Revue de réflexion politique et religieuse.

Mar­cel­lo Di Pao­la, Gian­fran­co Pal­le­gri­no : « Sos­pen­sione ripro­dut­ti­va tem­po­ra­nea : eti­ca delle popo­la­zio­ni e cam­bia­men­to cli­ma­ti­co », Iride. Filo­so­fia e dis­cus­sione pub­bli­ca

Article publié le 6 Sep 2012 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Les deux auteurs tra­vaillent au dépar­te­ment de Sciences poli­tiques de la Libre uni­ver­si­té des sciences sociales (LUISS Gui­do Car­li) de Rome. Leur texte pro­vient d’une com­mu­ni­ca­tion lors d’un col­loque orga­ni­sé en 2011 sur le thème « Glo­bal jus­tice, pri­vate mora­li­ty and uti­li­ta­rian pers­pec­tives ». La thèse déve­lop­pée est à consi­dé­rer avec atten­tion. Il est pré­sup­po­sé que les consom­ma­teurs des pays riches sont res­pon­sables de la pol­lu­tion qui entraîne les chan­ge­ments cli­ma­tiques dom­ma­geables à l’ensemble de la Pla­nète (comme si, à sup­po­ser fon­dée la cor­ré­la­tion, la struc­ture spé­cu­la­tive du capi­ta­lisme n’était pas la prin­ci­pale nui­sance). Selon les auteurs, l’idée de faire dimi­nuer le nombre des humains serait « négli­gée » dans les grandes ren­contres inter­na­tio­nales, à la fois en rai­son de la dif­fi­cul­té de sa mise en oeuvre et parce qu’une poli­tique contrai­gnante heur­te­rait la liber­té repro­duc­tive, consi­dé­rée comme un droit inalié­nable (contre-véri­té fla­grante quand on sait à quel point les pro­grammes concer­nant la « san­té repro­duc­tive » sont acti­ve­ment anti­na­ta­listes). Oppo­sant curieu­se­ment pru­dence (poli­tique ?) et morale, il s’agirait donc d’obtenir une auto­li­mi­ta­tion des nais­sances de manière volon­taire, par devoir. Qui plus est, ce devoir ne concer­ne­rait pas le « Sud » mais seule­ment le monde riche, car « il est évident que dimi­nuer le nombre des consom­ma­teurs pré­sents ferait décroître la consom­ma­tion, et donc les émis­sions ». L’effet atten­du serait un rééqui­li­brage des modes de vie : moins de monde dans les pays « déve­lop­pés », cela fait moins de richesses recher­chées, donc moins de pro­duc­tion, donc aus­si une vie plus éco­nome d’énergie. Le motif d’une pro­po­si­tion de cet ordre est clai­re­ment la ver­sion la plus récente de l’utilitarisme dans ce qu’il a de plus abs­trait, de plus igno­rant des réa­li­tés humaines et civi­li­sa­tion­nelles autres que quan­ti­ta­tives. Ben­tham défi­nis­sait le bon­heur par le maxi­mum de plai­sir pour le maxi­mum d’individus. L’une des consé­quences de ce prin­cipe a été tirée de ce que le mora­liste uti­li­ta­riste bri­tan­nique Derek Par­fit a appe­lé la « conclu­sion répu­gnante » : mieux vaut une plus grande quan­ti­té d’êtres humains jouis­sant d’un même niveau de biens qu’une quan­ti­té plus res­treinte jouis­sant de biens plus éle­vés (telle était, au pas­sage, la jus­ti­fi­ca­tion du com­mu­nisme chi­nois dans les années Mao : le régime est auto­ri­taire mais tout le monde est répu­té pou­voir man­ger). La solu­tion « morale » envi­sa­gée ici serait, de plus, tem­po­raire (trois ans pour com­men­cer…). Plu­sieurs objec­tions sont exa­mi­nées et lon­gue­ment réfu­tées par de sub­tils cal­culs de coûts et pro­fits. Une objec­tion qua­li­fiée de « libé­rale » dénonce l’interférence dans la vie pri­vée et la liber­té fon­da­men­tale de pro­créer. Réponse : il ne s’agit pas de contraindre, mais d’obtenir le libre consen­te­ment des indi­vi­dus, par le moyen de cam­pagnes d’opinion comme celles aux­quelles on est habi­tué (contre l’usage du tabac, etc.). Lorsque che­min fai­sant les auteurs butent sur l’objection de la valeur de la vie, ils se contentent de la balayer d’un revers, en note. Ils accordent en revanche une consi­dé­ra­tion impor­tante au cas dit de la wrong­ful life, la vie « indigne » d’être vécue et à laquelle il serait pré­fé­rable de n’avoir jamais vu le jour – cette même vie mal­heu­reuse qui per­met aujourd’hui à un indi­vi­du de pré­tendre obte­nir répa­ra­tion par voie judi­ciaire pour avoir été « vic­time » d’un avor­te­ment man­qué, comme der­niè­re­ment en Espagne. Le « devoir d’abstention » aurait donc comme ultime fon­de­ment l’obligation de ne pas nuire à ceux qui naissent dans un monde pauvre et sont appe­lés à y sur­vivre dans le mal­heur à cause des excès du monde déve­lop­pé qui pro­voque l’effet de serre, etc. Le levier prin­ci­pal de la pro­pa­gande inci­ta­tive qui est envi­sa­gée ici serait donc la culpa­bi­li­sa­tion des femmes (jusqu’à 35 ans) et des hommes (45 ans) vivant en Occi­dent, et plus pré­ci­sé­ment, de ceux qui ont conser­vé la conscience natu­relle de ce que signi­fie don­ner la vie, les plus évo­lués ayant depuis long­temps per­du cette notion tout autant que celle du bien com­mun, et du bien tout court.

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