et pris de court. Il n’y avait pas si long­temps (en 1953) que le Saint-Siège avait signé avec l’Etat espa­gnol un Concor­dat grâce auquel l’Eglise assu­rait vigou­reu­se­ment les droits à l’unité reli­gieuse, à la confes­sion­na­li­té de l’Etat et à celle de l’enseignement, en s’opposant à toute forme de droit à la liber­té publique des cultes et aux lois laï­cistes. Tout s’était fait selon ce qu’elle avait sou­hai­té et à la satis­fac­tion de l’Etat au point que Rome a pu dire qu’aucun concor­dat ne lui avait été aus­si favo­rable.
Mais voi­là que, dix ans plus tard, la même Eglise exi­geait la liber­té de culte et la laï­ci­sa­tion de l’Etat. Stu­pé­faits, les pré­lats espa­gnols se sont plus ou moins ren­du compte qu’il s’agissait de sacri­fier l’unité juri­di­co-reli­gieuse de l’Espagne en échange de la récon­ci­lia­tion de l’Eglise avec la démo­cra­tie domi­nante de l’après-guerre, dans la fou­lée d’un œcu­mé­nisme unio­niste. La pré­émi­nence d’une majo­ri­té conci­liaire habi­le­ment mani­pu­lée, et sur­tout la conscience que le Pape cau­tion­nait les nova­teurs, ont pro­ba­ble­ment ache­vé de les démo­ra­li­ser. On peut noter l’opposition exer­cée par Mgr Plá y Daniel, pri­mat d’Espagne, par le car­di­nal Qui­ro­ga Pala­cios, arche­vêque de Saint-Jacques de Com­pos­telle, par Mgr Gonzá­lez Martín, alors évêque d’Astorga et par Mgr Guer­ra Cam­pos, évêque de Cuen­ca.

Après le Concile et jusqu’à la mort de Fran­co, on a assis­té au « bras de fer » entre Paul VI et le régime espa­gnol. Il semble qu’il se soit cris­tal­li­sé sur la nomi­na­tion des évêques. Pou­vez-vous nous expli­quer ce qu’il en fut ? L’homme de cette poli­tique a été le nonce Dada­glio. Quel a été le jeu de l’ambassadeur au Vati­can, Gar­rigues ?

Après le Concile, l’une des pre­mières entre­prises de Paul VI a été de sup­pri­mer au plus vite la situa­tion d’exception de la « catho­lique Espagne ». On a expli­qué cette déter­mi­na­tion du Pon­tife par des rai­sons per­son­nelles : sa ten­dance pro­fon­dé­ment libé­rale, le fait que l’un de ses frères avait lut­té durant la guerre d’Espagne chez les Rouges, à l’époque où les églises et le cler­gé de leur zone étaient dévas­tés par la haine mar­xiste. (On ne sait d’ailleurs pas si ce frère est mort ou non durant la guerre.) La vraie moti­va­tion du pape Mon­ti­ni était en fait plus poli­tique que per­son­nelle : il s’agissait de « s’ouvrir au monde moderne et à la démo­cra­tie uni­ver­selle » en aban­don­nant, comme signe de bonne volon­té, le sta­tut reli­gieux de l’Espagne.
A cet effet, il a envoyé en Espagne le nonce Dada­glio avec mis­sion de pour­voir les sièges épis­co­paux vacants en ouvrant des négo­cia­tions pas tou­jours très faciles avec le gou­ver­ne­ment espa­gnol, le droit de pré­sen­ta­tion des évêques étant réser­vé par le concor­dat au chef de l’Etat. Mgr Dada­glio semble avoir usé d’un double stra­ta­gème. Il a com­men­cé par sol­li­ci­ter du gou­ver­ne­ment une longue liste d’épiscopables. Cette liste lui a per­mis de connaître ceux qu’il écar­te­rait du fait de leur sup­po­sée posi­tion favo­rable au régime. Il deman­da une seconde liste et il y choi­sit quelques noms pour rem­plir quelques sièges vacants, mais en même temps, il dési­gna des « évêques auxi­liaires » avec droit de suc­ces­sion pour la plu­part des dio­cèses, inno­va­tion qui ne rele­vait pas du droit de pré­sen­ta­tion de l’Etat. Il créa ain­si une majo­ri­té épis­co­pale pro­gres­siste, neutre ou ouver­te­ment hos­tile au régime fran­quiste, lequel était déjà sur le déclin.
C’est pen­dant la période cor­res­pon­dant à son man­dat que les sémi­naires et les mai­sons reli­gieuses se vidèrent, et on peut dire qu’en trente ans l’Espagne s’est déchris­tia­ni­sée, au moins en ce qui concerne les jeunes géné­ra­tions et celles d’âge moyen. Dans le monde poli­tique, au cours de cette tran­si­tion reli­gieuse, on peut signa­ler comme per­son­na­li­tés mar­quantes : le ministre de la Jus­tice, Anto­nio Oriol (dont dépen­daient les affaires ecclé­sias­tiques) et l’ambassadeur près le Vati­can, Gar­rigues. Mais l’un et l’autre ont seule­ment cher­ché à accor­der la mise en œuvre des exi­gences de la nou­velle liber­té reli­gieuse avec le concor­dat tou­jours en vigueur.

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