Revue de réflexion politique et religieuse.

Rober­to de Mat­tei : Il Ral­lie­ment di Leone XIII. Il fal­li­men­to di un pro­get­to pas­to­rale

Article publié le 25 Juin 2015 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Le Ral­lie­ment ne s’est pas limi­té à la consigne don­née dans l’encyclique Au milieu des sol­li­ci­tudes (16 février 1892), pous­sant les catho­liques fran­çais à entrer dans la Répu­blique afin d’en rec­ti­fier le cours. Il fut, comme le sous-titre de ce livre l’indique, un « pro­jet pas­to­ral » d’ampleur plus vaste, non limi­té à la France même si c’est elle qui en connut l’échec le plus immé­dia­te­ment cui­sant. R. de Mat­tei situe l’opération entre 1878 et 1903, mais elle a éten­du bien au-delà ses effets à toute l’époque contem­po­raine, dans la mesure où cette poli­tique aux aspects mul­tiples a trou­vé son uni­té dans la recherche d’un moyen de sur­mon­ter le conflit avec la moder­ni­té. Ce tra­vail de l’historien ita­lien est très esti­mable, notam­ment par le fait d’accorder une large place au contexte poli­tique, ce qui per­met d’entrer dans la psy­cho­lo­gie des dif­fé­rents acteurs catho­liques depuis l’époque du Second Empire. On appré­cie la consul­ta­tion de très nom­breuses sources, ain­si que la cin­quan­taine de pages de docu­ments annexés. Le cha­pitre V, sur « le dio­cèse de la libre pen­sée » et « la répu­blique du Grand Orient », a assu­ré­ment une fonc­tion clé du point de vue des don­nées fran­çaises, tan­dis que les sui­vants pré­sentent les acteurs du par­ti de la conci­lia­tion, héri­tiers de Lamen­nais ou Maret, par­ti­sans d’une hypo­thé­tique troi­sième voie dont Lavi­ge­rie fut le plus repré­sen­ta­tif par­ti­san, avant d’être le pre­mier à lan­cer l’opération du Ral­lie­ment. Un second volet s’élargit à la poli­tique pon­ti­fi­cale et ses rap­ports avec l’Italie en proie à une hos­ti­li­té agres­sive des milieux ayant mili­té pour l’unité, mais aus­si avec les autres puis­sances euro­péennes, notam­ment la Prusse bis­mar­ckienne. L’année 1888 appa­raît comme un apo­gée de la force morale de Léon XIII, avec la célé­bra­tion gran­diose du cin­quan­te­naire de son ordi­na­tion sacer­do­tale et la publi­ca­tion de l’encyclique Liber­tas, véri­table syn­thèse anti­li­bé­rale. En même temps R. de Mat­tei retient qu’il s’agit aus­si de l’amorce d’un tour­nant, ins­pi­ré par la recherche concrète d’un modus viven­di avec la Répu­blique, en l’absence d’autre pro­jet immé­dia­te­ment cré­dible, en rai­son de la grande fai­blesse des monar­chistes. Quant aux catho­liques libé­raux de l’époque, R. de Mat­tei note qu’ils n’étaient pas tant adhé­rents aux thèses du libé­ra­lisme phi­lo­so­phique que sen­sibles à l’idée que, poli­ti­que­ment, tout retour à un ordre de chré­tien­té rele­vait de l’utopie. Après l’échec patent du Ral­lie­ment appa­raî­tra une nou­velle géné­ra­tion de libé­raux-catho­liques venant gom­mer cette dis­tinc­tion : les abbés démo­crates, la pro­pa­ga­tion de l’américanisme, le Sillon. Autre consé­quence, peut-être plus lourde encore que l’émergence de ce foyer « moder­niste social », le ren­for­ce­ment du grand par­ti des « modé­rés », ce « tiers par­ti for­mé par ces théo­lo­giens, phi­lo­sophes et exé­gètes qui n’osèrent pas s’opposer aux nova­teurs mais, par crainte de pas­ser pour « rétro­grades », com­men­cèrent à consen­tir à toutes les conces­sions com­pa­tibles avec la stricte ortho­doxie » (p. 292) avant de pas­ser aux fal­si­fi­ca­tions plus sen­ties. On pour­ra dis­cu­ter l’affirmation de Charles T’Serclaes, que l’auteur paraît reprendre à son compte, selon laquelle Léon XIII avait le pro­jet de récon­ci­lier l’Eglise et le monde moderne, ce qui ferait de lui le loin­tain ins­pi­ra­teur de Vati­can II. Son inten­tion n’était-elle pas plu­tôt de pous­ser les catho­liques à pra­ti­quer une ten­ta­tive de conquête légale en vue de quelque révo­lu­tion natio­nale avant la lettre ? Quoi qu’il en soit, ce fut un piège, pro­ba­ble­ment en rai­son du manque de but clair et d’unité entre les acteurs.

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