Revue de réflexion politique et religieuse.

Le chris­tia­nisme, l’art et la laï­ci­té. De quelques exi­gences de méthode

Article publié le 21 Fév 2013 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Je n’ai cepen­dant jamais dou­té du carac­tère glo­ba­le­ment posi­tif des effets que ce livre ne pou­vait man­quer de pro­duire étant don­né le suc­cès que je lui ai tout de suite pré­dit. Harouel a des for­mules très dures et sou­vent heu­reuses pour condam­ner le non-art. C’est avec jubi­la­tion qu’on le voit clouer au pilo­ri les Klein, Chris­to, César, Buren dont il écrit qu’ils « méritent d’êtres admi­rés non pas en qua­li­té d’artistes, mais en qua­li­té d’imposteurs et d’escrocs, car ils sont l’élite de la pro­fes­sion ». Eux et leurs pareils « pra­tiquent la seule forme d’escroquerie qui ne soit pas répri­mée péna­le­ment » (p. 127). La rai­son en est que leurs dupes sont consen­tantes et par­ti­cipent même, ajou­te­rai-je, au suc­cès de la super­che­rie dont ils par­tagent les pro­fits. Ce sont des com­plices. Leurs véri­tables vic­times ce sont nous tous qui sommes, comme le dit Harouel, « cruel­le­ment en manque d’art » (p. 128). Ce manque ne peut être res­sen­ti que par les amou­reux de l’art. En revanche le non-art « convient par­fai­te­ment » aux mil­liar­daires incultes qui nous dominent.

Une Grèce théo­cra­tique ?

En emprun­tant son titre à Cha­teau­briand, Harouel nous incite de prime abord à nous deman­der s’il est chré­tien car la foi du vicomte a tou­jours sem­blé d’une authen­ti­ci­té dou­teuse. D’ailleurs en lisant notre contem­po­rain nous sommes vite fixés. Il se féli­cite des attaques de Vol­taire, du baron d’Holbach, du curé Mes­lier contre la reli­gion. Il regrette seule­ment que de tels blas­phé­ma­teurs n’aient pu agir libre­ment par­mi les musul­mans car dans ce cas l’Islam se serait trans­for­mé en une reli­gion com­pa­tible avec notre socié­té laïque. Celle-ci est l’idéal d’Harouel. Il insiste sur le fait que nos valeurs relèvent d’un chris­tia­nisme sécu­la­ri­sé (p. 12), autre­ment dit can­ton­né, au mieux, dans le for inté­rieur. Ce n’est pas à quoi un chré­tien accor­de­rait sa pré­fé­rence mais Harouel en fait constam­ment l’éloge au nom de la sépa­ra­tion du poli­tique et du reli­gieux qu’il abso­lu­tise à tort. Il applau­dit Mar­cel Gau­chet quand celui-ci déclare : « Si le chris­tia­nisme devait dis­pa­raître ce serait parce qu’il aurait vrai­ment réus­si ». Une telle « réus­site » serait-elle sou­hai­table ? Harouel ne s’en inquiète pas. Il accueille de même avec faveur les pro­pos de Rémi Brague selon qui « L’émergence d’un domaine pro­fane […] la pos­si­bi­li­té de socié­tés « laïques » – voire celle d’un athéisme radi­cal – est per­mise par l’idée d’incarnation » (p. 16). En somme, ces auteurs ne sont pas loin de par­ta­ger l’opinion des païens qui accu­saient les chré­tiens d’être athées. Contre ce laï­cisme affi­ché par Harouel, j’affirme qu’une socié­té peut adhé­rer à un chris­tia­nisme refu­sant la sécu­la­ri­sa­tion et pra­ti­qué fiè­re­ment au grand jour sans pour autant tom­ber dans la théo­cra­tie.
La majeure par­tie du livre d’Harouel a pour fil conduc­teur la thèse sui­vante : « Le chris­tia­nisme a inven­té la dis­tinc­tion du sacré et du pro­fane » (p. 11). Se pour­rait-il que les anciens Grecs aient igno­ré cette dis­tinc­tion ? Ils seraient très sur­pris de l’entendre dire. Pour les Athé­niens il y avait une nette dif­fé­rence entre la ville (astu) pro­fane et l’Acropole sacrée. On devait prendre un bain avant d’y mon­ter. Par­tout en Grèce, il y avait des enceintes appar­te­nant à un dieu. Elles déli­mi­taient un espace sacré nom­mé témé­nos. Les Pho­ci­diens ayant culti­vé des terres consa­crées au dieu de Delphes, le conseil amphic­tio­nique déclen­cha contre eux la troi­sième guerre sacrée (356–346 av. J.-C.). Chez les Romains, l’intérieur du temple (fanum) est sacré, l’espace qui est devant (pro fanum) ne l’est pas.
