Revue de réflexion politique et religieuse.

L’op­tion catho­lique libé­rale

Article publié le 28 Sep 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

La com­mé­mo­ra­tion du bicen­te­naire de la nais­sance de Charles de Mon­ta­lem­bert (1810–1870) avait don­né lieu à un cer­tain nombre de mani­fes­ta­tions dont les publi­ca­tions par­viennent main­te­nant au lec­teur ((. On peut rete­nir par exemple J.-N. Dumont (dir.), Mon­ta­lem­bert et ses contem­po­rains, Cerf, coll. La nuit sur­veillée, 2012 ; A. de Meaux, E. de Mon­ta­lem­bert, Charles de Mon­ta­lem­bert. L’Eglise, la poli­tique, la liber­té (Actes du col­loque du 6 novembre 2010), CNRS édi­tions, 2012 et plus par­ti­cu­liè­re­ment la com­mu­ni­ca­tion de L. Jaume, « La place du catho­li­cisme libé­ral dans la culture poli­tique fran­çaise », pp. 59–78 ; enfin la réédi­tion de Charles de Mon­ta­lem­bert, L’Eglise libre dans l’Etat libre, pré­cé­dé de Des inté­rêts catho­liques au XIXe siècle, Cerf, coll. La nuit sur­veillée, 2010.)) . Elle donne éga­le­ment une excel­lente occa­sion de reve­nir sur l’étude des moti­va­tions sub­jec­tives du libé­ra­lisme et plus par­ti­cu­liè­re­ment sur le pro­ces­sus his­to­rique qui a vu s’épanouir le catho­li­cisme libé­ral jusqu’aux hautes sphères de la hié­rar­chie ecclé­sias­tique.
Car, en effet, il est pas­sion­nant de détec­ter une psy­cho­lo­gie du libé­ra­lisme ((. Voire une psy­cha­na­lyse (par anti­thèse) : cf. Lucien Jaume, « Le catho­li­cisme libé­ral : un mou­ve­ment nova­teur, une doc­trine hési­tante », in C. Stof­faes (dir.), Psy­cha­na­lyse de l’antilibéralisme, éd. Saint-Simon et Ins­ti­tut d’Histoire de l’industrie, 2006, pp. 104–111.)) , un état d’esprit qui s’est répan­du chez les catho­liques jusqu’à cor­res­pondre au modèle domi­nant de la com­pré­hen­sion du monde, tra­duit, un siècle après la publi­ca­tion de L’Eglise libre dans l’Etat libre, par la décla­ra­tion sur la liber­té reli­gieuse du concile Vati­can II. Ce tra­vail suit d’ailleurs dans une inver­sion chro­no­lo­gique ce que nous avions pu déve­lop­per dans ces colonnes à pro­pos de l’ouvrage post­hume d’Emile Per­reau-Saus­sine ((. Cf. notre article « Eglise catho­lique et démo­cra­tie libé­rale », Catho­li­ca n. 112, été 2011, pp. 34–42, à pro­pos de l’ouvrage d’Emile Per­reau-Saus­sine, Catho­li­cisme et démo­cra­tie, Cerf, coll. La nuit sur­veillée, 2012.)) .
Charles de Mon­ta­lem­bert est emblé­ma­tique de cette racine phi­lo­so­phique de l’erreur concer­nant le bien com­mun parce qu’il fut jus­te­ment plu­tôt conser­va­teur, et, tout comme Lacor­daire, qu’il ne vou­lut pas suivre Lamen­nais après sa condam­na­tion par Rome. Catho­lique libé­ral, il joua un rôle impor­tant à la Res­tau­ra­tion par ses inter­ven­tions à la Chambre aus­si bien que par ses articles du jour­nal L’Avenir, dont la devise était « Dieu et la liber­té ». C’est jus­te­ment parce qu’il s’agit d’un conser­va­teur que la pen­sée d’un Mon­ta­lem­bert est repré­sen­ta­tive d’un nou­veau cours confir­mé tout au long du débat sur la rela­tion entre catho­li­cisme et liber­té moderne. Il n’est pas un théo­ri­cien mais un homme poli­tique, Pair de France puis dépu­té du Doubs, pré­sent dans les débats sur la place de la reli­gion dans la vie publique sous quatre régimes suc­ces­sifs, de la Res­tau­ra­tion au Second Empire. Son mot d’ordre élec­to­ral fut tou­jours le slo­gan et le prin­cipe « Catho­lique d’abord ! », ce qui devrait conduire à consi­dé­rer à leur juste place les ten­ta­tives contem­po­raines du catho­li­cisme libé­ral. Sa pen­sée va même jusqu’à tra­duire « un rai­dis­se­ment conser­va­teur en matière sociale et même poli­tique, comme en témoigne le sou­tien qu’il accor­da à Louis-Napo­léon Bona­parte jusque dans le milieu des années 1850 et sa méfiance pour les notions de démo­cra­tie et de démo­cra­tie-chré­tienne » ((. Antoine Leca, His­toire des idées poli­tiques, coll. Uni­ver­si­tés Droit, Ellipses, 1997, p. 339.)) .
C’est ain­si en effet qu’en octobre 1848, il s’opposa à la syn­thèse démo­chré­tienne de L’Ere nou­velle ((. Jour­nal fon­dé en avril 1848 par l’abbé Maret et Fré­dé­ric Oza­nam qui « ser­vit d’organe offi­cieux à la pre­mière démo­cra­tie-chré­tienne ».))  en ces termes : « Je ne puis me défendre de sou­rire quand j’entends décla­rer que le Chris­tia­nisme c’est la démo­cra­tie, j’ai pas­sé ma jeu­nesse à entendre dire que le Chris­tia­nisme était la monar­chie […] J’ai lut­té vingt ans, et non sans quelque suc­cès, contre cette vieille erreur aujourd’hui dis­si­pée, je lut­te­rais vingt ans encore, si Dieu me les don­nait, contre cette nou­velle pré­ten­tion ; car je suis convain­cu que ce sont deux aber­ra­tions du même ordre » ((. Cité dans Hans Maier, L’Eglise et la démo­cra­tie, Cri­té­rion, Limoges, 1992, p. 348, n. 87.)) . Il est vrai que dans les colonnes de ce jour­nal ain­si cri­ti­qué, l’abbé Maret affir­mait que la démo­cra­tie était « fille du chris­tia­nisme et de la rai­son », et qu’autour de lui s’était créé un cou­rant assu­rant le ral­lie­ment d’un cer­tain nombre de catho­liques libé­raux à la démo­cra­tie, même si Lacor­daire, conci­liant un « libé­ra­lisme pru­dent à une pen­sée sociale har­die […] se méfiait des poten­tia­li­tés des­po­tiques de la démo­cra­tie et joua un rôle modé­ra­teur par­mi les col­la­bo­ra­teurs de L’Ere nou­velle » ((. A. Leca, op. cit.)) . […]

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