Revue de réflexion politique et religieuse.

En écho

Article publié le 8 Août 2019 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Nous avons reçu et tra­duit la cor­res­pon­dance sui­vante, à la suite de la publi­ca­tion dans notre pré­cé­dent numé­ro (143, prin­temps 2019) de la recen­sion, par Phi­lippe de Labriolle, du livre de Claude Jean­tin L’immaturite devant le droit matri­mo­nial de l’Eglise. L’auteur de cette cor­res­pon­dance, Luis María de Ruschi, est expert juri­dique au minis­tère des Rela­tions exté­rieures argen­tin, et membre du tri­bu­nal inter­dio­cé­sain de Bue­nos Aires.

Cette recen­sion m’est appa­rue très sérieuse, impres­sion ren­for­cée par la condi­tion de méde­cin psy­chiatre de son auteur. J’en induis qu’il en va de même de l’œuvre. L’un des points prin­ci­paux en est le rejet du cri­tère de l’immaturité. Il est vrai que la rédac­tion des numé­ros 2 et 3 du canon 1095 du code de droit cano­nique (CIC) de 1983 ne ren­voient pas néces­sai­re­ment à l’immaturité, dans la mesure où le can. 1095.2 évoque la dis­cré­tion du juge­ment, concept qu’utilisent déjà saint Tho­mas d’Aquin (comme syno­nyme de rai­son), et Sán­chez, le grand cano­niste espa­gnol du XVIe siècle. Ces deux auteurs réfèrent la dis­cré­tion du juge­ment à l’objet de l’acte juri­dique du mariage, Sán­chez la jugeant suf­fi­sante pour pécher mor­tel­le­ment, tan­dis que l’Aquinate paraît exi­ger un degré d’attention plus éle­vé à la nature du mariage et la gra­vi­té des obli­ga­tions qu’il implique. D’autre part, l’incapacité selon les termes du canon 1095.3 a com­men­cé à appa­raître dans la juris­pru­dence de la Rote romaine sous l’espèce de ce qui est appe­lé insa­nia in re uxo­ria (homo­sexua­li­té). Autre­ment dit, la juris­pru­dence en est venue à admettre la pos­si­bi­li­té de conclu­sion de mariages nuls pour d’autres motifs que la l’absence abso­lue d’usage de la rai­son, actuel­le­ment rete­nue au can. 1095.1.

D’autre part, il est incon­tes­table que le can. 1095 a été la porte ouverte par laquelle le divorce est entré dans l’Église, et que les tri­bu­naux ecclé­sias­tiques portent ain­si sur leurs épaules de très graves res­pon­sa­bi­li­tés. Il suf­fit de par­cou­rir n’importe quelle sta­tis­tique rela­tive à l’activité judi­ciaire actuelle des tri­bu­naux ecclé­sias­tiques pour consta­ter que la plus grande par­tie des causes jugées ces der­nières décen­nies l’ont été pour ces motifs.La recen­sion de Phi­lippe de Labriolle apporte des élé­ments inté­res­sants cen­trés sur le concept d’immaturité, ses apo­ries essen­tielles, les impli­ca­tions du péché ori­gi­nel et du péché actuel dans la vie des hommes, et sur les dif­fi­cul­tés scien­ti­fiques pour déter­mi­ner ce qu’est l’immaturité d’une per­sonne. D’autre part, le jus connu­bii, d’ordre natu­rel et donc vou­lu par Dieu, ne peut se limi­ter de manière exces­sive en éta­blis­sant des exi­gences par ailleurs impos­sibles à déter­mi­ner pour contrac­ter un mariage devant l’Église, ce qui est obli­ga­toire à peine de nul­li­té (et de péché mor­tel dans l’ordre moral) pour les fidèles chré­tiens, ce qui, d’autre part, revien­drait à consé­cra­tion l’idée du mariage chré­tien comme idéal à atteindre, ce qui est clai­re­ment contraire à ce que Dieu a vou­lu dès le com­men­ce­ment (cf. p. 46).

Un autre point inté­res­sant est l’absence d’application des mesures prises par Jean-Paul II et par Benoît XVI pour essayer au moins de frei­ner cette acti­vi­té juris­pru­den­tielle scan­da­leuse. C’est non seule­ment le cas des aver­tis­se­ments répé­tés au cours des dis­cours suc­ces­sifs à la Rote romaine, à l’occasion de l’ouverture des années judi­ciaires, mais aus­si de la réforme des études cano­niques lan­cée sous l’impulsion du car­di­nal Gro­cho­lews­ki, qui attri­buait cette dérive doc­tri­nale et juris­pru­den­tielle, entre autres, à l’insuffisante for­ma­tion des inter­ve­nants dans les tri­bu­naux ecclésiastiques.Enfin une pro­po­si­tion de Jean­tin m’est appa­rue très inté­res­sante : celle concer­nant la révi­sion du concept de « cause de nature psy­chique », et la confor­mi­té entre for interne et for externe, qui, si elle ne semble pas avoir été l’objet de son livre, est cepen­dant abor­dée à pro­pos des exclu­sions et de l’erreur déter­mi­nante.

Ce point m’a rap­pe­lé le tra­vail qu’avait réa­li­sé Vit­to­rio Bar­to­cet­ti, grand expert en droit cano­nique au sein d’une com­mis­sion créée par Pie XI, alors pré­si­dée par le car­di­nal Jorio, qui avait éla­bo­ré un pro­jet dans lequel on éli­mi­nait les motifs de simu­la­tion et de mariage sous condi­tion, et où l’on éta­blis­sait une conva­li­da­tion ipso jure au-delà d’une cer­taine période de vie com­mune paci­fique entre époux sans mettre en cause la vali­di­té du mariage pour les motifs de simu­la­tion, de condi­tion, d’erreur et de crainte, ces normes res­tant appli­cables pour les mariages anté­rieu­re­ment célé­brés. Il est clair que l’intention était de rendre stable le lien matri­mo­nial et d’éviter les demandes abu­sives en décla­ra­tion de nullité.La dis­pu­ta­tio qu’introduit l’auteur sur ces sujets, et sur laquelle s’achève la recen­sion de Phi­lippe de Labriolle (p. 51), me paraît tout à fait salu­taire et sou­hai­table. Tour cela m’incite fina­le­ment à lire l’ouvrage lui-même de Claude Jean­tin !

 

 

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