Harouel iden­ti­fie à tort le couple sacré/profane au couple religieux/ poli­tique. Or il n’est pas moins inexact de pré­tendre que les anciens igno­raient cette der­nière dis­tinc­tion comme il le fait en évo­quant la « confu­sion du poli­tique et du reli­gieux de l’Antiquité païenne » (p. 122) ou encore « l’enchevêtrement entre le poli­tique et le reli­gieux » (p. 30). Cet enche­vê­tre­ment ne carac­té­rise stric­to sen­su que le théo­cra­tisme isla­mique. Harouel en parle comme d’un « monisme » qu’il oppose au « dua­lisme » chré­tien, usant d’une ter­mi­no­lo­gie méta­phy­sique tout à fait dépla­cée dans ce contexte. La sépa­ra­tion du poli­tique et du reli­gieux, qu’auraient igno­rée les anciens, fonc­tionne chez notre auteur comme un passe-par­tout grâce auquel la phi­lo­so­phie de l’histoire n’a pas de secret pour lui.
A l’en croire, il aurait emprun­té cette idée à un auteur vieux de qua­si­ment deux siècles : Fus­tel de Cou­langes. En réa­li­té, Jean-Jacques Rous­seau avait déjà sou­te­nu dans l’Emile que les anciens igno­raient la dis­tinc­tion faite par Jésus-Christ quand il a décla­ré que son royaume n’était pas de ce monde ou qu’il fal­lait rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Selon Rous­seau, dont l’erreur est iden­tique à celle d’Harouel, chaque pays, chaque cité avait ses propres dieux, « ses dogmes et ses rites son culte exté­rieur pres­crit par des lois ; hors la seule nation qui sui­vait [ce culte], tout était pour elle infi­dèle, étran­ger, bar­bare ». C’était « une espèce de théo­cra­tie dans laquelle on ne doit point avoir d’autre pon­tife que le prince, ni d’autres prêtres que les magis­trats ».
Rien de tout cela n’est conforme à la réa­li­té. Les Grecs n’ont jamais for­mu­lé de juge­ment dépré­cia­tif sur les reli­gions des peuples étran­gers. Il aurait pour­tant été ten­tant de tour­ner en déri­sion les divi­ni­tés zoo­morphes des Egyp­tiens. Une anec­dote rap­por­tée par Héro­dote va même dans le sens contraire. On y voit un sei­gneur perse se moquer de la reli­gion grecque à cause de son anthro­po­mor­phisme. De plus, chez les anciens, ni la morale, ni les lois n’étaient d’origine reli­gieuse contrai­re­ment à ce qu’affirme Fus­tel de Cou­langes cité par Harouel : « Le chris­tia­nisme est la pre­mière reli­gion qui n’ait pas pré­ten­du que le droit dépen­dît d’elle » (p. 125). Selon ces deux auteurs, le second copiant l’autre, « César […] était le gar­dien et l’interprète des croyances ; il tenait dans ses mains le culte et le dogme » (p. 36). Or les reli­gions antiques n’avaient ni croyances fixes ni dogmes. Tout un cha­cun pou­vait inven­ter de nou­veaux mythes. Il n’y eut jamais chez eux de que­relle sur ce cha­pitre. C’est au res­pect scru­pu­leux des seuls rites que pré­si­dait l’empereur en tant que grand pon­tife. Harouel devrait com­prendre que la concep­tion antique de la reli­gion et des dieux est à ce point hété­ro­gène à la concep­tion chré­tienne qu’il ne peut y avoir entre elles ni accord ni désac­cord. Apla­tir les dif­fé­rences les unes sur les autres est une ten­dance constante chez Harouel. C’est aus­si ce qu’il fait, comme on l’a vu, en ce qui concerne la pein­ture et la pho­to­gra­phie.
