Revue de réflexion politique et religieuse.

Bioé­thique et bio­lo­gie

Article publié le 12 Juin 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

La loi contre la déna­tu­ra­tion du mariage civil (qui, ne consti­tuant pas une union indis­so­luble, cor­res­pond déjà à une déna­tu­ra­tion du mariage natu­rel) a ren­con­tré en France une vive oppo­si­tion ; mais la vie humaine a subi dans le même temps une nou­velle agres­sion légis­la­tive, dans une indif­fé­rence qua­si géné­rale. Mar­quant l’aboutissement d’un pro­ces­sus lan­cé à l’automne 2012, la loi du 6 août 2013 auto­rise la recherche sur les embryons humains conçus in vitro dans le cadre d’une assis­tance médi­cale à la pro­créa­tion. La jus­ti­fi­ca­tion sous-jacente est cohé­rente avec les prin­cipes de la culture de mort : pour­quoi inter­dire de mani­pu­ler en labo­ra­toire un amas cel­lu­laire sans pro­jet paren­tal que l’on s’autorise à éli­mi­ner dans le sein de sa mère ? Avec son der­nier essai, le Dr Jean-Pierre Dickès vient oppor­tu­né­ment crier quelques véri­tés que notre temps ne veut pas entendre ((. Jean-Pierre Dickès, L’ultime trans­gres­sion, refa­çon­ner l’homme, Edi­tions de Chi­ré, Chi­ré-en-Mon­treuil, 2012, 282 p., 20 €.)) . Il pro­longe ain­si L’homme arti­fi­ciel ((. Jean-Pierre Dickès, Gode­leine Lafargue, L’homme arti­fi­ciel, essai sur le mora­le­ment cor­rect, Edi­tions de Paris, Ver­sailles, 2006.)) , à l’époque pré­fa­cé par Michel De Jae­ghere qui y évo­quait déjà une « ultime trans­gres­sion » (p. 16).
Œuvre d’un méde­cin qui ne cache pas sa foi, L’ultime trans­gres­sion mêle des cita­tions carac­té­ris­tiques de la « culture de mort », des élé­ments de vul­ga­ri­sa­tion, des réfé­rences cultu­relles, des pro­tes­ta­tions iro­niques et des cris d’indignation. A dire vrai, l’auteur brasse par­fois un peu trop, au risque de mal étreindre son sujet. Il peut convo­quer sur la même page Mal­thus, Dar­win et Gobi­neau (p. 126), tout en pre­nant par­ti sur l’euthanasie, la mon­dia­li­sa­tion, la théo­rie du genre, la maçon­ne­rie, les cen­trales nucléaires, les auto­mates et les robots. Cer­taines réfé­rences manquent. D’autres affir­ma­tions témoignent d’une réflexion inabou­tie ; J.-P. Dickès affirme par exemple : « Les acides ami­nés en eux-mêmes ne sont pas la vie. C’est leur agen­ce­ment en struc­ture héli­coï­dale qui l’est » (p. 173) – mais l’agencement en struc­ture héli­coï­dale n’est pas non plus la vie. Empor­té par son élan, il s’en prend vive­ment au titre du caté­chisme Pierres vivantes (p. 177) – mais il ne remarque pas qu’il s’agit d’une expres­sion néo­tes­ta­men­taire (1 Pi 2.5).
Au-delà de ces traits par­fois aga­çants, L’ultime trans­gres­sion offre un bon point de départ au lec­teur qui sou­haite ensuite réor­don­ner et appro­fon­dir des idées ou don­nées sou­vent éparses. L’auteur four­nit les élé­ments d’un tableau de l’état de la tech­nique : créa­tion d’espèces arti­fi­cielles (pp. 172–173), hybri­da­tions homme-ani­mal, mutants, enfants à trois parents bio­lo­giques, après intro­duc­tion des gênes d’une femme dans l’ovule d’une autre femme, elle-même fécon­dée par un homme (p. 190), etc. J.-P. Dickès insiste sur les limites aux pers­pec­tives offertes par les cel­lules embryon­naires, et sur les poten­tia­li­tés scien­ti­fiques et thé­ra­peu­tiques que recèlent les cel­lules qui n’exigent ni la concep­tion in vitro ni la des­truc­tion d’embryons. Il montre com­ment la volon­té d’expérimenter sur l’embryon peut ne pas résul­ter d’une ambi­tion thé­ra­peu­tique mais sim­ple­ment de la volon­té de le consi­dé­rer comme un simple maté­riau (cf. les prises de posi­tion d’un Marc Pes­chans­ki, sou­vent cité). J.-P. Dickès rap­pelle éga­le­ment les décla­ra­tions révol­tantes du dépu­té Dus­sopt (p. 109) ((. « Quand j’entends que « mal­heu­reu­se­ment » 96 % des gros­sesses pour les­quelles la tri­so­mie 21 est repé­rée se ter­minent par une inter­rup­tion de gros­sesse, la vraie ques­tion que je me pose c’est pour­quoi il en reste 4 %. », Oli­vier Dus­sopt, 25 jan­vier 2011, Assem­blée natio­nale.)) . Il men­tionne l’apparition du concept d’avortement post-natal (p. 135) : puisque l’on peut sup­pri­mer un enfant juste avant la nais­sance, pour­quoi ne pas pou­voir le sup­pri­mer juste après ? La ques­tion est logique ; l’on peut se deman­der com­bien de temps la mise en pra­tique heur­te­ra encore les sen­si­bi­li­tés du grand nombre.
Le Dr Dickès conclut avec un appel au légis­la­teur, appel qui res­te­ra d’autant plus sans écho que la ques­tion demeure com­plexe : au-delà du cas évident du petit humain dont la vie com­men­çante est déjà sur­na­tu­relle en puis­sance, la mani­pu­la­tion de la vie ani­male sou­lève déjà des ques­tions phi­lo­so­phiques et morale. A défaut d’y répondre, L’ultime trans­gres­sion éclaire sur l’origine de la culture de mort ; elle pro­vient de ce que, réem­ployant un voca­bu­laire contes­table, l’auteur appelle la dis­so­cia­tion de la sexua­li­té de la fonc­tion de repro­duc­tion (p. 96). Plus fon­da­men­ta­le­ment encore, il s’agit d’un refus de la mater­ni­té, et par là de la fémi­ni­té ; J.-P. Dickès com­mente très jus­te­ment l’adage antique : « Tota mulier in ute­ro » (pp. 123–124) : ce qui fait la femme, c’est sa capa­ci­té à être mère ; la femme, en tant que femme, est ordon­née à por­ter la vie. A défaut de les expli­ci­ter, saint Tho­mas a enchâs­sé plu­sieurs intui­tions en ce sens dans un article qui le fait pour­tant sou­vent taxer de miso­gy­nie (Ia q. 92 a1). L’homme et la femme par­ti­cipent tous deux plei­ne­ment à l’essence humaine ; mais, à leur com­plé­men­ta­ri­té phy­sique, cor­res­pond sans doute une com­plé­men­ta­ri­té spi­ri­tuelle, avec un rap­port à la vie qui demeure dif­fé­rent. Rap­port à la vie, donc rap­port à l’être, atta­qué à tra­vers la néga­tion de la fémi­ni­té, de ses charges et de ses joies : on touche là l’un des pro­blèmes cru­ciaux de la moder­ni­té.

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