Revue de réflexion politique et religieuse.

Jean Ber­nard : Et l’âme ? Demande Bri­gitte

Article publié le 21 Mar 1987 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Le pro­fes­seur Jean Ber­nard ne sait pas répondre à la toute simple ques­tion d’une petite fille, faute assu­ré­ment de com­plé­ter ses connais­sances médi­cales (qui sont immenses) par quelques don­nées d’an­thro­po­lo­gie méta­phy­sique. C’est ce qui res­sort de son der­nier et rapide petit ouvrage, Et l’âme ? demande Bri­gitte, paru en février 1987 chez Buchet‑Chastel. Guère plus avan­cé que Claude Ber­nard, son devan­cier du siècle der­nier, l’au­teur ne trouve tou­jours pas l’âme sous le scal­pel. Mais il la cherche, et vou­drait bien se ména­ger une voie d’es­pé­rance qui conci­lie­rait croyants et incroyants. C’est un che­min dif­fi­cile, compte tenu de la méthode employée. L’es­sen­tiel du livre consiste à don­ner, sous une forme plus que simple, le résul­tat des conclu­sions actuelles des recherches sur le cer­veau. On sait aujourd’­hui sur ce sujet de très belles choses ‑ qui glo­ri­fient le Créa­teur ‑, mais ni Jean Ber­nard ni ses confrères n’ar­rivent à ôter leurs œillères. En tout cas, cer­taines inter­ro­ga­tions révèlent le grand désar­roi de leur auteur : “Ce que nous vou­drions bien sûr pou­voir expli­quer, ce sont les fonc­tions supé­rieures du cor­tex, le haut raf­fi­ne­ment des pro­ces­sus cog­ni­tifs de l’homme, sa facul­té d’abs­trac­tion et de lan­gage, ses com­por­te­ments. Là, il nous faut bien recon­naître que la géné­tique molé­cu­laire est muette sur les méca­nismes molé­cu­laires des fonc­tions cog­ni­tives supé­rieures. II convient donc d’at­tendre les pro­grès espé­rés de la géné­tique molé­cu­laire du sys­tème ner­veux”. Dans l’im­mé­diat cepen­dant, l’a­ca­dé­mi­cien tient pour acquis un cer­tain nombre d’é­ton­nantes rela­tions de cause à effet. Ain­si, consi­dé­rant l’a­mour mater­nel comme une pas­sion dont on ne sau­rait être maître, il se contente d’y voir le résul­tat de l’ac­tion d’une hor­mone, l’o­cy­to­cine. Quant à la liber­té humaine, sans admettre ce qu’il consi­dère comme un maté­ria­lisme vul­gaire, Jean Ber­nard s’en remet, avec quelque crainte, à des hypo­thèses qui s’y ramènent. II attend que l’on mette en évi­dence l’exis­tence d’une ” hor­mone de la liber­té”, et voit dans la “chro­no­bio­lo­gie” la petite ouver­ture per­met­tant de sau­ve­gar­der le libre-­ar­bitre : “L’ap­pa­reil de trans­mis­sion hydrau­lique, élec­trique, chi­mique est d’une extrême com­plexi­té avec ses étages, les rela­tions sus­ci­tées, les arrêts, les reprises. Toute cette cir­cu­la­tion [ner­veuse] est certes rapide. Elle n’est pas tout à fait immé­diate. Ces délais per­mettent peut‑être au cer­veau un choix entre les diverses réponses pos­sibles, lui per­mettent peut‑être, si l’a­gres­sion est inédite, une réponse ori­gi­nale”.

En réa­li­té, Jean Ber­nard ne sait pas répondre à la petite Bri­gitte. Tout au long de son livre, on voit qu’il a le sou­ci d’é­vi­ter de tom­ber dans le maté­ria­lisme bru­tal (car il choque), et même qu’il aime­rait bien trou­ver quelque expli­ca­tion ouverte sur le déisme. Son ami Guit­ton y est peut-être pour quelque chose. Mais quel aveu de fai­blesse ! Les ques­tions méta­phy­sique les plus clas­siques res­tent en sus­pens, comme celle de savoir “com­ment accor­der cette liber­té unique inté­rieure et les pro­grès de la bio­lo­gie”. Pour­quoi tant de peine ? La réponse est épis­té­mo­lo­gique et socio­lo­gique. La bio­lo­gie, comme toute science expé­ri­men­tale, doit se bor­ner à son objet, sans pré­tendre deve­nir la clé du savoir sur toutes choses. Et elle ne tom­be­rait pas dans un tel tra­vers si elle res­pec­tait quelques prin­cipes uni­ver­sels de la rai­son. Mais les soli­da­ri­tés de la com­mu­nau­té scien­ti­fique jouent ici pour main­te­nir un agnos­ti­cisme volon­taire. La bio­lo­gie contem­po­raine fonc­tionne sur quelques pos­tu­lats bien ancrés, au pre­mier rang des­quels celui de l’é­vo­lu­tion. Or l’i­dée que s’en font la géné­ra­li­té des scien­ti­fiques est d’une indi­gente fai­blesse, puis­qu’elle repose sur quelques gros­sières erreurs telles que l’é­ter­ni­té du monde, la néga­tion de la cau­sa­li­té for­melle, la trans­gres­sion du prin­cipe de rai­son suf­fi­sante. Avec une telle méta­phy­sique, néga­trice du sens com­mun, il est impos­sible de sor­tir du maté­ria­lisme. On pense inévi­ta­ble­ment à l’é­pître aux Romains : “Ce qui est connu de Dieu est mani­feste pour eux, car Dieu le leur a fait connaître. Ses per­fec­tions invi­sibles, son éter­nelle puis­sance et sa divi­ni­té sont, depuis la créa­tion du monde, ren­dues visibles à l’in­tel­li­gence parle moyen de ses oeuvres. Ils sont donc inex­cu­sables, puisque, ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glo­ri­fié comme Dieu et ne lui ont pas ren­du grâces ; mais ils sont deve­nus vains dans leurs pen­sées, et leur coeur sans intel­li­gence s’est enve­lop­pé de ténèbres. Se van­tant d’être sages, ils sont deve­nus fous” (Rom. I, 19­22). Quant à Jean Ber­nard, il ter­mine son livre en déses­pé­rant des lumières de l’heure pour s’en remettre au futur. Entre l’hy­po­thèse athée “assu­ré­ment for­ti­fiée par les pro­grès de la bio­lo­gie”, et il choi­sit la troi­sième hypo­thèse, qui est “évo­lu­tive”. “Elle prend acte de l’im­passe pré­sente. Elle pré­voit que l’a­ve­nir appor­te­ra la solu­tion”.

Pour finir, rap­pe­lons que Jean Ber­nard pré­side le Comi­té d’É­thique…

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