J’ai tou­jours res­sen­ti une grande admi­ra­tion pour Fus­tel de Cou­langes et Simone Weil mais depuis que je les ai vus enrô­lés par Harouel, je suis deve­nu méfiant. Il arrive même aux plus grands génies de se trom­per. Celui qui les cite en les pre­nant pour des auto­ri­tés infaillibles ne peut excu­ser son erreur en invo­quant la leur. Notre auteur convoque pour l’appuyer une foule de savants dont aucun n’est hel­lé­niste. Dans les écrits théo­riques (et le livre d’Harouel a l’ambition d’en être un), les cita­tions de seconde main, pour autant qu’il y en ait, ne peuvent être que déco­ra­tives. Elles expriment des opi­nions, dont la vali­di­té doit être éta­blie en rai­son­nant à par­tir des faits, non le contraire. D’ailleurs, auto­ri­té pour auto­ri­té, je pré­fère de loin celle d’un anti­qui­sant contem­po­rain, Paul Veyne, selon qui les anciens « n’avaient pas atten­du le Christ pour savoir que Dieu et César font deux » ((. Cf. Paul Veyne, Quand notre monde est deve­nu chré­tien, Albin Michel, 2007, p. 247.)) . La parole de Jésus-Christ fait rup­ture non par rap­port au paga­nisme des Grecs et des Romains mais par rap­port au judaïsme. Ce que le chris­tia­nisme apporte de nou­veau n’est pas ce que dit Harouel. Quand Jésus-Christ répond à Ponce Pilate « Mon royaume n’est pas de ce monde », il entend par là que ce royaume n’en est pas un au sens où Pilate et les Juifs pou­vaient l’entendre. L’autre sens, éga­le­ment incom­pré­hen­sible pour ces juges, appa­raît ailleurs dans les Evan­giles quand le Maître dit à ses dis­ciples : « Le royaume de Dieu est par­mi vous ». Ain­si ce royaume n’est pas can­ton­né dans l’audelà. La lumière du Tha­bor peut tout trans­fi­gu­rer dans le hic et nunc.
Harouel pré­tend que la cité antique était divi­ni­sée (p. 39), ce qui rédui­sait à rien la liber­té indi­vi­duelle, que ce soit par rap­port au corps des citoyens, par rap­port aux dieux ou dans la vie pri­vée. Il accuse cette cité d’être « moniste et holiste ». Or il en dit autant de l’Etat hit­lé­rien. Pour en avoir le démen­ti, qu’on se sou­vienne du mythe d’Er dans la Répu­blique de Pla­ton. Au moment où les âmes sont sur le point de choi­sir leur des­tin avant d’être réin­car­nées, l’hiérophante pro­clame : aïtia élo­mé­nou, théos anaï­tios (cha­cun est res­pon­sable de son choix, la divi­ni­té est hors de cause). Comme les chré­tiens, Pla­ton croyait que Dieu a vou­lu l’homme libre. Par ailleurs, ce phi­lo­sophe fai­sait preuve d’une indé­pen­dance de juge­ment indu­bi­table en consi­dé­rant comme un tis­su de men­songes tout ce que disaient les poètes sur les dieux et en réfu­tant la reli­gion popu­laire dans son Euthy­phron. Quant à l’existence pri­vée, Péri­clès dit expli­ci­te­ment dans son Orai­son funèbre que les Athé­niens (contrai­re­ment aux Lacé­dé­mo­niens) mènent leur vie à leur guise. « Nous nous gou­ver­nons dans un esprit de liber­té et cette même liber­té se retrouve dans nos rap­ports quo­ti­diens d’où la méfiance est absente. Notre voi­sin se passe-t-il quelque fan­tai­sie (lit­té­ra­le­ment « fait-il quelque chose en vue du plai­sir ») nous ne lui en tenons pas rigueur et nous lui épar­gnons ces marques de répro­ba­tion qui, si elles ne causent pas de dom­mage maté­riel, sont pour­tant fort pénibles à voir ».
