Revue de réflexion politique et religieuse.

Le défi de l’éthique face aux bio­tech­no­lo­gies

Article publié le 4 Avr 2009 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Par contraste, la morale, bien sus­pec­tée aujourd’hui, parce que iden­ti­fiée his­to­ri­que­ment dans notre mémoire col­lec­tive avec un cer­tain stade de l’histoire des mœurs, par­ti­cu­liè­re­ment celui de la mon­tée en Europe du puri­ta­nisme bour­geois, implique qu’une com­mu­nau­té humaine se rap­porte à un ensemble de valeurs objec­ti­vables à tra­vers les­quelles elle peut affron­ter, en tant que com­mu­nau­té, son propre deve­nir : défendre sa patrie mena­cée comme pro­té­ger ses enfants ont tou­jours pas­sé pour des valeurs sociales irré­duc­tibles, sans les­quelles il n’existe plus que des indi­vi­dus par­ti­cu­liers mus par leurs inté­rêts pri­vés. Certes l’éthique sub­jec­tive n’a pas sup­plan­té, mal­gré les appa­rences, la morale, dans les ques­tions qui touchent à l’être-ensemble des hommes. Encore fau­drait-il remar­quer que cette morale — actuel­le­ment énon­cée à tra­vers, par exemple, l’équivoque notion des droits de l’homme qui sont cen­sés être des valeurs incon­di­tion­nelles d’un Etat et d’une nation, — demeure sou­vent une morale néga­tive, qui à l’aide de la régu­la­tion juri­dique pose essen­tiel­le­ment des garde-fous : tout ce qui n’est pas expres­sé­ment inter­dit est per­mis. Et pré­ci­sé­ment, sous cet angle, les Etats modernes visent à inter­dire le mini­mum de pra­tiques médi­cales ! Toute la ques­tion, déli­cate et intem­pes­tive, est alors de savoir, si au tour­nant où nous sommes des tech­niques d’instrumentalisation de la vie, nos socié­tés ne doivent pas prendre conscience que leur sur­vie bio­lo­gique, cultu­relle et spi­ri­tuelle passe par la recherche d’une morale qui pose des valeurs obli­ga­toires pour toutes les consciences au-delà des simples régu­la­tions juri­diques ponc­tuelles ? Et de manière plus déci­sive encore, toute la ques­tion est de savoir si l’éthique de res­pon­sa­bi­li­té, qui consacre l’avènement d’une liber­té indi­vi­duelle et dont on tend à consi­dé­rer qu’elle est supé­rieure à toute éthique de convic­tion, ne pour­rait pas être éle­vée vers son accom­plis­se­ment plé­nier là où elle ren­con­tre­rait, comme hori­zon, une morale de la vie et de la mort, enfin libé­rée de ses contours flous et timo­rés ?
Reste alors à se poser la ques­tion cru­ciale par excel­lence des condi­tions de for­mu­la­tion d’une telle morale. Peut-on réel­le­ment sor­tir des dis­cours de juris­pru­dence et de casuis­tique qui semblent faire aujourd’hui le quo­ti­dien de l’éthique médi­cale ? Où en sommes-nous aujourd’hui ? Quelles sont les voies explo­rées, à par­tir des­quelles une morale pour­rait trou­ver à nou­veau des condi­tions d’énonciation ?
Sous la plu­ra­li­té contra­dic­toire des dis­cours il semble bien que deux axes de pro­po­si­tions ((  Voir à ce sujet l’étude de Anne Fagot et Gene­viève Delai­si « Les droits de l’embryon (fœtus) humain et la notion de per­sonne humaine » dans Revue de Méta­phy­sique et de Morale, 1987, n. 3.))  émergent aujourd’hui des dis­cus­sions sur l’éthique médi­cale, qui sont pour­tant loin d’être exemptes de dif­fi­cul­tés :
La pre­mière se rap­pro­che­rait d’une morale posi­ti­viste et prag­ma­tique, qui vise à extraire des règles d’action de cri­tères empi­riques. L’impératif moral devrait en ce sens être décou­vert à par­tir de faits évi­dents, objec­tifs, têtus, ce qui épar­gne­rait au légis­la­teur ou au mora­liste de poser des règles idéales arbi­traires. On consent bien à défi­nir des inter­dits pro­tec­teurs de la per­sonne humaine, mais on exige d’abord que la science, c’est-à-dire un savoir expé­ri­men­tal indis­cu­table, vienne nous dire quand com­mence et quand se ter­mine l’humain. C’est ain­si que le mora­liste deman­de­ra au bio­lo­giste de sta­tuer sur le moment objec­tif où un embryon devient une per­sonne humaine (et l’on sait que la déter­mi­na­tion de cette date — aujourd’hui 14 jours — est sou­mise à des évo­lu­tions de l’embryologie), sur le cri­tère maté­riel de la mort céré­brale, sur les condi­tions de pos­si­bi­li­té de sub­sti­tuer une par­tie d’un orga­nisme à un autre sans tou­cher à son inté­gri­té (d’où la dis­cri­mi­na­tion des cel­lules sexuelles qui par exemple ne sau­raient être assi­mi­lées à ce qui dans un corps est mon­nayable). Tout le pro­blème est alors de savoir si la science seule est à même de déter­mi­ner ce qu’est un homme en tant que per­sonne digne de res­pect ? N’y a‑t-il d’ailleurs pas un dan­ger à légi­fé­rer par décret sur ce qui est humain et ce qui ne l’est pas ? Lier le res­pect de l’homme à la pos­ses­sion de cri­tères objec­ti­vables par une science, de pro­prié­tés obser­vables, n’ouvre-t-il pas la porte à toutes sortes d’abus ? N’y a‑t-il pas déjà que trop de ten­dances à vou­loir pri­ver le fou ou le cri­mi­nel de guerre de cer­taines formes de res­pect de sa digni­té de per­sonne sous le pré­texte que ce ne seraient plus des hommes à part entière, mais, dans le second des cas, des « monstres » ? Ne faut-il donc pas, pour fon­der une morale et une jus­tice, com­men­cer par pré­su­mer l’humanité en tout homme, et non la recher­cher dans des signes empi­riques tou­jours fra­giles et rela­tifs ?

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