Revue de réflexion politique et religieuse.

Fran­cis Fukuya­ma, apo­lo­giste de l’ordre éta­bli

Article publié le 29 Oct 2011 | imprimer imprimer  | Version PDF | Partager :  Partager sur Facebook Partager sur Linkedin Partager sur Google+

Fran­cis Fukuya­ma, qui vient de publier un livre impor­tant ((. The Ori­gins of Poli­ti­cal Order, Far­rar, Straus and Giroux, New York, 2011.)) , est deve­nu célèbre en défen­dant l’idée selon laquelle nous vivrions la fin de l’histoire ((. La fin de l’histoire et le der­nier homme, tra­duc­tion fran­çaise, Flam­ma­rion, 1992.)) . Son oeuvre, déjà sub­stan­tielle, pour­suit une réflexion visant à rendre intel­li­gible l’histoire uni­ver­selle. Selon ses termes, il s’efforce de trou­ver « un sché­ma expli­ca­tif du déve­lop­pe­ment géné­ral des socié­tés humaines » (ibid. p. 81). On peut voir en lui un phi­lo­sophe de l’histoire au sens de Schum­pe­ter, autre­ment dit un pen­seur du chan­ge­ment social. Fukuya­ma, cepen­dant, se veut avant tout his­to­rien quoique éclai­ré par des phi­lo­sophes : Hegel inter­pré­té par Kojève, Pla­ton qui lui four­nit le concept de thy­mos ((. La par­tie de l’âme qui est le siège des sen­ti­ments et des pas­sions.)) , les fon­da­teurs du libé­ra­lisme Hobbes et Locke et enfin Nietzsche. Sa méthode com­pa­ra­tiste lui per­met, dit-il, de déga­ger des constantes et des lois qui échappent aux spé­cia­listes foca­li­sés sur des objets plus poin­tus. Cer­taines de ces lois sont psy­cho­lo­giques et découlent de la nature humaine ; d’autres sont struc­tu­relles. Notons le désir de recon­nais­sance emprun­té à Hegel et le rôle de la « phy­sique » comme moteur de l’histoire. Sur ce der­nier point, il semble rejoindre Marx qui parle de « forces pro­duc­tives » com­pre­nant les appli­ca­tions de la science. A vrai dire, l’importance de celles-ci tient sur­tout, selon Fukuya­ma, à l’avantage qu’elles confèrent dans la guerre, ce qui en fait un fac­teur poli­tique. De plus notre théo­ri­cien se dis­tingue de Marx par le fait que le désir de recon­nais­sance conduit à une lutte à mort de pur pres­tige tota­le­ment non éco­no­mique. Cette lutte divi­se­rait l’humanité en Maîtres qui ont accep­té de ris­quer leur vie et en Esclaves qui ont pré­fé­ré se sou­mettre. Pour Fukuya­ma, la socié­té capi­ta­liste libé­rale affran­chit ces der­niers qui deviennent maîtres d’eux-mêmes. Désor­mais, tous les hommes béné­fi­cient d’une même recon­nais­sance éga­li­taire et réci­proque.
Des rap­ports humains appa­raissent alors d’où sont absentes les contra­dic­tions qui carac­té­ri­saient les formes anciennes d’organisation sociale. Ain­si prend fin la dia­lec­tique his­to­rique (p. 91). La thèse de Fukuya­ma sur la démo­cra­tie libé­rale comme fin (terme et but) de l’histoire repose sur le même genre d’arguments que la thèse de Marx sur la fin de l’histoire repré­sen­tée par le futur régime com­mu­niste : les deux fins sont déter­mi­nées par l’absence de contra­dic­tions, ce moteur de l’histoire. Le rap­port maître/esclave est contra­dic­toire car pour le Maître le fait d’être recon­nu par un esclave est insuf­fi­sant au sens où Grou­cho Marx disait qu’il ne dai­gne­rait pas être membre d’un club sus­cep­tible d’accepter sa can­di­da­ture. Le rap­port capitaliste/prolétaire est éga­le­ment contra­dic­toire en tant qu’il est géné­ra­teur d’antagonismes, c’est-à-dire de jeux à somme nulle. […]

-->