L’erreur d’Harouel s’explique en par­tie par le fait qu’il téles­cope toute l’histoire de l’antiquité jusqu’à la vic­toire du chris­tia­nisme. Au cours de ces mille ans, des chan­ge­ments consi­dé­rables sont inter­ve­nus. Alain de Benoist raconte qu’ayant posé une ques­tion à un célèbre hel­lé­niste celui-ci lui rétor­qua : « Je ne peux vous répondre. Ma par­tie c’est le cin­quième siècle avant notre ère, et votre ques­tion porte sur le IIIe siècle » ((. Cf. Alain de Benoist, Mémoire vive, Ed. de Fal­lois, 2012, p. 151.)) . Voyez cette phrase typique d’Harouel : « Alors que la cité grecque [sur laquelle por­tait « l’accent prin­ci­pal des valeurs »] a pu être éga­li­taire sans être indi­vi­dua­liste, le chris­tia­nisme va libé­rer l’individu » (p. 33). Or, entre les deux il n’y a pas de tran­si­tion. Quand le chris­tia­nisme com­mence à se répandre dans l’empire romain, la polis indé­pen­dante avait dis­pa­ru depuis des siècles. Pour avoir un autre exemple du pen­chant d’Harouel pour l’anachronisme, consi­dé­rons le deve­nir de la reli­gion païenne. Dans les temps les plus anciens, elle était sans doute fon­dée sur le culte des ancêtres et des héros. C’est à peu près la situa­tion décrite par Fus­tel de Cou­langes. Mais à l’époque clas­sique, il y a désor­mais un pan­théon pan­hel­lé­nique (c’était semble-t-il déjà le cas chez les Mycé­niens). Dans l’île d’Egine, par exemple, la déesse Aphaïa est assi­mi­lée à Athé­na et il en est de même pour toutes les autres divi­ni­tés locales iden­ti­fiées aux douze grands dieux que dépeint Homère. Au début du deuxième siècle avant Jésus-Christ, alors que Plu­tarque est encore le prêtre dévot d’un Apol­lon dans le goût de Pla­ton, naît Lucien qui, sans se sou­cier de nuances, fera de ce dieu la cible de ses quo­li­bets, tout comme de son père Zeus et des autres habi­tants de l’Olympe. Qui­conque a lu cet auteur n’a cer­tai­ne­ment pas eu l’impression d’une per­son­na­li­té dépour­vue de ces qua­li­tés qui, selon F. Lenoir cité par Harouel (p. 27), n’ont pu se déve­lop­per qu’au sein du « monde chré­tien » telles que « rai­son cri­tique » ou « auto­no­mie » de pen­sée. Lucien n’avait sûre­ment pas besoin que les chré­tiens lui donnent des leçons d’individualisme et Alci­biade non plus cinq siècles aupa­ra­vant.
Rien d’étonnant à cela car toutes les socié­tés pro­duisent des indi­vi­dus et de l’individualisme quoique d’un type dif­fé­rent en fonc­tion de leur idéal. Se sont ain­si suc­cé­dé le couple anti­thé­tique du héros par la force et du héros par la ruse (Homère), le kalos kaga­thos de la Grèce clas­sique, le che­va­lier du Moyen-âge, l’homme de cour (il Cor­te­gia­no) de la Renais­sance, l’honnête homme, le gent­le­man. Les romans clas­siques chi­nois nous offrent une riche palette d’individualités frap­pantes. Mais il en est un qui est cen­tré sur l’originalité, voire l’excentricité, de ses per­son­nages. Il porte le titre Une pépi­nière (lit­té­ra­le­ment une forêt) de let­trés.
Ce qui inté­resse Harouel, c’est l’individualisme moderne, « inven­tion occi­den­tale », celui propre à l’entrepreneur capi­ta­liste. Il défi­nit l’idéologie spon­ta­née de ce der­nier (qu’il par­tage) comme affir­mant « l’indépendance pre­mière et l’antériorité des indi­vi­dus par rap­port au lien poli­tique » (p. 33) et oppose cette façon de voir au « holisme – ou tota­lisme » auquel « l’humanité serait […] res­tée sou­mise » « en l’absence du chris­tia­nisme occi­den­tal » (p. 28). Sur ce point éga­le­ment, je m’inscris en faux contre Harouel. La pri­mau­té de la col­lec­ti­vi­té sur l’individu est un impé­ra­tif moral qui ne s’oppose pas néces­sai­re­ment à la liber­té de l’individu dans la vie quo­ti­dienne. En revanche, sur le plan poli­tique, sacri­fier à son inté­rêt per­son­nel l’intérêt de la com­mu­nau­té (natio­nale, par exemple) à laquelle on appar­tient fait de vous un traître.
