Revue de réflexion politique et religieuse.

Yves Chi­ron : Pie XI

Article publié le 11 Mai 2014 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Vaste syn­thèse – réédi­tion de 2004 – sur une période cru­ciale de l’histoire de l’Eglise contem­po­raine. Presque cha­cun des cha­pitres appelle un pro­lon­ge­ment – et ce n’est pas un reproche à l’adresse de l’auteur, qui sus­cite plu­tôt dans ce livre l’envie d’approfondir. Cela peut par exemple être le cas du cha­pitre X, « Face à Mus­so­li­ni », qui inci­te­rait à prendre connais­sance de la masse de docu­ments four­nie dans un récent ouvrage d’Alberto Guas­co, Cat­to­li­ci e fas­cis­ti. La San­ta Sede e la poli­ti­ca ita­lia­na all’alba del regime (1919–1925) (Il Muli­no, Milan, juin 2013), sachant que le rap­port entre l’Eglise et le régime de Mus­so­li­ni dépasse de beau­coup, dans ce qu’il révèle du point de vue des modes de rai­son­ne­ment et pra­tiques diplo­ma­tiques vati­canes, ce qui s’est pas­sé en Ita­lie depuis la fin du XIXe siècle et jusqu’aux Accords du Latran (11 février 1929). On pour­rait dire de même d’autres épi­sodes d’importance majeure, comme l’affaire de l’Action fran­çaise (avant et après 1926), ou encore l’insurrection des Cris­te­ros et les Arre­glos qui furent signés entre l’Eglise et le régime mexi­cain per­sé­cu­teur en 1929. Sur ces sujets les cha­pitres cor­res­pon­dants offrent une syn­thèse intro­duc­tive per­met­tant de reca­drer ces évé­ne­ments dans leur contexte poli­tique géné­ral. Le cha­pitre XI, inti­tu­lé « Les affaires de France », com­mence par le rap­pel de la poli­tique anti­clé­ri­cale – anti­chré­tienne en fait – du gou­ver­ne­ment issu du Car­tel des gauches, à par­tir de 1924, se mani­fes­tant par la volon­té d’appliquer la Loi de Sépa­ra­tion à l’Alsace-Moselle. Cette période est par­ti­cu­liè­re­ment riche d’enseignements pour nous aujourd’hui, et ici encore la courte intro­duc­tion d’Y. Chi­ron (pp. 407–417) devrait être lue pour enga­ger à s’intéresser à la résis­tance popu­laire alors coor­don­née par la FNC (Fédé­ra­tion natio­nale catho­lique). Cette struc­ture de défense col­lec­tive a enca­dré des mani­fes­ta­tions mas­sives pen­dant l’année 1924–25. Diri­gée par le géné­ral de Cas­tel­nau, elle béné­fi­cie d’un encou­ra­ge­ment de Pie XI, de manière ambi­guë cepen­dant : le pape de l’Action catho­lique – enten­due comme masse de manœuvre sous direc­tion clé­ri­cale et en retrait de tout enga­ge­ment poli­tique actif – pose ses condi­tions : « […] Pie XI va encou­ra­ger les catho­liques fran­çais à « défendre leur reli­gion », mais il ne vou­lait pas que cette défense reli­gieuse prît une tour­nure poli­tique » (p. 411) ; en consé­quence, la FNC pas­se­ra sous contrôle des évêques de France. Y. Chi­ron estime que forte de ses 2.500.000 adhé­rents, la FNC a blo­qué l’élan des­truc­teur du Car­tel, mais il n’insiste pas sur l’aspect sté­ri­li­sant. On regret­te­ra que l’historien ne fasse qu’effleurer (p. 329, en un tout petit para­graphe) les pro­blèmes innom­brables posés par la défi­ni­tion de l’Action catho­lique et de ses objec­tifs « inté­gra­listes » par Pie XI, pour­tant l’une des clés de bien des pro­blèmes internes ulté­rieurs. L’intégralisme en ques­tion signi­fiant, de fait, en même temps une volon­té de recon­quête du monde à Jésus-Christ, sous tous les aspects indi­vi­duels et col­lec­tifs, et la conduite de cette recon­quête grâce à une struc­ture clé­ri­ca­li­sée et s’abstenant volon­tai­re­ment d’entrer en poli­tique, sauf indi­rec­te­ment, par voie de retom­bées d’une influence sur les men­ta­li­tés. En revanche il ouvre, quoique tout aus­si briè­ve­ment – mais ce n’est pas son vrai sujet – la paren­té qui unit ce pro­jet des années 1930 et l’actuelle concep­tion de la « nou­velle évan­gé­li­sa­tion » (p. 328).

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