Après l’antiquité, Harouel conti­nue à sur­vo­ler l’histoire uni­ver­selle, exa­mi­nant suc­ces­si­ve­ment la Chine, l’Islam, la traite des esclaves, la lutte entre le Pape et l’empereur, le mil­lé­na­risme, les reli­gions poli­tiques, la reli­gion d’Etat des nou­veaux droits de l’homme et son mora­lisme, l’immigration isla­mique et le sui­cide de l’Europe. Sur tous ces points, que je sois d’accord (c’est sou­vent le cas) ou pas, quelle impor­tance ? Je ne peux cepen­dant lais­ser pas­ser sans un mot de pro­tes­ta­tion deux points : pre­miè­re­ment, la cri­tique jus­ti­fiée de l’islamisme théo­cra­tique qui ne sépare pas le tem­po­rel du spi­ri­tuel n’implique pas qu’on fasse l’éloge d’un laï­cisme qui oppose ces deux domaines d’une manière rigide et sacri­fie en pra­tique le plus éle­vé au plus bas ; deuxiè­me­ment, la sor­tie d’Harouel contre l’écologisme à juste titre qua­li­fié de mil­lé­na­risme et de refuge pour « un cer­tain nombre d’orphelins du com­mu­nisme » (p. 212) laisse pen­ser que pour lui le pro­fit à court terme de quelques-uns l’emporte sur tout sou­ci quant à l’avenir de notre terre et des géné­ra­tions futures.
Harouel est un libé­ral, fidèle dis­ciple de Fou­ras­tié. Sous cou­leur d’apologie du chris­tia­nisme et en attri­buant à son influence tous les pro­grès moraux, éco­no­miques, tech­niques, scien­ti­fiques, Harouel fait plu­tôt l’éloge de l’ordre éta­bli et du sys­tème de l’argent, déniant les dégâts sociaux et envi­ron­ne­men­taux du capi­ta­lisme sau­vage car il est contre l’intervention de l’Etat. Il cri­tique donc non seule­ment Sta­line et Lénine mais aus­si Marx. Pour­quoi pas ? Il se trouve que pour cri­ti­quer ce der­nier, il faut d’abord le connaître et le com­prendre ce qui sup­pose qu’on l’ait lu. Harouel a‑t-il lu Marx ? Ce qu’il en dit ne s’appuie que sur des com­men­taires dont l’autorité peut être contes­tée. Les opi­nions d’Angenot, Benz, Némo, Cohn, Neil, Aron (pp. 204–205) nous apprennent quelque chose, mais si l’on veut savoir ce que pen­sait Marx, il faut le deman­der à ses écrits. Cela per­met­trait une dis­cus­sion inté­res­sante. Pour­quoi aus­si ne pas citer les auteurs grecs ou latins dès lors qu’on parle de la Grèce ou de Rome ? Pour­quoi ne pas aller aux sources si l’on veut effec­tuer une recherche per­son­nelle ? Inver­se­ment si l’on contente d’un savoir de seconde main et qu’on déve­loppe des réflexions qui pour­raient être celles d’un jour­na­liste talen­tueux, pour­quoi se don­ner la peine de citer des dizaines, voire des cen­taines d’auteurs ?
Le livre d’Harouel pro­pose une réponse à la ques­tion sui­vante : com­ment se fait-il qu’il ait été réser­vé à l’Europe d’inventer la tech­nos­cience, l’économie mar­chande, le capi­ta­lisme, la crois­sance et le pro­grès ? D’où vient ce dyna­misme qui entraîne toutes les branches de la vie : l’économie, certes, mais aus­si la poli­tique (avec la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive) et les œuvres de civi­li­sa­tion ? A la suite de beau­coup d’autres, notre auteur voit dans le chris­tia­nisme l’origine de tous ces bien­faits réels ou sup­po­sés. Nous le lui accor­de­rons dans une cer­taine mesure mais cette expli­ca­tion spi­ri­tua­liste n’est pas suf­fi­sante. Il y en a d’autres, les unes géo­po­li­tiques (Jared Dia­mond, David Cosan­dey), une poli­ti­co-sociale (Samir Amin). Harouel n’examine que la pre­mière qu’il rejette out of hand sans la réfu­ter, ni lui oppo­ser l’ombre d’un argu­ment. La ques­tion reste donc ouverte et il fau­dra y reve­nir.

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